Page images
PDF
EPUB

poferent leurs articles; & l'empereur les ayant acceptés, il y eut un traité de paix dans les formes. Frédéric s'occupa alors à maintenir la paix dans l'empire. Il affembla une diete à Nuremberg, & enfuite à Mayence: dans celle-ci, il y fit déclarer folemnellement fon fils roi des Romains, & il le créa chevalier avec le prince Frédéric fon fecond fils, il voulut même obferver les cérémonies alors en ufage. Le nouveau chevalier faifoit la veille des armes, enfuite on le mettoit au bain; il venoit recevoir l'accolade & le baifer en tunique, des chevaliers lui attachoient fes éperons ; il offroit fon épée à Dieu & aux Saints on le revêtoit d'un épitoge, manteau fait en façon de chappe, qui defcendoit jufqu'à terre, auquel on ajoutoit un chaperon; mais ce qu'il y avoit de plus bifarre, c'eft qu'on lui fervoit à dîner fans qu'il lui fût permis de manger & de boire.

Après cette cérémonie, on traita la grande querelle des terres de la comteffe Mathilde: c'étoit une ample donation faite à l'église Romaine, au préjudice de Henri IV, qui y avoit droit comme plus proche héritier de Mathilde. Cette affaire avoit occafionné un procès fans fin entre le faint fiege & les empereurs; & malgré les efforts de ces derniers pour faire calfer cette donation, l'église Romaine en poffede aujourd'hui la plus grande partie dans cette contrée, appellée la province du patrimoine. Comme on ne put convenir de rien, cette conteftation brouilla l'empereur avec le pape, qui refufa de couronner empereur Henri. Frédéric fe paffa du miniftere du pape; il alla faire couronner fon fils roi d'Italie à Milan, & on y apporta la couronne de fer qui étoit à Monza : enfuite il envoya le roi de Sardaigne dans les villes du patrimoine de faint Pierre, pour y foutenir fes droits de fouverain: il vifita les villes de Lombardie, & s'affura de la difpofition des peuples à fon égard. L'année suivante il maria à Milan fon fils Henri avec Conftance de Sicile, fille de Roger II, roi de Sicile & de Naples, elle étoit héritiere préfomptive de ce royaume, mais ce mariage fut la fource des plus grands & des plus longs malheurs.

Un nouvel événement affligea Frédéric. La Poméranie qui étoit vaffale de l'empire, fut fubjuguée par Canut, roi de Danemarc, & devint vassale des Danois. Slefwic devint un duché du Danemarc. Ainfi ce royaume, qui auparavant relevoit lui-même de l'Allemagne, lui ôta tout d'un coup deux provinces. L'empereur crut compenfer cette perte en confervant la couronne de Boheme à un roi que les fujets venoient de dépofer. Il fe déclara contre le comte de Savoie; il détacha plufieurs fiefs de ce comté, & entr'autres les évêchés de Turin & de Geneve; les évêques de ces villes devinrent feigneurs de l'empire. De-là les querelles perpétuelles entre les évêques & les comtes de Geneve.

Pendant que l'empereur s'appliquoit à mettre le bon ordre dans l'Allemagne, on apprit que le fultan Saladin avoit pris Jérufalem. Cette nouvelle jetta la confternation parmi les princes de l'Europe. Comme leur union avoit autrefois procuré la conquête du royaume de Jérusalem

