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« L'exécution a eu lieu le lendemain, vers trois heures de relevée. Le long de la route, elle s'entretenait et semblait plaisanter avec Lamarche, son camarade de voyage, qui paraissait beaucoup plus défait qu'elle '.

Le jour où elle trouva madame Petion à SaintePélagie, madame Roland lui avait adressé ces mots : « Je ne croyais guère, lorsque je fus à la mairie, le 10 août 1792, partager vos inquiétudes, que nous ferions l'anniversaire à Sainte-Pélagie, et que la chute du trône préparait notre disgrâce 2. »

Ces paroles sont le résumé le plus précis et le plus fidèle de la politique et de la vie des Girondins.

1 Bulletin du Tribunal révolutionnaire, 2e partie, no 76, p. 302. 2 Madame Roland, Mémoires, 2o partie, p. 54.

LIVRE SIXIÈME

PRÉPARATIFS DE LA RÉVOLUTION DU 10 AOUT.

Elle est restée saine. L'opinion à Paris et en province. Proclamation du roi.-Adresses des départements.-Pétition monarchique des habitants de Paris.- Craintes des Girondins. -Ils cherchent des complices au faubourg Saint-Antoine.Lutte de Petion contre le roi.-L'orateur populaire Gonchon. - Il est soudoyé par les Girondins. Les Jacobins provoquent des adresses démagogiques dans les départements. La Fayette écrit à l'Assemblée et se présente à sa barre.

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I

Le lecteur connaît maintenant les Girondins ; il les a vus dépouillés de la poésie dont les avait ornés la légende, dans la triste et vulgaire réalité de leur philosophie, de leur politique et de leurs passions. Désormais, éclairé par les faits, prémuni contre les fantaisies, il pourra les suivre avec fruit dans les préparatifs et dans l'accomplissement de la révolution du 10 août.

La population de Paris était restée étrangère à

l'envahissement du château des Tuileries, ainsi qu'aux grossières insultes prodiguées au roi et à la reine, pendant l'odieuse journée du 20 juin 1792; et la ville était réellement humiliée et indignée de cet attentat, dirigé par les Girondins et exécuté par des misérables, la lie des faubourgs et des barrières, quelques-uns payés, les autres entraînés, sans savoir où ils allaient.

<< Rien n'était plus ordinaire que cette espèce de fraude, dit Meillan on faisait parler les sections, les faubourgs; on les mettait en mouvement, même à leur insu. Nous vimes arriver un jour le faubourg Saint-Antoine, au nombre de huit à neuf mille hommes. Eh bien! ce faubourg Saint-Antoine était composé d'environ cinquante bandits, à peine connus dans le quartier, qui avaient ramassé sur la route tout ce qu'ils avaient aperçu dans les ateliers et les boutiques, pour former une masse imposante. Ces bonnes gens étaient sur la place Vendôme, fort ennuyés, ne sachant pourquoi ils étaient venus, et attendant avec impatience que les meneurs leur permissent de se retirer.

:

« On fit plus de prétendus députés des quarantehuit sections se présentèrent un jour à l'Assemblée. Leur visite inattendue inspira des soupçons; on en vint à vérifier leurs pouvoirs; treize ou quatorze seulement en avaient reçu de leurs sections, ou plutôt des factieux qui s'arrogeaient le droit de les repré

senter. Et cela s'appelait l'opinion publique, le cri de la nation'!»

La disposition générale des esprits à plaindre un roi, une reine et leurs enfants, accablés d'ignobles outrages dans leur palais, ouvert à coups de hache, fut merveilleusement excitée par une proclamation du roi, rédigée par M. Terrier de Montciel, ministre de l'intérieur, et dans laquelle se trouvaient exposés, avec simplicité et avec dignité, les sentiments les plus élevés et les plus nobles.

« Les Français, disait la proclamation, n'auront pas appris sans douleur qu'une multitude égarée par quelques factieux est venue à main armée dans l'habitation du roi, a trainé du canon jusque dans la salle des Gardes, a enfoncé les portes de son appartement à coups de hache, et là, abusant odieusement du nom de la nation, elle a tenté d'obtenir par la force la sanction que Sa Majesté a constitutionnellement refusée à deux décrets 2.

« Le roi n'a opposé aux menaces et aux insultes des factieux que sa conscience et son amour pour le bien public.

« Le roi ignore quel sera le terme où ils voudront

1 Meillan, Mémoires, p. 112.

2 Le décret qui prononçait la déportation des prêtres dits réfractaires, c'est-à-dire restés fidèles à l'Église catholique, et le décret qui ordonnait l'établissement d'un camp de vingt mille Fédérés sous Paris.

« Ces deux décrets, dit madame Roland, étaient nécessaires pour soumettre la cour. »

s'arrêter; mais il a besoin de dire à la nation française que la violence, à quelque excès qu'on veuille la porter, ne lui arrachera jamais un consentement à tout ce qu'il croira contraire à l'intérêt public.

<«< Il expose sans regret sa tranquillité, sa sûreté; il sacrifie même sans peine les droits qui appartiennent à tous les hommes, et que la loi devrait faire respecter chez lui comme chez tous les citoyens; mais, comme représentant héréditaire de la nation française, il a des devoirs sévères à remplir; et, s'il peut faire le sacrifice de son repos, il ne fera pas le sacrifice de ses devoirs.

« Si ceux qui veulent renverser la monarchie ont besoin d'un crime de plus, ils peuvent le commettre. Dans l'état de crise où elle se trouve, le roi donnera, jusqu'au dernier moment, à toutes les autorités constituées, l'exemple du courage et de la fermeté. En conséquence, il ordonne à tous les corps administratifs et municipalités de veiller à la sûreté des personnes et des propriétés.

«Fait à Paris, le 22 juin 1792'. »

Il n'y avait d'ailleurs rien de joué ou d'exagéré dans cette admirable sérénité de Louis XVI. « Il avait, dit l'un de ses ministres de cette époque, le caractère très-faible, et cependant une grande fer

1 Moniteur du 24 juin 1792.

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