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hommes qui font dans l'état de nature, & qui jouiffent d'une indépendance parfaite, ce principe eft notre vrai guide.

Mais, on ne peut le regarder comme le premier principe de toutes les loix, parce qu'il fouffre beaucoup d'exceptions en ce qui regarde les conftitutions des corps politiques, où le bonheur de chaque particulier, doit être lié au bonheur général. Il eft particuliérement celui du droit des Gens, parce que les nations doivent immanquablement exiger que les autres fe conduifent vis-à-vis d'elles, comme elles fe conduifent vis-à-vis des autres, eu égard à leur parfaite indépendance & à leur parfaite égalité. La raifon doit leur prefcrire, pour regle générale de toutes leurs actions, de faire aux autres ce qu'elles voudroient qu'on leur fit, dans des circonftances femblables.

Ce principe général eft d'ailleurs analogue à la nature du droit des Gens, dont l'effence confifte dans le confentement tacite des nations, & qui tire toute fa force de fes obligations, de la maniere dont il eft d'ufage de fe conduire dans les différens cas.

Ainfi, rien n'eft plus conforme au droit des Gens, que de fe conduire vis-à-vis des autres, comme ils fe font conduits vis-à-vis de nous. Il eft vrai qu'il peut réfulter de-là un droit des Gens très-cruel, mais il n'en eft pas moins un véritable droit des Gens. La crainte de la repréfaille, doit empêcher les nations fages & civilifées, de faire aux autres, autre chofe que ce qu'elles fouhaitent qui leur foit fait. Si l'on réfléchit à toutes ces chofes, il ne reftera aucun doute fur la vérité du principe que nous venons d'établir.

Le principe du droit des Gens que Mr. de Montefquieu a donné, n'eft qu'une des maximes principales de ce droit.

MONSIEUR

ONSIEUR de Montefquieu a donné au droit des Gens, un principe qu'il regarde comme général, & comme en étant la véritable base. Ce principe eft, que les nations doivent fe faire autant de bien dans la paix, dans la guerre, le moins de mal qu'elles peuvent, & que leur intérêt le permet. Il faut avouer que ce principe eft digne d'un grand génie, & qu'il eft très-conforme à la raifon & à l'humanité : il eft du moins opposé aux principes cruels, que les autres modernes ont cherché à établir fur le droit des Gens, par lequel ils ont voulu perfuader aux nations qu'elles étoient en droit d'anéantir & d'égorger tous leurs ennemis.

Mais, le principe de Mr. de Montefquieu n'a à mon avis, ni les qualités, ni le caractere des principes généraux; puifqu'il ne renferme évideniment pas toutes les regles & toutes les maximes qui appartiennent au droit des Gens, car il feroit difficile d'en tirer immédiatement, & fans contrainte, la décision des affaires qui regardent les ambaffadeurs, & d'autres qui fe rapportent inconteftablement au droit des Gens. On doit ce

pendant

pendant le regarder comme une des maximes principales de ce droit qui découle immédiatement du principe général que nous avons établi puifque fi les nations doivent fe conduire à l'égard des autres comme elles fouhaitent que les autres fe conduifent vis-à-vis d'elles, il s'enfuit néceffairement, qu'elles doivent fe faire en temps de paix le plus de bien, en temps de guerre le moins de mal qu'il leur eft poffible; & que leurs véritables intérêts le leur permettent; car, vraisemblablement chacun fouhaite qu'on fe conduise de même à son égard.

La paix eft la premiere loi du droit des Gens.

Les hommes font portés à la paix, par le fentiment de la peur que la

nature leur a imprimé, par la peur qu'ils remarquent dans leurs femblables & par l'amour de leur confervation, & la paix eft la feconde loi fondamentale du droit de la nature. Le droit naturel eft le premier guide des nations qui jouiffent de la liberté naturelle, ainfi la paix eft la premiere loi du droit des Gens. La raifon qui eft la premiere légiflatrice de ce droit, leur donne auffi cette loi, puifqu'elle leur montre qu'elles ne peuvent pas faire la guerre fans reffentir de grands maux, & de grandes pertes, & fans mettre leur félicité & leur confervation au hafard.

La paix eft auffi la conféquence la plus prochaine & la plus immédiate du principe général que j'ai donné au droit des Gens; car, fi chaque nation fe conduit à l'égard des autres, comme elle fouhaite que celles-ci fe conduisent à son égard, elles n'en offenferont jamais aucune de maniere à lui donner fujet de leur faire la guerre; & elles ne déclareront jamais la guerre à aucune autre fans raifon. De quelque côté qu'on envisage la chofe, on voit que la paix eft la premiere loi des peuples.

