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contenir au moins cent personnes'. C'est là que Riouffe avait été placé, le 27 octobre; c'est de là qu'il entendit le premier couplet de la Marseillaise, chanté en chœur par les Girondins, en descendant du tribunal révolutionnaire; c'est là qu'il passa la nuit avec eux; et l'on va voir, par son récit, qu'il n'y eut ni festin, ni harangues philosophiques".

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<< Ils furent condamnés à mort, dit Riouffe, dans la nuit du 29 octobre 3, vers onze heures. Ils le furent tous; on avait en vain espéré pour Ducos et

1 Il ne faut pas confondre la chapelle de la Conciergerie avec l'oratoire que l'on a érigé sous la Restauration dans le cachot de Marie-Antoinette. L'oratoire n'a que quelques pieds carrés, mais la chapelle est fort grande. D'ailleurs, l'oratoire est séparé de la chapelle par une petite pièce rectangulaire, servant de sacristie.

2 Voici qui établit clairement que Riouffe était dans la même salle que les Girondins : « On me mit dans une autre partie de la Conciergerie. Je quittai l'antre du crime justement enchaîné, j'entrai dans le temple de la vertu persécutée. Vergniaud, Gensonné, Brissot, Ducos, Fonfrède, Valazé, Duchâtel et leurs collègues, furent les hôtes que je trouvai installés dans ma nouvelle demeure. Depuis une année que je l'habite, je ne cesse d'y voir l'ombre de ces grands hommes planant sur ma tête, et ranimant mon courage... J'appris que c'était aux sollicitations de Ducos que je devais d'être sorti du cachot... L'aimable et intéressant jeune homme! il m'avait vu une seule fois, dans le monde, et il me fit l'accueil d'un frère.

<< La curiosité se réveille à ces noms fameux; mais j'ai peu de moyens de la satisfaire. J'arrivai deux jours avant leur condamnation, et comme pour être témoin de leur mort. » (Riouffe, Mémoires d'un détenu, p. 58, 59.)-C'est d'ailleurs une erreur de M. de Lamartine d'avoir cru qu'indépendamment de la salle de la chapelle, les Girondins avaient encore des chambres. Ils étaient dix-neuf dans cette chapelle, où ils avaient leurs lits; sans compter Bailleul, Riouffe et d'autres compagnons.

3 C'est une erreur de date. Les Girondins furent condamnés le 9 brumaire, c'est-à-dire le 30 octobre.

pour Fonfrède, qui peut-être eux-mêmes ne s'étaient pas défendus de quelque espérance.

« Le signal qu'ils nous avaient promis nous fut donné, ce furent des chants patriotiques, qui éclatèrent simultanément; et toutes leurs voix se mêlèrent pour adresser les derniers hymnes à la Liberté. Ils parodiaient la chanson des Marseillais de cette sorte:

Contre nous de la tyrannie

Le couteau sanglant est levé, etc.

« Toute cette nuit affreuse retentit de leurs chants, et s'ils les interrompaient, c'était pour s'entretenir de leur patrie, et quelquefois aussi pour une saillie de Ducos.

« C'est la première fois qu'on a massacré en masse tant d'hommes extraordinaires. Jeunesse, beauté, génie, vertus, talents, tout ce qu'il y a d'intéressant parmi les hommes fut englouti d'un seul coup. Si les cannibales avaient des représentants, ils ne commettraient pas un pareil attentat.

« Nous étions tellement exaltés par leur courage, que nous ne ressentimes le coup que longtemps après qu'il fut porté.

« Nous marchions à grands pas, l'âme triomphante, de voir qu'une belle mort ne manquait pas à de si belles vies, et qu'ils remplissaient d'une ma

nière digne d'eux la seule tâche qu'il leur restat à remplir, celle de bien mourir.

