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LIVRE ONZIÈME

HESITATION DE LOUIS XVI.

Vertus privées du roi.-Elles sont un défaut sur le trône.Paroles de Malesherbes.-Le roi pouvait sauver le trône par de la résolution.-Témoignage de Bertrand de Molleville et de Barbaroux.-Dispositions des troupes.-Opinion de l'empereur Napoléon sur le 10 août.-Conséquences de la faiblesse de Louis XVI.-Il eût mieux valu qu'il mourût assassiné.Désordre moral causé par son procès.-Divers projets de fuite.-Louis XVI les rejette.—Il négocie, au dernier moment, avec les Girondins.-Offres de ces derniers.-Préparatifs du 10 août.-Le tocsin.

I

Louis XVI disait un jour à Bertrand de Molleville, son intelligent et fidèle ministre, au sujet des transes mortelles dans lesquelles Paris était entretenu par les préparatifs manifestes du 10 août : « Il y a bien des chances contre moi, et je ne suis pas heureux. Si j'étais seul, je risquerais encore une tentative. Oh! si ma femme et mes enfants n'étaient pas avec moi, on verrait bien vite que je ne suis pas aussi faible qu'on se l'imagine. Mais quel serait leur sort, si les

mesures que vous m'indiquez n'étaient point suivies du succès! »

Ces paroles sont à la fois le plus grand éloge et le plus grand blâme qu'on puisse adresser à la mémoire de Louis XVI. Comme père de famille, il ne pouvait rien faire de plus touchant et de plus noble que de sacrifier sa vie, non pas même à la certitude, mais à la possibilité de sauver sa femme et ses enfants; comme roi, il n'avait le droit de songer à lui et aux siens, qu'après avoir songé à la France.

Homère avait admirablement nommé les rois, les pasteurs des peuples. Leurs devoirs sont grands et redoutables, comme leurs droits.

Le vénérable M. de Malesherbes disait de Louis XVI, avec raison : « Dans certaines circonstances, les vertus d'une vie privée, poussées jusqu'à un certain point, deviennent des vices sur le trône. » Louis XVI se perdit, il fit bien pis, il perdit la France par trop d'affection domestique pour les siens, et par trop de bienveillance et de douceur pour les hommes. Il ne voulut jamais être défendu jusqu'à effusion de sang, pas même contre les plus abominables factions le 5 octobre 1789, il désarma ses gardes-ducorps qui voulaient repousser les bandes de Maillard; le 10 août 1792, il désarma les Suisses qui voulaient repousser et qui repoussaient déjà les

:

1 Bertrand de Molleville, Mémoires, t. II, p. 262. Ibid., t. III, p. 24.

bandes de Santerre. Le malheureux prince ne considérait pas qu'en agissant ainsi, il livrait la vie de ses braves soldats aux lâches assassins qui ne tenaient aucun compte de sa clémence ; que, de plus, il livrait encore l'autorité, les lois et la société tout entière, dont la Providence lui avait confié la garde.

Les princes ne sauraient assez méditer sur les fautes graves que commit Louis XVI, comme souverain, en ne considérant pas que le pouvoir royal était la clef de voûte de la société française, et que les devoirs attachés à la couronne lui imposaient l'obligation de risquer mille fois sa vie pour préserver ses peuples de leur propre entraînement et de leurs propres folies. Le peu de sang qu'il eût pu en coûter eût coulé pour l'ordre et les lois; tandis que le bourreau en fit couler des torrents pour le triomphe et pour la glorification du crime.

Un prince, dans la situation de Louis XVI, défendant le pouvoir, la religion, la famille, n'a le droit de songer ni à ses enfants, ni à sa femme; la patrie et le devoir réclament son âme tout entière; et, détaché de tout ce qui n'est pas le triomphe des lois et le salut de la société, il n'a besoin que de deux choses: d'une épée pour combattre, et de six pieds de terre pour y attendre les regrets de son peuple et les acclamations de la postérité.

II

D'abord, pour un roi, plus encore que pour tout autre, la première et la meilleure de toutes les prudences, c'est la résolution; et l'on ne fabriquera jamais un bouclier qui vaille une poitrine nue. Tous les contemporains s'accordent à le dire: si Louis XVI fût monté à cheval, il eût vaincu l'émeute, dispersé les Jacobins, et sauvé la France.

« Même le 10 août, dit Bertrand de Molleville, si le roi fût resté au château, s'il eût attendu l'arrivée des Suisses de Courbevoie, que son départ devança d'un moment, il eût repoussé l'insurrection de ce fatal jour1.»

Barbaroux, qui ne saurait être suspect, tient le même langage.

<< Toutes les fautes de Santerre, dit-il, la marche lente du faubourg, les mauvaises dispositions de l'attaque, la terreur des uns, l'insouciance des autres, les forces du château, tout assurait la victoire à la si le roi n'eût pas quitté son poste. Il paraît qu'il eut d'abord l'intention de se battre, puisque, le matin, il avait passé en revue les Suisses et les chevaliers déguisés sous leur uniforme. S'il se fùt montré, s'il fut monté à cheval, la très-grande majo

cour,

Bertrand de Molleville, Memoires, t. III, p. 48.

rité des bataillons de Paris se fût déclarée pour lui. Mais il aima mieux se rendre à l'Assemblée nationale.

<< On dit que ce conseil lui fut donné par Roederer, et peut-être est-ce un coup de politique dont cet excellent administrateur peut s'honorer. La reine n'était pas de cet avis1. »

Une pièce officielle et inédite, le rapport circonstancié sur les événements du 10 août, adressé à Petion, d'après ses ordres, par Le Roux, officier municipal, ne laisse aucun doute sur les dispositions de la garde nationale. Passée en revue, le matin, dans la grande cour des Tuileries, par Louis XVI, elle l'accueillit, d'après ce rapport, avec les cris suivants :

Vive le roi! Vive Louis XVI! Vive le roi de la Constitution! C'est lui qui est notre roi! Nous n'en voulons pas d'autre ! Nous le voulons! A bas les factieux! A bas les Jacobins! Nous le défendrons jusqu'à la mort! Qu'il se mette à notre tête! Vive la nation, la loi, la Constitution! Tout cela ne fait qu'un!

« Ces cris, et d'autres semblables, ajoute le rapport, furent répétés dans toute la cour par chaque peloton, de troupes. J'observerai même qu'ils ne partirent que des gardes nationales; les Suisses ne dirent pas un mot; les canonniers ne dirent rien non plus. >>

1 Barbaroux, Mémoires, p. 69, 70.

-

Rapport de J.-J. Leroux, officier municipal, au maire de Paris, sur les événements du 10 août. Cette pièce officielle et inédite fait partie des papiers de Petion, déposés à la Bibliothèque impériale, manuscrits; — fonds français, n. 3,274, liasse n. 2.

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