La feconde loi eft qu'aucun peuple ne doit entreprendre la guerre, que quand il eft en danger d'être fubjugué, ou détruit.

CEPENDANT, comme la confervation de foi-même eft la premiere loi

de la nature, & que tout homme a droit d'en tuer un autre, quand il ne peut conferver fon être d'aucune autre façon; les peuples font de même en droit de commencer la guerre, quand ils font dans un danger certain & inévitable d'être détruits. Le droit naturel permet toujours de fe défendre.

Il n'y a auffi que cette raifon qui puiffe rendre une guerre jufte, & c'eft la feconde loi du droit des Gens. Les peuples peuvent avec juftice commencer la guerre, dans tous les cas où le droit naturel permet que l'on tue pour fa propre confervation.

Ce fyftême de la balance de l'Europe, dans lequel on foutient qu'un Tome XX

V v

Erat eft en droit de déclarer la guerre à tous ceux dont la puiffance auginente trop, eft donc un fyftême vain & fans fondement, & extrêmement préjudiciable aux nations. On doit efpérer que les écrivains ne reclameront plus cette monftrueufe chimere, que l'efprit de vertige des premiers fiecles, & la haine contre les François avoient rendue fi agréable. Tous les favans ont regardé ce fyftême contre la France avec le mépris qu'il mérite, comme on peut le voir par le paffage fuivant de Grotius (a).

On doit en vérité plaindre l'aveuglement de tous les favans, qui ont écrit depuis quelque temps fur le droit de la nature & des Gens; fans en excepter les théologiens même; qui, malgré la grandeur des maux que la guerre cause aux deux partis qui fe combattent, & à toute la nature humaine, qu'il leur étoit impoffible d'ignorer, ont enfeigné que les peuples étoient en droit de fe faire la guerre, non-feulement pour la confervation de l'équilibre de l'Europe, mais encore pour venger les injures de quelque peuple que ce foit, lorfqu'on refufoit de lui donner fatisfaction.

Il eft vrai que les peuples font dans un état violent, & qu'ils font toujours dans le cas d'opprimer, ou d'être opprimés; toute injuftice & toute offenfe dont on ne donne pas fatisfaction, met l'offenfé en droit de contraindre l'agreffeur à rentrer dans les bornes de l'équité: mais ne peut-on l'y contraindre que par la guerre? Il faudroit avoir bien peu d'idée, & des vues bien bornées, pour ne pas connoître d'autres moyens. N'a-t-on pas la voie des repréfailles? Ne peut-on pas lui rendre injure pour injure, comme le premier principe du droit des Gens le permet? Ne peut-on pas réduire l'agreffeur à rendre juftice en faififfant tous les effets de fes fujets, qui font dans l'Etat offenfé? en lui interdifant tout commerce & toure correfpondance avec lui. Comment peut-il être conforme à la fageffe d'un Etat, & à ce qu'il fe doit à lui-même, de verfer tant de fang humain, de dépeupler fes provinces, de mettre en danger le repos, la fureté, & les biens de fes fujets, de leur faire endurer la plus grande mifere & les plus grands maux, de mettre même le falut de la république au hasard, pour une fimple injure: il faudroit avoir l'efprit étroit & foible outre mefure, pour foutenir une chofe femblable.

Cela eft auffi injufte que de vouloir tuer un homme pour une parole injurieuse; & auffi extravagant que l'action de ceux qui, pour une injure prétendue, vont expofer dans un duel, leur vie, & leur félicité éternelle & temporelle.

Les gouvernemens favent peindre avec la plus vive couleur dans leurs édits, l'extravagance des procédés des duelliftes, & ils ne veulent pas fentir

(4) De jure belli, ac pac. liv. a. ch. 1. §. 17. Illud verò minimè ferendum, &c.

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qu'ils fe rendent coupables de la même faute lorsqu'ils déclarent la guerre

chaque offenfe qu'ils reçoivent.

Cependant quelques favans foutiennent avec opiniâtreté que les nations ont droit de dévafter notre globe & de s'exterminer mutuellement, pour des bagatelles qui ne font dignes que de mépris. Doit-on après cela être furpris, fi la guerre a fi fouvent lieu dans la partie du monde qui eft la plus éclairée, la plus raifonnable, & la plus civilifée. Mais on peut affirmer que dorénavant, il n'y aura plus aucun écrivain fur le droit de la nature & des Gens, qui puiffe foutenir ce principe monftrueux & barbare, fans être regardé comme un homme horrible, & comme l'ennemi du genre humain.