« Mais quand ce courage, emprunté du leur, se fut refroidi, alors nous sentimes quelle perte nous venions de faire 1. Le désespoir devint notre partage. On se montrait en pleurant le misérable grabat que le grand Vergniaud avait quitté pour aller, les mains liées, porter sa tête sur l'échafaud. Valazé, Ducos et Fonfrède étaient sans cesse devant mes yeux. Les places qu'ils occupaient devinrent l'objet d'une vénération religieuse; et l'aristocratie même se faisait montrer, avec empressement et respect, les lits où avaient couché ces grands hommes. >>

Certes voilà bien des détails, et des détails précis ; -mais où est donc le banquet?

IX

Nous avons pris les Girondins dans la salle du tribunal révolutionnaire; nous les avons suivis dans l'escalier qui mène à la Conciergerie; nous avons entendu leurs chants, signe convenu avec leurs compagnons, pour leur annoncer de loin la

1 Il résulte évidemment de ce récit que, indépendamment des dix-neuf Girondins et de Riouffe, d'autres prisonniers étaient également renfermés dans la chapelle. Rien n'empêche de penser que Bailleul se trouvait parmi eux.

2 Riouffe, Mémoires d'un détenu, p. 64, 65, 66.

fatale sentence; nous ne les avons pas quittés d'un instant pendant leur dernière et tumultueuse nuit, et nous avons vu Vergniaud partir les mains liées pour monter sur la charrette. Qu'avons-nous trouvé? Des chants, des cris, de l'agitation, de l'exaltation, quelques retours vers la France, quelques saillies de Ducos; la seule chose dont nous n'ayons pas trouvé la moindre trace, c'est le célèbre et fantastique banquet. Et c'est bien simple: d'un côté, Bailleul, celui qui, caché dans Paris, dit-on, l'avait réglé et ordonné du fond de sa retraite, était sous les verrous de la Conciergerie, probablement dans la salle même des Girondins ; de l'autre, Sillery et Lasource, deux des orateurs du banquet, n'étaient même pas à la Conciergerie.

La tradition relative au banquet des Girondins est tout à fait moderne. Nous n'avons rien trouvé qui fût antérieur au récit de M. Thiers. Les journaux ou les mémoires contemporains n'y font pas la moindre allusion. Les Révolutions de Paris, par Prudhomme, celui de tous les journaux qui donne le plus de détails sur les derniers moments des Girondins, ne disent pas un mot du banquet '.

Qu'on songe au beau texte qu'un luxe pareil, déployé au fond d'une prison, aurait donné aux déclamations du Père Duchêne, et aux rapprochements

1 Revolutions de Paris, t. XVII, p. 146. 147, 148, 149, 150.

qui seraient sortis de la misère alors effroyable du peuple et du raffinement des Girondins condamnés!

D'ailleurs, on ne sait pas assez à quel point la donnée d'un tel banquet est insensée, placé en un tel moment.

La famine était générale en France; elle était affreuse à Paris. Le maximum avait été voté en principe le 10 octobre et organisé le 26 *.

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Le blé valait 200 francs le sac dans la Beauce 3; le poisson, 18 francs la livre ; les pommes de terre à peine connues, puisqu'elles n'avaient été importées en France qu'en 1785, s'élevèrent successivement jusqu'à 80 francs le boisseau .

Et savez-vous quelles formalités il fallait remplir afin d'avoir dans chaque famille strictement de quoi ne pas mourir de faim?

Les voici officiellement réglées par un arrêté du Conseil général de la Commune, en date du 8 brumaire, la veille même de la condamnation des Girondins :

<«< Article Ier. Dans le délai de trois jours, à dater du présent règlement, chaque chef de famille, chaque

1 Moniteur du 14 octobre 1793, séance de la Convention du 10. • Moniteur du 28 octobre 1793, séance de la Convention du 26. 3 Moniteur du 5 mai 1793, séance de la Convention du 2; disCours de Chasles.

• Moniteur du 12 mars 1794.

5 Feuille Villageoise, 29 mars 1792.

6 Moniteur du 24 octobre 1795, séance de la Convention du 18, discours de Louchet.

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