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LIVRE SEPTIÈME

INTERVENTION ET FUITE DE LA FAYETTE.

Situation, précédents et caractère de La Fayette.— Sa vanité et sa faiblesse. Motifs de son arrivée à Paris. Plan pour sauver le roi.-Lettre de La Fayette à l'Assemblée, écrite du camp de Maubeuge.--Contraste de ses actes et de son langage. Son discours à la barre. - Situation où il trouvait les esprits. Adresses des départements. Les Girondins attaquent La Fayette.- Sortie violente de Guadet. - Hésitation du roi. Ses motifs. Résultat funeste de la démarche de La Fayette. Elle groupe tous les ennemis du roi et hâte la chute du trône.-La Fayette quitte Paris.

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I

C'était un étrange spectacle de voir La Fayette arriver de son camp de Maubeuge, l'épée à la main, pour combattre le parti de la Gironde. Si quelque coup de la fortune avait voulu que La Fayette n'arrivât des États-Unis qu'en 1792, il eût certainement été Girondin.

Jamais, en effet, personne ne représenta mieux et ne résuma plus complétement que La Fayette la politique à deux faces et l'ambition à deux fins, aidant la révolution qui les aide, combattant la révolution

qui les combat, applaudissant à la prise de la Bastille qui les porte au pouvoir, maudissant la prise des Tuileries qui les en chasse, toujours prêtes à soutenir, selon leurs intérêts, la monarchie ou la république, trouvant criminel que d'autres fassent le 20 juin, après avoir fait elles-mêmes le 6 octobre, n'ayant pas assez de colère et assez d'horreur pour Maillard et pour les massacres exécutés dans les prisons de Paris, en septembre 1792, après avoir voté l'amnistie de Jourdan-Coupe-Tête, et des massacres exécutés dans les prisons d'Avignon, en octobre 1791.

Après deux années d'une position toute-puissante, acquise par la déloyauté et par l'émeute, conservée au prix de vingt capitulations honteuses accordées à la basse popularité et à la peur, La Fayette s'était retiré dans ses terres, à Saint-Pourçain, en Auvergne, au mois d'octobre 1791, abandonné de la faveur publique, dont il avait été l'idole, haï et méprisé des révolutionnaires, dont il avait été le chef.

Il s'était rendu, le 8 octobre, à l'assemblée générale de la Commune de Paris, dont il avait été trois ans le maître, et il y avait donné lecture d'un discours d'adieu, qui était, comme tout ce qu'il faisait, une apologie de sa personne et de sa vie. « Dans la crainte, dit Prudhomme, d'être défiguré par les tachygraphes attachés à ses pas, il a pris soin d'en délivrer lui-même bon nombre de copies; et en effet ce morceau est trop curieux, pour n'être point transmis

aux races futures, dans toute son intégrité 1. » On a vu Petion placarder ses vertus; La Fayette imprimait les siennes. Ce discours était signé La Fayette; sur quoi les journalistes démagogues lui reprochaient de ne pas exécuter le décret contre les noms de seigneurie, qu'il avait contribué à faire rendre, et de ne point s'appeler Motier, comme Mathieu de Montmorency s'appelait Bouchard".

La Fayette partit de Paris le 9 octobre 1791, comblé par la Commune de Paris, qui lui décerna une épée d'or et une médaille, sans compter son buste, dont elle avait depuis longtemps orné le lieu de ses séances 3.

Les épées honorifiques étaient une mode de ce temps; et l'Assemblée législative en avait déjà décerné une, avec trente mille francs, au maître de poste Drouet, qui arrêta Louis XVI à Varennes *. Il n'y eut pas jusqu'à Robespierre que l'idée d'un sabre de parade ne tentât, et il se le décerna lui-même, pour n'en devoir la faveur à personne. Il était orné de nacre et d'or, et c'était le peintre David qui en avait fait les dessins ".

1 Prudhomme, Révolutions de Paris, t. X, p. 50.

2 Idid., t. X, p. 59.

3 Ibid., t. X, P. 60.

Moniteur du 19 août 1791.

5 Le Moniteur du 14 thermidor an III,-1er août 1795,-s'exprime ainsi sur le sabre de Robespierre:

<< Lemoine présente le sabre que Robespierre avait fait faire pour lui, sur les dessins de David. Ce roi des sans-culottes, qui prêchait sans cesse la simplicité, aimait cependant le faste au

Les monuments consacrés par la Commune de Paris à la gloire de La Fayette furent de bien courte durée. Son buste fut brisé, au milieu des imprécations populaires, le 10 août 1792, avec ceux de Bailly, de Necker et de Louis XVI, comme si la Providence avait voulu donner au malheureux roi la consolation de voir tomber avec lui les intrigants qui avaient miné son trône; et sa médaille fut, par arrêté de la Commune, brisée sur le plancher de la guillotine par la main du bourreau1. Le délire de la haine contre La Fayette inspira même à la Commune du 10 août un acte digne des empereurs les plus extravagants de la dynastie syrienne. Tous ceux qui avaient prêté serment à l'ancien commandant de la garde nationale de Paris furent déclarés incapables d'occuper des fonctions publiques.

II

Deux raisons, l'une qu'il disait, l'autre qu'on devinait, avaient déterminé La Fayette à se retirer dans ses terres, au mois d'octobre 1791.

D'abord, il était bien aise de ressembler à

tant que personne. Ce sabre est tout brillant d'or et de nacre; on lit sur la ceinture: Liberté, égalité. »

1 Procès-verbaux de la Commune de Paris, du 10 et du 17 août 1792.

? Procès-verbal de la Commune de Paris, du 17 août 1792.

Washington en quelque chose; et il y aurait eu, en effet, une certaine grandeur à rentrer dans la vie privée, après trois années d'une magistrature immense, si, en prenant la route des champs, La Fayette avait pu se dire qu'il avait accompli une œuvre politique, et si, au lieu d'être close et accomplie, la Révolution n'avait pas, en ce moment même, repris sa course, plus violente et plus échevelée que jamais.

Mais, indépendamment de la démagogie qui le débordait, La Fayette s'en allait dans ses terres, parce que son séjour à Paris n'était plus possible, en butte qu'il y eût été aux attaques incessantes d'une presse déchaînée. Ce n'était pas lui qui quittait le pouvoir, c'était le pouvoir qui le quittait; car la nouvelle organisation de la garde nationale de Paris supprimait la place de commandant général, et attribuait le commandement tour à tour, et pendant un mois, aux chefs des quatre légions. Dès que La Fayette ne pouvait plus être le maître, sa situation et son orgueil lui imposaient l'obligation de n'être plus rien.

Il y parut bien au mois de novembre suivant. On fit, conformément à la Constitution, l'élection du nouveau maire de Paris. Les amis de La Fayette le portèrent comme candidat à la mairie, et il accourut à Paris, incognito, pour le jour solennel, qui était le 17 novembre; mais sa déconvenue fut immense, car il n'obtint que trois mille voix. Petion, son vainqueur, n'en eut lui-même que neuf mille; car, mal

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