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offre plus d'intention de gaieté que d'esprit et de

poésie :

LE VOYAGE DE PROVINS.

AIR: Un jour de cet automne.

Un soir de cet automne,

De Provins revenant...

Quoi! sur l'air de la Nonne,
Chanter mon accident!
Non, mon honneur m'ordonne
D'être grave et touchant.

AIR Des folies d'Espagne.

Peuple français, écoutez-moi sans rire,
Je vais narrer un grand événement :
Comme je fus toujours de mal en pire,
De point en point, de Provins revenant.

AIR: Des guillotinés, ci-devant, Des pendus.

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Gravissant rochers et montagnés,
Je m'enfonçai dans la Champagne,
Clopin-clopan.

AIR: Malbroug s'en va-t-en guerre.

Enfin, sans perdre haleine, Mironton, mironton, mirontaine, La fortune inhumaine

Me conduit à Provins (bis).

O honte, affreux destin!
C'est là que, dans l'auberge,
Portant mon sac et ma flamberge,
En paix je me goberge;
Vient un municipal,

Lequel d'un ton brutal,

AIR: De la Carmagnole.

Dit Citoyen, vous avez tort (bis),
De voyager sans passe-port (bis);
Pour punir cet oubli,

Il vous faut aujourd'hui

Coucher dans notre geôle,

Comme un larron (bis),

Coucher dans notre geôle

Comme un larron
Bien fripon.

AIR: Des Marseillais.

Malgré votre habit sans culotte,
Vous êtes, dit-il, un suspect.
Vous irez siffler la linotte

Dans le violon, sauf votre respect.

Entendez-vous dans la cuisine
Le bruit qu'y fait maint citoyen,
Criant haro sur ce vaurien :

On vous a jugé sur la mine;
Aux armes, citoyens, saisissez ce grimaud,
Marchez (bis), les fers aux mains,
Qu'on le mène au cachot.

AIR: Que ne suis-je la fougère.

Hélas! voudrait-on le croire?
Il le fit comme il le dit ;
Je voulus faire une histoire,
Mais je fus tout interdit.
De frayeur perdant la tête,
Durant ce couplet soudain,
Je passai pour une bête,
Et c'est mon plus vif chagrin.

AIR: On doit soixante mille francs.

Dans un mauvais cabriolet
On me jette comme un paquet;
Sans pitié pour mes larmes (bis),
Vers les lieux d'où je suis venu
On me ramène confondu

Entre mes deux gendarmes (bis) 1.

V

Voilà toute la gaieté et tout l'esprit de la Gironde, en face du danger suprême. Ducos résuma en lui ce

1 Mercier, Almanach des prisons, p. 50 à 62.

qu'elle avait de ferme, d'insouciant et de viril. Parmi les autres Girondins, les meilleurs ne purent s'élever qu'au courage vulgaire du suicide.

Petion et Buzot, traqués de retraite en retraite par les Comités révolutionnaires de Bordeaux, prirent du poison et furent trouvés dans un champ, à moitié putréfiés.

Barbaroux, surpris dans sa retraite, se tira deux coups de pistolet et fut porté mourant sur l'échafaud.

Vergniaud, qui s'était muni de poison, le jeta, n'ayant pas voulu ou n'ayant pas osé le prendre 1.

Valazé, qui avait remis une paire de ciseaux à Riouffe avant de monter au tribunal révolutionnaire, avait conservé un couteau avec lequel il se tua à la dernière audience, ce qui n'empêcha pas Fouquier-Tinville de requérir que le corps mort fût conduit sur une charrette à la place de la Révolution 2.

Louvet, dans le récit fort curieux qu'il publia sur sa fuite et sur ses tribulations, se représente comme perpétuellement armé d'une formidable espingole, dont la gueule était appliquée sur son front à tout danger sérieux, et il avait pris la précaution de composer son hymne de mort sur l'air de Veillons au salut de l'Empire!

1 << Vergniaud jeta du poison qu'il avait conservé, et préféra << de mourir avec ses collègues. » (Riouffe, Mémoires d'un détenu, p. 62)

2 Bulletin du Tribunal révolutionnaire, 2e partie, n. 64, p. 255.

Des vils oppresseurs de la France
J'ai dénoncé les attentats.

Ils sont vainqueurs, et leur vengeance
Ordonne aussitôt mon trépas.

Liberté ! liberté ! reçois donc mon dernier hommage!
Tyrans, frappez! l'homme libre enviera mon destin;
Plutôt la mort que l'esclavage,
C'est le vœu d'un républicain'.

« Je voulais, dit Louvet, si je tombais aux mains de mes ennemis, le chanter en allant à l'échafaud. »> Cependant la préférence qu'il donnait à la mort sur l'esclavage ne l'empêcha pas de se tenir soigneusement tapi dans une cachette où son amante Lodoïska l'avait maçonné de ses mains .

Lidon, trahi à Brives, sa patrie, par un ami auquel il avait secrètement demandé un cheval, et qui, au lieu d'un cheval, lui envoya deux brigades de gendarmerie, se défendit en désespéré et tua trois gendarmes, avant de se tuer lui-même 3.

1 Louvet, Récit de mes périls, p. 91.

Les jolies mains de ma Lodoïska, ses délicates mains, n'avaient jamais, comme vous le pensez bien, manié le rabot, ni les clous, ni le plâtre; pourtant, en cinq jours, elle acheva seule, sans mon secours, car mon myopisme me rendait absulument inhabile à cet apprentissage; elle acheva un ouvrage en menuiserie maçonnée, d'un plan si parfaitement conçu et si artistement imaginé, qu'un tel coup d'essai eût passé pour le chef-d'œuvre d'un maitre. A moins qu'on ne fût sûr qu'il y avait quelqu'un dans cette boîte, qui paraissait un mur, je défais le plus habile de me trouver là.» (Louvet, Récit de mes périls. p. 167.)

9 Louvet, Récit de mes périls, p. 153.

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