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faire massacrer dans la nuit du 9 au 10 mars n'était sûrement pas disposé à les làcher au mois d'octobre.

Alors à quoi bon s'abaisser dans leur propre estime et s'humilier aux yeux de l'histoire? Quel profit pensait tirer Antiboul de son triste mensonge, lorsqu'il se justifiait d'avoir déserté la Montagne pour le Marais, en disant qu'il s'était rapproché afin de mieux entendre ? A qui Vigée espéraitil faire croire que s'il siégeait à droite, c'était uniquement parce qu'il était sourd de l'oreille gauche La France est, avant tout, un pays de loyauté et de courage. Le public du tribunal révolutionnaire levait les épaules en écoutant ces paroles honteuses, et Fouquier-Tinville s'enhardissait dans la résolution de tuer d'un seul coup tout un parti, par l'idée de le trouver si menteur et si lâche.

Chose étrange! ces mêmes Girondins, tremblants en face de la mort, avaient affiché dans les Assemblées une bravoure poussée jusqu'à la fanfaronnade; on ne compterait pas les serments individuels et spontanés qu'ils firent de mourir à leur poste, et ils renouvelèrent tous ensemble et avec solennité ce serment, sur la motion de Vergniaud, le 31 mai 1793. Isnard, le plus bruyant de tous, n'avait pas trouvé que ce fût assez de mourir sur son bane; dans

↑ Bulletin du Tribunal revolutionnaire, n. 63, p. 249.

* Ibid. n. 57, p. 226.

3 Monteur du 1 juin 1793.

un discours prononcé le 9 août à l'Assemblée légistive, il s'était écrié : « Si un décret me condamnait à mort et que personne ne voulut me conduire au supplice, j'irais moi-même '. » Naturellement, Isnard se sauva le premier de tous, et n'eut même pas le courage d'aller jusqu'au bout, dans la lutte.

Au moment où, le 2 juin, la Convention était repoussée dans son enceinte par le sabre d'Hanriot, et que la populace, maîtresse de l'Assemblée, demandait l'arrestation des Girondins, Barrère proposa comme moyen terme, au nom du Comité du salut public, que les députés proscrits sortissent volontairement de l'Assemblée par une démission. Quatre d'entre eux saisirent avec empressement ce moyen de salut, et le premier qui parla, ce fut Isnard. Les trois autres qui suivirent son exemple furent Lanthénas, Fauchet et Dussaulx; et nul ne peut dire ce que seraient devenus tous ces fiers courages, si Marat, le maître ce jour-là, n'avait blàmé hautement la proposition du Comité de salut public et arrêté les démissions en disant : « qu'il fallait être pur pour offrir des sacrifices à la patrie. » Proscrit et mis hors la loi, Isnard se sauva prudemment, et ne reparut qu'après le 9 thermidor.

Plusieurs des Girondins mis en arrestation chez

1 Moniteur du 11 août 1792.

Il faut lire la séance du 2 juin 1793 dans Prudhomme, Révolutions de Paris, t. XVI, p. 473 et suiv.

eux par un décret du 2 juin ne crurent pas à un danger imminent et se laissèrent arrêter sans chercher à fuir. Vergniaud fut de ce nombre, et il se mit volontairement sous la garde de son gendarme. Bergoeing et Barbaroux s'échappèrent, après leur arrestation1; le plus grand nombre n'attendit pas le dernier moment et prit la fuite. Parmi ceux qui se dispersèrent dans les départements étaient : Louvet, Petion, Barbaroux, Salles, Buzot, Cussy, Lesage, Giroust, Meillan, Languinais, Guadet, Valady, Larivière, Duchâtel, Kervélégan, Molle vault, Gorsas, Lidon, Rabaut-Saint-Étienne, Brissot, Chambon, Grangeneuve, Vigée et Ducos 3.

Tant de décousu, de mobilité et d'antipathies réciproques est incompatible avec l'idée d'un parti politique. Les Girondins ne méritaient pas ce nom, et deux causes seules ont pu le leur faire attribuer : la juste horreur attachée à la mémoire des Montagnards qui les immolèrent, et la tournure romanesque donnée de nos jours au récit de leurs malheurs.

1 Prudhomme, Révolutions de Paris, t. XVI, p. 560. Louvet, Mémoires, p. 66-67.

Prudhomme, Révolutions de Paris, t. XVI, p. 560.

LIVRE DEUXIÈME

FABLE DU DERNIER BANQUET DES GIRONDINS.

SOMMAIRE.—Inscriptions de la prison des Carmes attribuées aux Girondins. Ils ne sont jamais entrés dans cette prison.Fondement de la légende du dernier banquet.-Imaginée par M. Thiers, elle est amplifiée par M. Ch. Nodier.- Détails donnés par M. de Lamartine.-Toutes ces circonstances sont controuvées.-Preuves qui établissent que le banquet n'a jamais eu lieu. - Sillery et Lasource, que M. de Lamartine fait parler, n'étaient pas à la Conciergerie.-Témoignage de Riouffe.

I

L'un des plus graves et des plus justes reproches qu'aura mérités la littérature de notre temps, ce sera d'avoir manqué à la dignité de l'histoire, en mêlant à ses récits, de propos délibéré, des fables ridicules, dans le seul but de plaire aux partis, ou d'ajouter, par des inventions romanesques, à l'agrément et au succès d'un ouvrage. Si de tels écarts étaient tolérés dans le récit des événements contemporains, qui sont toujours d'un facile contrôle, quelle pourrait être l'autorité générale de la tradition, appliquée aux faits déjà lointains par le temps et par l'espace?

Deux légendes, toutes deux également gratuites,

ont été imaginées, ornées et répandues, en vue de poétiser et de glorifier les Girondins. L'une est le récit de leur séjour dans la prison des Carmes ; l'autre est le récit de leur dernier banquet, après leur condamnation.

Les anciennes prisons de Paris s'étant trouvées insuffisantes, lorsque les prisonniers destinés au supplice s'élevèrent à une moyenne à peu près constante de cinq mille, il fallut y suppléer à l'aide d'anciens hôtels d'émigrés ou d'anciennes maisons religieuses. Du nombre de ces dernières se trouva la prison des Carmes de la rue de Vaugirard, portant aujourd'hui le n° 70. On montre encore, dans les combles de cette maison, une chambrette dont une tradition complétement erronée fait la prison des Girondins. Les murs sont couverts d'inscriptions latines, françaises et allemandes, exprimant en général des pensées tristes ou exaltées. M. de Lamartine ne s'est pas borné à consacrer la fausse tradition relative au séjour des Girondins dans cette chambrette; il a pris sur lui de faire, entre eux, le partage des inscriptions, en attribuant sans doute à chacun d'eux celle qui semblait se rapporter le plus directement à son caractère.

« Quand leur procès fut décidé, dit-il, on resserra encore leur captivité. On les enferma pour quelques jours dans l'immense maison des Carmes de la rue de Vaugirard, monastère converti en prison et rendu

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