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et de Danton, à pouvoir faire passer pour apocryphes les foudroyantes révélations de madame Roland, qui fut, sous le nom de son mari, le vrai ministre de l'intérieur, avant et après le 10 août 1792. Le lecteur va d'ailleurs être juge de la question; voici comment s'expriment les auteurs de l'Histoire parlementaire de la Révolution française.

« Les Mémoires de madame Roland parurent un peu après ceux de Riouffe (avril 1794). Neuf mois s'étaient écoulés depuis la réaction thermidorienne, et chacun avait eu le temps de préparer les œuvres posthumes des siens. Celles de madame Roland furent éditées par un de ses amis. Nous lisons dans le Moniteur, numéro du 27 avril (8 floréal) 1795, un article de Trouvé, qui commence ainsi :

<< Nous avons annoncé, il y a quelques jours, un << ouvrage intitulé: Appel à l'impartiale postérité, « par la citoyenne Roland, femme du ministre de « l'intérieur. L'éditeur, le citoyen Bose, annonce, <«< dans un avertissement, que ce recueil formera « quatre parties, et que c'est la seule propriété « d'Eudora, fille de Roland, fille unique et chérie, « dont la figure touchante possède déjà toutes les

1 D'abord, cette date d'avril 1794 est inexacte quant aux Mẻmoires de Riouffe, qui parurent en effet en 1794, mais après la mort de Robespierre, c'est-à-dire du mois d'août au mois de décembre. Ensuite, les Mémoires de madame Roland parurent non pas un peu après, mais du 15 avril au 8 mai 1795, c'est-à-dire au moins quatre mois plus tard,

« grâces de sa mère, et dont le cœur en promet <<< toutes les vertus. »

« L'authenticité fort douteuse de cette première partie n'a d'autre fondement que la mention faite, par le Bulletin du Tribunal révolutionnaire, d'un mémoire justificatif dont madame Roland entreprit la lecture devant ses juges. Il est possible que ce manuscrit ait été conservé, et c'est sur cette possibilité, fort précaire, que repose, en ce cas, toute la créance que l'on devrait à l'éditeur.

Quant aux trois autres parties, les deux dernières surtout, où madame Roland raconte son enfance, sa puberté, etc., elles sont plus que suspectes d'être apocryphes.

« Ce livre est trop bien calculé pour les goûts connus de la société thermidorienne, ou, si l'on veut, écrit par quelqu'un trop naïvement inspiré par les sentiments de cette société, pour que l'on puisse en douter un instant. Tous les ouvrages de la même époque présentent une telle uniformité, qu'on les croirait sortis de la même plume.

« Le cachet qui les distingue, et qui était, en effet, la condition de la vogue au sein d'une dépravation* aussi effrénée que celle dont le Directoire donna l'exemple, c'est l'obscénité.

« Les hommes qui prennent la plume pour réhabiliter ou pour venger les victimes de la Terreur cherchent presque toujours à rendre leurs héros

intéressants, en les montrant avides de plaisirs et de jouissances, et enclins à tous les vices aimables. Et comment ne pas exécrer les hommes féroces qui, sous le chimérique et vain prétexte du salut public, ont troublé, ou torturé, ou brisé des existences vouées au bonheur et à la volupté?

« Les Mémoires de madame Roland sont un livre de cette espèce; ils sont un mauvais livre dans toute la rigueur du mot. Ils ne lui seraient donc imputables que si elle les avait publiés elle-même'. »

Le lecteur remarquera qu'il s'agit de savoir, non pas si les Mémoires de madame Roland sont un livre moral, mais s'ils sont un livre authentique. Or, que résulte-t-il au premier abord du jugement porté sur ces Mémoires par les auteurs de l'Histoire parlementaire?-Il en résulte cette vérité manifeste, fondée sur quatre faits matériels, que ces deux écrivains, qui ont nié l'authenticité des Mémoires de madame Roland, ne les ont jamais lus, ni l'un ni l'autre.

VI

Les Mémoires de madame Roland comprennent quatre parties les deux premières, relatives à la vie politique de Roland et de sa femme; les deux der

:

1 Buchez et Roux, Histoire parlementaire de la Révolution française, t. XXXI, p. 98, 99.

nières, relatives à leur vie privée. Ces Mémoires, à l'exception de quelques lettres qui les terminent, furent écrits en prison par madame Roland; la première partie, à l'Abbaye; les trois autres, à Sainte-Pélagie.

Sortie de l'Abbaye le 23 juin 1793, madame Roland fut arrêtée le même jour et conduite à Sainte-Pélagie. Dans la confusion de sa sortie et de son transférement, elle perdit, ou crut avoir perdu la portion de ses Mémoires déjà rédigée qui comprenait les portraits des personnages politiques; elle reprit son travail à Sainte-Pélagie, et refit, souvent dans les mêmes termes, le travail qu'elle avait déjà composé. La première et la deuxième partie des Mémoires de madame Roland sont donc absolument le même sujet, traité deux fois de suite, à quelques jours d'intervalle '.

Cela étant, si les auteurs de l'Histoire parlementaire avaient lu les Mémoires, ils n'auraient pas, comme ils l'ont fait, accordé à demi l'authenticité de la première partie, et nié radicalement l'authenticité des trois dernières; car la première et la deuxième étant le même ouvrage, il faut, de toute nécessité, qu'elles soient ou également authentiques, ou également apocryphes.

D'ailleurs, quelle preuve plus évidente pourrait-on demander de l'authenticité des Mémoires, que cette Voir là-dessus les Mémoires, 2 partie, p. 34.

partie politique, la plus importante de toutes, composée deux fois, avec les mêmes faits, les mêmes idées, les mêmes détails, souvent les mêmes mots, mais où la première version a plus de verve, plus de liberté, plus d'esprit, plus d'étendue; tandis que la seconde, composée de nouveau, recherchant des aperçus, des traits, des souvenirs disparus, se traîne avec fatigue, avec regret, avec embarras, dans une voie où l'imagination épuisée est suppléée par la mémoire? Conçoit-on qu'un faussaire, ayant déjà raconté avec éclat la vie politique de Roland et de sa femme, la racontât une seconde fois d'une ma.. nière terne et décousue?

D'un autre côté, l'Histoire parlementaire fait reposer l'authenticité fort douteuse de la première partie des Mémoires uniquement sur la conservation possible, mais peu probable, du manuscrit d'un mémoire justificatif, mentionné par le Bulletin du Tribunal révolutionnaire, et que madame Roland avait essayé de lire devant ses juges'.

1 On lit, en effet, dins le Bulletin du Tribunal révolutionnaire, n. 76, 2e partie :

« L'accusée fait lecture d'un aperçu sommaire de sa conduite politique depuis le commencement de la révolution. Comme cet écrit respirait le fédéralisme d'un bout à l'autre, le président en a interrompu la lecture, en observant à l'accusée qu'elle ne pouvait abuser de la parole pour faire l'éloge du crime, c'est-à-dire de Brissot et consorts.

« L'accusée s'est emportée en invectives contre les membres du tribunal. Se tournant vers l'auditoire, elle a dit : « Je vous << demande acte de la violence que l'on me fait! » A quoi le peuple a répondu : Vive la République! A bas les traîtres! »

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