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Assemblée, pendant que trente mille émeutiers brisaient les lois, la Constitution et la monarchie. On discuta toute la journée au milieu de ces effroyables ruines, dégrèvement, échange d'enclaves, classement de districts. On eût dit que ce pouvoir législatif était sourd et aveugle, ou qu'il siégeait dans les espaces. Les esprits systématiques apportèrent encore leurs préoccupations. L'un demanda l'abolition de la prime payée par le gouvernement pour encourager la traite des négres'; l'autre demanda et obtint l'abolition de la loterie royale. Il y eut place, dans cette discussion, pour toutes les petites choses; nul ne parut songer aux grandes.

A deux heures du matin, le ministre de l'intérieur était venu informer l'Assemblée des dangers que courait le roi. On avait passé à l'ordre du jour, motivé sur ce que c'était aux magistrats du peuple et au pouvoir exécutif à veiller à la sûreté publique 2.

A trois heures, les ministres de l'intérieur et de la justice étaient venus prier l'Assemblée d'envoyer une députation aux Tuileries pour conjurer les dangers qui menaçaient le roi. Passé encore à l'ordre du jour motivé sur ce que le roi avait la faculté de se rendre à l'Assemblée quand il le jugerait convenable 3.

Procès-verbaux de l'Assemblée nationale, Séance du 10 août, t. XI, p. 484.

2 Ibid., p. 488.

3 Ibid., t. XII, p. 2.

Cette Assemblée voulait tenir le roi dans ses mains; elle l'eut à huit heures et demie, ne comprenant pas que l'insurrection le lui arracherait le lendemain.

Le roi, après les paroles qu'il avait prononcées, s'était assis à côté du président. Un membre fit observer que la Constitution s'opposait à ce que le pouvoir exécutif fùt présent aux délibérations du pouvoir législatif. Les factieux se servirent ainsi de la Constitution contre la monarchie, jusqu'au moment où il leur convint de la déchirer. Il y avait derrière le fauteuil du président, et à sa droite, une loge servant au rédacteur du Logographe, c'était un réduit de dix pieds de large sur six de haut, et pouvant à peine contenir six personnes assises'. Toute la famille royale fut entassée dans cette espèce de cachot, qui était le digne vestibule de la tour du Temple.

A quelques instants de là, et comme Vergniaud cédait le fauteuil à Guadet, feignant d'aller rédiger, au comité extraordinaire, lès décrets sur la déchéance qu'il avait en poche depuis un mois, un coup de canon ébranla les vitres du Manége.

C'était l'attaque du château des Tuileries par les Marseillais!

Si cette Assemblée factieuse n'avait pas été aveuglée par ses passions, elle aurait compris que ce coup

1 Mathon de la Varenne, Histoire particulière des evènements, etc., p. 115.

de canon inaugurait le règne de la démagogie, fondait le tribunal révolutionnaire, proclamait le Maximum et la Terreur; et qu'il abattait la puissance limitée de la monarchie, pour élever la puissance illimitée du bourreau!

LIVRE TREIZIÈME

SAC DES TUILERIES.-CHUTE DES GIRONDINS.

Massacres. Pillage du château.- Détails.—Qn tue jusqu'aux chiens. Suisses rôtis.-Coeur saignant mangé à l'eau-de-vie. -Retraite des gentilshommes et de quelques Suisses.-Les femmes de la reine sont sauvées.-Les Girondins se partagent les ministères pendant ces massacres.-Tarif des révolutions. -Ce que voulaient les Girondins.-Ils voulaient la monarchie avec leur tutelle.-Décrets qu'ils font rendre.-L'émeute leur ravit leur proie.—Tous les décrets des Girondins sont annulés.- La Commune de Paris s'empare de Louis XVI.— La famille royale est conduite au Temple.-Chute des Girondins.

:

I

Ce furent les Marseillais qui entrèrent les premiers aux Tuileries, après la retraite des Suisses, au cri de la Victoire est à nous! Ils la prenaient; le lecteur sait qu'ils ne l'avaient pas gagnée. Une foule innombrable, attirée, comme Barbaroux, par les premiers succès, s'y précipita après eux, et ce ne fut, au bout de quelques instants, qu'une fourmilière déguenillée, hurlante, sanglante, marchant, se poussant, se portant, se tordant, des caves jusqu'au falte. On suffoquait, on se pâmait dans cette four

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