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Mânes plaintifs de l'innocence,
Apaisez-vous dans vos tombeaux;
Le jour tardif de la vengeance
Fait enfin pâlir vos bourreaux.

Voyez déjà comme ils frémissent!
Ils n'osent fuir, les scélérats!
Les traces du sang qu'ils vomissent
Bientôt décéleraient leurs pas.
Oui, nous jurons sur votre tombe,
Par notre pays malheureux,
De ne faire qu'une hécatombe
De ces cannibales affreux.

Représentants d'un peuple juste,
O vous! législateurs humains,
De qui la contenance auguste
Fait trembler nos vils assassins,
Suivez le cours de votre gloire!
Vos noms, chers à l'humanité,
Volent au temple de mémoire,
Au sein de l'immortalité!

LIVRE DIXIÈME

PRÉPARATIFS DE LA RÉVOLUTION DU 10 AOUT.

Mesures prises par les Girondins après l'arrivée des Fédérés.Déclaration de la patrie en danger. - Elle anéantit la force légale. Enrôlement des volontaires. - Permanence des corps délibérants, clubs et sociétés populaires. - Excitations de la presse au renversement du roi.-Pétitions pour la déchéance. -Pétition de Paris, portée et lue par le maire.-Les sections de Paris, leur organisation, leur travail sourd et révolutionnaire.-Jeu double des Girondins.-Ils menacent le roi, pour l'amener à composition. - Témoignages de Roederer et de Bertrand de Molleville.-Lettre secrète des Girondins adressée au roi, par l'intermédiaire du peintre Boze. - Refus du roi d'accepter leurs conditions. Les sections débordent les Girondins.-Pétitions incendiaires.-Les Girondins cherchent à modérer le mouvement.-Ils envoient Petion à Robespierre. -Refus de ce dernier. - Revue des forces militaires des révolutionnaires. Les gardes suisses. La garde nationale de Paris. Les bonnets à poil.- Préparatifs du coup de main du 10 août.-Comité secret des Fédérés.-Rôles de Robespierre, de Danton et de Marat. Ils se cachent et laissent faire.Meneurs du 10 août.-Plans divers.-Réunions nocturnes.Dernières dispositions.

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I

Depuis que les Fédérés étaient arrivés à leur poste, et s'étaient emparés de la capitale en vainqueurs, il ne restait plus aux Girondins que deux mesures à prendre, pour être les maîtres de la France : désorganiser les services publics, et disperser la force

armée qui gardait le trône. Le premier de ces deux résultats allait être obtenu par le décret qui déclara la patrie en danger.

Les conjurés avaient imaginé cette nouveauté pendant le mois de juin. Le 30, Jean de Bry, rapporteur de la commission des Douze, fut d'avis qu'il était nécessaire de créer, par un décret, une nouvelle situation légale, qui serait placée à côté de la Constitution, et qui donnerait aux pouvoirs publics une existence et une action exceptionnelles. Cet état nouveau de la société serait formulé par la déclaration suivante, que le Corps législatif ferait par un acte: Citoyens, la patrie est en danger!

Ce supplément à la Constitution fut voté le 4 juillet; et ses effets légaux se trouvèrent principalement contenus dans les articles II et III du décret que voici :

<«< Article II. Aussitôt après la déclaration publiée, les Conseils de département et de district se rassembleront, et seront, ainsi que les municipalités et les Conseils généraux, en surveillance permanente. Tous les fonctionnaires publics, civils et militaires, se rendront à leur poste.

« Article III. Tous les citoyens en état de porter les armes, et ayant déjà fait le service des gardes nationales, seront aussi en état d'activité perma

nente'. >>

1 Moniteur du 6 juillet 1792.

Le décret du 4 juillet n'avait fait que créer et mettre à la disposition de l'Assemblée un moyen nouveau d'agiter le pays, et de porter au comble l'effervescence des éléments révolutionnaires ; il restait à attendre et à saisir le moment où ce moyen pourrait être utilement employé ; les Girondins crurent que ce moment était arrivé le 10 juillet. La discussion commença ce jour-là, et le lendemain, 11, le décret suivant fut rendu :

ACTE DU CORPS LEGISLATIF :

« Des troupes nombreuses s'avancent vers nos frontières. Tous ceux qui ont horreur de la liberté s'arment contre notre Constitution.

<< CITOYENS, LA PATRIE EST EN DANGER.

« Que ceux qui vont obtenir l'honneur de marcher les premiers pour défendre ce qu'ils ont de plus cher se souviennent toujours qu'ils sont Français et libres; que leurs concitoyens maintiennent dans leurs foyers la sûreté des personnes et des propriétés; que les magistrats du peuple veillent attentivement; que tous, dans un courage calme, attribut de la véritable force, attendent, pour agir, le signal de la loi, et la patrie est sauvée1. »

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La lecture de ces textes et des discours officiels ne donnerait aucune idée vraie de l'importance que les partis attachaient à la déclaration de la patrie en danger, et de l'usage qu'ils se proposaient d'en faire. Aucun d'eux, en cette occasion, n'était sincère dans son langage; et alors, comme en beaucoup de cas, le mensonge était dans les discours, et la vérité dans les réticences.

Voici comment un contemporain, fort mêlé à ces événements, s'exprime sur les vues diverses des partis en cette circonstance :

<«<La proclamation de la patrie en danger n'était pas une vaine formalité, une simple et stérile expression d'un fait douloureux. Cette formule devait être suivie d'effets légaux et d'effets magiques bien autrement considérables. Elle était accompagnée de sous-entendus fort différents, suivant les personnes qui la prononçaient, ou pour qui elle était prononcée.

<< Les royalistes constitutionnels entendaient, ou tâchaient de se persuader que le pire effet de cette proclamation serait de substituer à l'autorité des ministres et du roi celle des corps administratifs de département, et ils espéraient au moins le maintien d'un peu d'ordre sous une autorité qui, en général, s'était montrée indignée des attentats du 20 juin.

<«<Les Jacobins, et avec eux la multitude, entendaient d'abord l'anéantissement du pouvoir royal,

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