le

pape Clément III fit prêcher une croifade. L'empereur, pour feconder le deffein de ce pontife, tint une diete à Mayence, dans laquelle on fit la lecture de la relation de la prise de Jérufalem, & du trifte état des chrétiens dans ce pays. On exhorta tout le monde à la croifade: l'empereur fe croifa le premier; fon fils Frédéric duc de Suabe, & foixante-huit des plus grands feigneurs d'Allemagne fuivirent fon exemple. Le rendez-vous fut à Ratisbonne. On s'étonna avec raifon que l'empereur à l'âge de foixantehuit ans voulût renouveller des entreprises dont un prince fage devoit être défabufé; mais il montra au contraire beaucoup d'ardeur pour cette expédition: il eft vrai que la bonté de fon tempérament, en lui donnant la majefté d'un vieillard, lui avoit confervé toute la vigueur de la jeunesse; d'ailleurs il avoit donné des marques de fa capacité depuis trente-fix ans qu'il gouvernoit l'empire Germanique. Ce prince prit toutes les précautions néceffaires pour la fureté de fes Etats pendant fon absence. Il révoqua le décret de profcription qu'il avoit donné contre Henri-le-Lion, & lui fir jurer qu'il ne feroit aucune tentative pour rentrer dans les Etats dont fl avoit été dépouillé. Comme il vouloit mener une nombreufe armée dans la Palestine, & qu'on avoit befoin de fommes confidérables, il impofa une taxe fur tous les meubles & immeubles de ceux qui ne fe croifoient pas : cette taxe fut le dixieme de leurs revenus, & on l'appella la dixme faladine. Le clergé de son côté travailla à lui procurer des foldats. Les chaires ne retentiffoient que du mérite qu'il y avoit à fe croifer: les confeffeurs exhortoient les grands pécheurs à accepter pour pénitence le voyage de la Terre Sainte. Frédéric écrivit auffi à l'empereur de Conftantinople pour lui demander le paffage fur fes Etats, & des vivres en payant. Cet empereur étoit Ifaac l'Ange, prince léger & inconftant, qui aimoit à jouir des douceurs de l'empire, & qui fut alarmé de cette nouvelle. Le rendez-vous général des troupes fut à Presbourg. L'armée fe trouva compofée de cent cinquante mille hommes. La marche fut tranquille dans le paffage de la Hongrie mais à peine l'armée fut-elle entrée dans la Bulgarie fur les terres des Grecs, qu'au lieu d'alliés & de chrétiens, elle trouva par-tout des ennemis & des barbares. La trahifon d'Ifaac l'Ange en étoit la cause : il avoit fait un traité avec le fultan d'Iconium, par lequel ce prince lui donnoit la Palestine s'il s'oppofoit à la marche des croifés. Ifaac fit boucher la plupart des paffages pour retarder les Allemands dans leur marche, & les fit harceler de tous côtés. Les croisés irrités de l'infidélité des Grecs, forcerent les paffages, donnerent plufieurs combats, tirerent des contribu tions d'où ils purent, & avec toute la rigueur que la vengeance leur infpiroit. La difette des vivres obligea Frédéric à séparer fon armée : il s'empara d'Andrinople. Ifaac fut obligé de demander la paix il offiit les vaisfeaux néceffaires pour paffer en Afie; & les Allemands promirent de ne pas quitter les grands chemins, & de n'entrer dans aucune ville. Frédéric paffa l'hiver à Andrinople au mois de Mars fuivant, l'armée traverfa l'Hellef

pont, & arriva à Laodicée où elle trouva des rafraîchiffemens; mais audelà elle fut conduite par des guides qui étoient des traîtres, dans des pays déferts, & attaquée par les Turcs qui harceloient les croifés de tous côtés. Il falloit tous les jours livrer des combats pour comble de maux, les vivres se consumerent dans une fi longue marche. La famine se mit dans l'armée; on fut réduit à manger les mulets & les chevaux. Cependant Frédéric s'avançoit toujours vers Iconium. Les Sarrafins vinrent au devant au nombre de près de trois cents mille hommes; mais ils ne purent foutenir les efforts incroyables des Allemands: ils furent défaits, prirent la fuite, & laifferent plus de dix mille morts fur la place. Les vainqueurs s'avancerent jufqu'à Iconium, entrerent dans la ville, firent main-baffe fur tout ce qui fe rencontra. Dans le même temps une partie de l'armée à la tête de laquelle étoit l'empereur, défit les infideles dans un grand combat. Enfuite Frédéric traverfa le mont Taurus pour entrer dans la Cilicie : l'ayant paffé en dix jours, il voulut prendre quelque repos dans une vallée arrofée du fleuve Cydnus, dont les eaux font très-belles, mais trèsfroides, même dans l'été. Après avoir dîné un jour fur le bord de ce fleuve, la chaleur qui régnoit alors l'invita à s'y baigner: les feigneurs de fa fuite eurent beau lui repréfenter le danger où il s'expofoit, il n'y eut aucun égard. A peine fut-il au milieu de la riviere, que le froid de l'eau le faififfant tout-à-coup, le fit tomber en défaillance on le retira; mais il ne reprit quelque fentiment de connoiffance que pour remercier Dieu de la grace qu'il lui faifoit de l'appeller à lui dans le temps qu'il accompliffoit fon pélerinage : & après ce peu de paroles, il expira. Ainfi finit fa carriere l'empereur Frédéric dans la foixante & dixieme année de fon âge, après avoir régné trente-huit ans, & dans le temps qu'il fe préparoit à faire la conquête du royaume de Jérufalem.

FRÉDÉRIC.

FRÉDÉRIC. (CODE) (a)

[ocr errors]

Projet du corps de droit Frédéric ou corps de droit pour les Etats de Sa Majefté le roi de Pruffe fondé fur la raison & les conflitutions du pays; dans lequel le roi a difpofe le droit Romain dans un ordre naturel retranché les loix étrangeres aboli les fubtilités du droit Romain, & pleinement éclairci les doutes & les difficultés, que le même droit & fes commentateurs avoient introduit dans la procédure, établiffant de cette maniere un droit certain & univerfel.... Traduit de l'Allemand, par A. A. de C. confeiller-privé du roi fuivant l'édition de Halle 1751.

