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Comme elle, on la vit rompre sans cesse le cercle de ses attributions constitutionnelles, usurper sur les pouvoirs de la royauté; et lorsque Louis XVI lui opposa son droit ou sa conscience, l'Assemblée eut recours, pour le soumettre, aux violences de l'émeute.

Un roi plus habile, plus rompu aux affaires, ayant à la fois une douceur moins débonnaire et une fermeté plus soutenue, aurait usé et affaibli, en les mettant aux prises avec les difficultés du gouvernement, les principaux de ces ambitieux, rêveurs pour la plupart, et dont la plus ardente passion était de servir.

C'est en effet dans un dernier et violent effort pour s'imposer, comme ministres, au monarque vaincu, que les Girondins renversèrent la. monar- › chie; et comme ils n'avaient pour principes que l'esprit de domination, ils poursuivirent le pouvoir à travers le sang et les apostasies, sans réussir à atteindre autre chose que la proscription, la mort et la honte.

Les massacres de Septembre sont la plus haute expression de ce que des ambitieux peuvent faire ou laisser faire d'horrible, en vue d'ar

river, à tout prix, au gouvernement de leur

pays.

Ce livre est le premier, consacré au récit de ce lugubre événement, où la vérité soit dite tout entière, et appuyée sur des preuves irrécusables.

Jusqu'ici, les plus graves historiens de la Révolution française, M. Thiers, M. Mignet, M. de Lamartine, M. Michelet, M. Louis Blanc, acceptant, faute d'avoir pu la contrôler sérieusement, une ancienne tradition sur les massacres de Septembre, les avaient présentés comme le résultat regrettable d'une exaspération populaire, terrible, indomptable et imprévue, produite par la nouvelle répandue à Paris, le dimanche 2 septembre 1792, de l'entrée des Prussiens à Verdun.

D'après cette tradition, les volontaires de Paris, appelés aux armes, auraient résolu, avant de voler aux frontières, d'exterminer les aristocrates enfermés dans les prisons, ne voulant pas qu'ils pussent, en leur absence, égorger leurs femmes et leurs enfants.

L'examen même superficiel des faits aurait peutêtre dû suffire pour discréditer une fable aussi manifeste.

D'un côté, en supposant, contre toute probabi

lité, que les volontaires parisiens eussent voulu inaugurer leur carrière militaire par un crime épouvantable, et que cette jeunesse, poussée à la frontière par le plus noble enthousiasme, se fût réduite aux cent dix ou douze assassins, employés à tuer, moyennant salaire, dans les neuf prisons de Paris, recevant huit francs par jour à l'Abbaye, et seulement cinquante sous à la Force 1; d'un autre côté, qui donc, parmi elle, eût pu sérieusement redouter, en son absence, de voir massacrer sa famille par les vieux prêtres de Saint-Firmin ou des Carmes, par les pauvres de Bicêtre ou par les folles de la Salpêtrière?

Un peu de réflexion eût donc fait soupçonner la fausseté d'une tradition acceptée jusqu'ici sans examen sur les massacres de Septembre; ce livre la met pour la première fois et pour toujours en évidence.

Les massacres de Septembre ne furent pas l'effet du hasard; le gouvernement de fait sorti de la

1 On verra, dans le cours du livre, que le prix de la journée des assassins de l'Abbaye fut fixé à vingt-quatre livres pour trois jours, par Billaud-Varennes.

Quant au prix bien inférieur de 50 sous, pour les assassins de la Force, il résulte de l'acte dressé contre Badot, dans le procès qui lui fut fait le 23 floréal an IV,-12 mai 1796.

révolution du 10 août médita ce crime, le résolut froidement, l'organisa, le dirigea, l'exécuta, le régla et le paya par voie administrative.

Nous publions les délibérations, les arrêtés, les ordonnances de l'administration, et les quittances signées. par les assassins.

Toutes les pièces relatives à l'ensemble et aux détails de cette épouvantable tragédie existent encore aux Archives de la Préfecture de Police, aux Archives de l'Hôtel de ville, et à la section criminelle des greffes des palais de justice de Paris et d'Orléans.

C'est là que nous avons puisé les éléments officiels et jusqu'ici inconnus de la révélation historique contenue dans ce livre.

On possédera pour la première fois une liste complète et authentique des victimes de Septembre, et, chose qu'aucun historien n'aurait crue possible, une liste exacte des assassins.

Des faits si nouveaux et si graves exigeaient des preuves irrécusables; nous avons reproduit trèssouvent les textes officiels, et toujours indiqué les sources. Ce livre ne contient donc pas une seule

assertion dont l'exactitude ne puisse être immédiatement vérifiée.

A la distance où nous sommes de ces événements, nous avons pensé que l'histoire pouvait remplir, dans toute sa sévérité, envers les personnes comme envers les choses, sa nécessaire et redoutable fonction pour elle, tout dire est un rigoureux devoir, dès qu'elle peut parler sans scandale inutile.

Paris, 10 mars 1860.

A. GRANIER DE CASSAGNAC.

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