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auquel ses dessins étoient suspendus, il écoutoit les critiques, et prenoit soin de corriger les fautes qu'on lui avoit fait apercevoir. C'est ainsi qu'on acquiert du talent, ou plutôt c'est ainsi qu'on en fait preuve ; l'homme médiocre n'avance pas, parce qu'il ne doute de rien, et qu'il se complaît jusque dans ses fautes; l'homme supérieur cherche des avis, en profite, fait mieux, et regrette toujours de ne pouvoir faire mieux encore.

En 1767, Dewailly fut reçu membre de l'Académie d'architecture, de la première classe, sans avoir passé, selon l'usage, par les classes inférieures.

Il étoit destiné aux exceptions honorables. L'Académie de peinture l'admit, en 1771 au nombre de ses membres, comme dessinateur; ce qui n'étoit arrivé à aucun autre architecte avant lui, si ce n'est à Clerisseau qui y avoit été reçu deux ans auparavant, mais pour des tableaux peints à gouache.

Dewailly donna pour morceau de réception un dessin représentant la vue perspective du grand escalier projeté la nouvelle salle de comédie de Paris: c'étoit celle de l'Odéon.

pour

Autrefois, et jusqu'au temps de l'école de Lejay, les architectes se contentoient de tirer des lignes, et tout au plus de tracer des plans; mais, ne dessinant ni les contours, ni les corps avancés, ni les ornemens, ils ne savoient, pour ainsi dire, pas leur langue toute entière; ils ne la parloient point; ils ne communiquoient pas toutes leurs pensées, et l'on ne pouvoit juger de l'effet de leurs compositions. Dewailly, au contraire, composa

et exécuta ses dessins d'une manière large et pittoresque; aussi donna-t-il à son art un nouvel essor.

Son génie ardent s'est principalement tourné vers la décoration des édifices, et a sur-tout créé, pour la distribution et l'ornement des intérieurs, des plans aussi riches qu'élégans. On connoît de lui les intérieurs du ci-devant palais d'Argenson à Paris, ceux du château des Ormes, du salon du palais Spinola à Gènes, et du théâtre français, connu sous le nom d'Odéon, qu'il construisit en société avec son ami Peyre; plusieurs de ses ouvrages sont gravés dans l'Encyclopédie, et dans la Description de la France par Laborde. Nous ne pouvons donner ici l'aride nomenclature d'un grand nombre d'autres compositions, fruits d'une vie active et laborieuse, et qui toutes confirment une réputation si justement acquise.

Travailleur infatigable, ne respirant que pour son art, il tenoit la plume et les crayons long-temps avant le jour, et ne les quittoit souvent que dans la nuit. Heureux de chérir par dessus tout ses occupations habituelles! Plusieurs de ses jeunes élèves ont dit qu'il venoit lui-même, la lampe à la main, les arracher au repos, leur reprochant de donner trop d'heures au sommeil, et leur disant que la vie est trop courte pour les artistes.

Il ressentoit aussi la louable ambition d'ajouter à la gloire de sa patrie qu'il aimoit. Lorsqu'il travailloit, avec Peyre, aux plans de la salle de l'Odéon, il disoit souvent qu'il falloit faire de la salle du spectacle de

la nation, un monument digne de la nation. En vain des princes étrangers, celui de Nassau à qui il avoit montré le dessin, et l'impératrice de Russie, voulurent l'attirer près d'eux; celle-ci lui fit offrir la place de président de l'Académie d'architecture de Pétersbourg, et huit mille roubles (1) d'honoraires. Il refusa avec la franchise un peu brusque qui entroit dans son caractère: Si l'impératrice veut des plans, dit-il, je lui en ferai tant qu'elle voudra; je n'ai pas besoin d'aller à Pétersbourg pour cela.

N'ayant que des goûts simples, n'aimant que les arts et l'indépendance qui leur est nécessaire, la révolution convenoit à ses principes, et la République à son caractère. Il la servit en remplissant avec fruit une mission qui lui fut donnée dans la Belgique et dans la Hollande où il alla, en qualité de commissaire, à la recherche des objets d'arts; il y franchit les glaces avec nos armées. Son Voyage enrichit notre muséum d'objets d'arts précieux et bien choisis; pour lui, il se conduisit avec un désintéressement digne d'un véritable artiste.

Il fut mis au nombre des membres de l'Institut national, lors de sa formation.

Il étoit l'un des conservateurs de ce musée des arts, aujourd'hui le plus riche dépôt du monde en ce genre; et ses soins, ses avis, son activité, ont rendu les plus grands services à ce bel établissement.

Il est le fondateur de la société des amis des arts.

(1) Le rouble vaut environ 5 francs.

3.

T. 3.

F

C'est une réunion de citoyens qui mettent chaque année une certaine somme dans une bourse commune. On emploie ces fonds à l'achat de plusieurs morceaux de peinture, de sculpture et de gravure; et, comme la société est composée de connoisseurs, elle n'achète rien de médiocre. A la fin de l'année, les objets acquis sont répartis, par la voie du sort, entre les sociétaires ; et, quoique chacun d'eux ait la chance de retirer une valeur fort supérieure à sa mise, néanmoins aucune idée mercantile n'est entrée dans la formation de cette société. Elle a déja été fort utile aux arts, sur-tout dans les temps pénibles de la révolution. C'est une obligation essentielle que les arts et les artistes ont eue au confrère que nous regrettons.

Son tempérament robuste, sa vie sobre et réglée sembloient lui promettre une longue carrière; mais une maladie aiguë l'a enlevé, en peu de jours, le 12 brumaire de l'an 7, à cinq heures du matin. Il semble que la providence ait voulu lui épargner la douleur de survivre à l'un de ses plus beaux ouvrages, et de voir brûler cette magnifique salle de l'Odéon que le feu vient de détruire, mais que nous gardons l'espérance de voir rétablir sur les dessins de ses premiers auteurs.

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ÉTIENNE-LOUIS

TIENNE-LOUIS BOULLÉE naquit à Paris le 12 février 1728. Dès sa plus tendre jeunesse il marqua pour les arts cette inclination naturelle qui décèle presque toujours les grands talens. Il aima d'abord la peinture avec passion, et l'étudia successivement sous Laueret, Collins et Pierre: mais le secret de sa destinée ne lui étoit pas encore révélé.

Le père, artiste lui-même, et de mœurs austères, blâmoit les vues de son fils, et, par une opposition constante dont le résultat fut très-heureux, il le rendit à l'architecture qui le réclamoit. Quoique les arts ne composent tous qu'une seule famille, chacun d'eux a son domaine particulier. Boullée devoit être un architece célèbre.

Blondel fut son premier maître. Bientôt il lui préféra Lebon. Puis il quitta ce dernier dont il épuisa promptement le savoir, et se mit sous la direction de Lejay,

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