C'EST l'incertitude du droit Romain, ce font les différentes interpréta

tions que l'on peut donner à des loix obfcures & infuffifantes, qui ont engagé le roi de Pruffe, à les rédiger, à les réformer, & à compofer un corps de droit appuyé fur des principes invariables. On fait que Rome ne connut d'abord d'autre code que la volonté de fes rois; qu'après les avoir chaffés, elle refta pendant vingt ans fans autres loix que fes mœurs; que les duumvirs furent les premiers légiflateurs; que le pouvoir législatif paffa enfuite dans les mains des pontifes; qu'on diftingua les loix du fénat, celles des édiles, celles du peuple, celles des préteurs; qu'enfin des jurifconfultes s'arrogerent le droit de les interpréter, funefte privilege, que Jules-Céfar abolit. Il alloit réformer les loix, lorfqu'il fut affaffiné; Cicéron qui avoit le même projet, eut le même fort. Augufte, rendit aux jurifconfultes le droit d'interpréter les loix; le fénat les multiplia pour se donner quelqu'importance, & fe dédommager de la liberté qu'il avoit perdue. Sous Adrien Salvius Julianus raffembla les loix éparfes, mais il n'en fit qu'un mélange bizarre, & fubftitua un cahos à un autre. Les commentateurs accrurent encore l'embarras. Théodofe-le-jeune, substitua aux anciennes loix, les décifions des anciens jurifconfultes; on s'en trouva plus mal encore. Enfin, Juftinien fut le premier qui s'efforça de donner l'empire un droit certain; il indiqua les abus, plutôt qu'il ne les corrigea; & l'incertitude fut la même qu'auparavant. L'Allemagne, dans le treizieme fiecle, reçut les loix Romaines, Frédéric III les abrogea mais en leur fubftituant les réponses des docteurs, il rendit la légiflation encore plus variable & plus incertaine. Ces docteurs mirent dans leurs décifions toute l'obfcurité des oracles; & non pas leur laconifme. Plufieurs

(a) La célébrité, l'importance & l'excellence de ce code, nous invitent à en donner une analyse un peu détaillée.

Tome XX.

G

empereurs propoferent en vain dans les dietes une réforme générale, &. dans les loix, & dans la maniere de les faire obferver. Ce qu'ils propoferent, Frédéric l'a exécuté; fon code eft court, le texte précis & fumineux, toutes les loix fondées fur la raifon; enfin ce fyftême complet de jurifprudence laiffe peu de reffources à la fubtilité des commentateurs à la partialité des juges, & à la mauvaise-foi des avocats & de leurs cliens. Le roi de Pruffe eft tellement perfuadé que ce font les interprétations qui ont jetté dans le droit Romain, une incertitude funefte, qu'il défend aux juges d'interpréter eux-mêmes fes loix dans les cas douteux; & les renvoie au département des affaires de juftice pour y propofer leurs doutes. Il défend auffi à tous les jurifconfultes de commenter fon code, précaution fage, dont le pédantifme peut murmurer, mais qui ne peut être défapprouvée par tous ceux qui favent combien la morale & la religion ont été défigurées par leurs interpretes. Ce prince veut encore, que les refcrits contraires aux loix qu'on pourroit obtenir de lui fur de faux expofés foient nuls & fans force. Il conferve le droit canon, & oblige même fes fujets proteftans à s'y conformer, mais il lui marque fes bornes naturelles, & l'écarte de toutes les affaires civiles.

S. M. ne porte aucune atteinte aux privileges; elle déclare que les privileges accordés à la chofe, feront perpétuels & pourront être tranfmis aux héritiers; que les privileges accordés à la perfonne s'éteindront avec elle; mais, que, dans le cas, où l'on douteroit fi un privilege appartient à la chofe, ou à la perfonne, il fera réputé perfonnel.

Toute coutume raifonnable & bien établie par un ufage conftant, aura force de loi; mais il faut que cet ufage ait été introduit par plufieurs actes folemnels, dont il y en ait au moins deux de conformes.

Après ces décifions préliminaires, le législateur établit la diftinction des trois objets de la juftice, qui font l'état des perfonnes, le droit des chofes, & les engagemens ou obligations; nous nous arrêterons aux trois principales différences de l'état des perfonnes; l'état de liberté, l'état de citoyen, l'état de famille.

Tous les hommes naiffent libres. Les loix Romaines, qui établiffoient l'esclavage, & qui donnoient au maître le droit de vie & de mort fur fon efclave, étoient donc contraires à la nature auffi ont-elles été abolies. Cependant on a confervé encore différentes efpeces de fervitudes moins rigoureuses. La profcription ou peine du ban réduit l'homme qu'elle affecte, à l'état d'un efclave, puifqu'elle lui ôte l'état & tous les droits d'un homme libre. Les ferfs attachés à la glebe, font encore des fortes d'efclaves; un feigneur qui reclame fon ferf, eft obligé de donner fes preuves avant que le ferf en apporte de contradictoires, car la loi préfume en faveur de la liberté naturelle. Si une perfonne de condition libre, époufe un ferf, qui ne lui a pas déclaré fa fervitude, ce mariage peut être caffé, & les enfans qui en font nés font libres.

« PreviousContinue »