L'objet prochain de la guerre, c'est la conquéte; celui de la conquête, c'est la confervation: ainfi on ne doit point dévaster, ni faire de

cruauté.

L'OBJET

'OBJET d'une guerre jufte ne peut donc être autre, que d'éloigner le danger d'être détruit, auquel un peuple peut être expofé. Dès que ce danger eft paffé, que l'ennemi demande la paix, & qu'il consent à dédommager des frais de la guerre qu'il a occafionnée, l'équité naturelle, & le droit des Gens veulent qu'on la lui accorde. Car, fi on la lui refufoit on ne fuivroit pas le premier principe du droit des Gens qui veut qu'on faffe aux autres, comme on voudroit qu'ils nous fiffent dans la même occafion.

Une guerre qu'on a déclarée avec juftice peut devenir injufte par la fuite: c'eft le cas où fe trouva Charles XII roi de Suede; il commença la guerre pour fe défendre contre un agreffeur injufte, ainfi elle étoit parfaitement équitable; mais il la prolongea de la maniere la plus injuffe, en refufant avec opiniâtreté, les projets de paix les plus raifonnables qui lui furent offerts.

Outre cet objet principal, la guerre en a encore un qui eft acceffoire c'est celui de faire des conquêtes, pour fe dédommager des frais & des pertes que la guerre occafionne. On voit par là que l'objet de la conquête, c'eft la confervation. Car fans cela, la conquête ne dédommageroit de rien, & ne feroit profitable en aucun fens; ainfi, ni la raison, ni le droit des Gens, n'autorifent le vainqueur à dévafter les pays qu'il a conquis; & en général, comme par le principe que nous avons établi, les nations qui fe font la guerre, doivent fe faire le moins de mal qu'il est poffible, & qu'il ne leur eft permis de faire que celui que leur véritable intérêt exige, elles ne doivent exercer aucune cruauté contre les fujets de l'ennemi. La cruauté d'ailleurs, fait honte à l'humanité, & eft contraire à l'efprit de toute nation raisonnable & policée. La troifie

me loi du droit des gens eft donc de s'abftenir de toute cruauté dans la guerre.

Il n'a pas tenu aux auteurs du droit de la nature & des Gens, que les nations de l'Europe n'exerçaffent toutes ces barbaries auxquelles nous avons enfin heureusement renoncé dans ces derniers fiecles, & que nous fommes menacés de voir reparoître par la maniere dont on a fait une des der nieres guerres. Au moins ces auteurs ont-ils enfeignés, à la honte de l'humanité, & d'eux-mêmes, que le vainqueur avoit le droit de tuer les vaincus, ou de les réduire en efclavage, s'il vouloit bien leur laiffer la vie par compaffion; & de rafer toutes les villes de l'ennemi. On voit par la fuite des conféquences de cette affertion, que ces propofitions font auffi fauffes & abfurdes, qu'elles font cruelles & inhumaines.

Les nations, en fe faifant la guerre, doivent laiffer un chemin libre aux négociations, ou à la paix.

PUISQUE la paix eft la premiere loi des nations, & qu'une guerre juste

ceffe de l'être quand on refufe la paix; il s'enfuit, qu'au milieu de la guerre, les nations doivent laiffer un chemin libre au retour de la paix. C'eft la quatrieme loi du droit des Gens. Suivant cela les envoyés de l'ennemi qui ont quelques propofitions à faire, ou quelques papiers à remettre, de quelque état qu'ils foient, doivent être inviolables & jouir de la fureté la plus parfaite, tant de la part des foldats, que du refte des citoyens. La nature de la chofe & l'accord des nations fur ce point, exigent feulement que s'ils font militaires, ils faffent connoître par un trompette, ou par un tambour, avant que de s'approcher, qu'ils font envoyés pour faire des propofitions, & qu'on n'a aucune hoftilité à appréhender d'eux. Il eft à la vérité d'un ufage général aujourd'hui, que les envoyés qu'un ennemi dépêche vers un autre, foient munis d'un paffe-port de celui auquel on les envoie, lorfqu'ils font de l'état civil; mais ce n'eft là, à mon fens, qu'une précaution, pour qu'ils foient plus fûrs de ne pas être maltraités par les partis de l'ennemi, qu'ils pourroient rencontrer avant que d'être à celui vers lequel on les a députés. Ce n'eft point ce paffe-port qui rend les envoyés inviolables aux princes & aux généraux ennemis, dès qu'ils font parvenus auprès d'eux. Leur lettre de créance fuffit pour leur fureté, fans qu'ils aient befoin de paffe-port. Toutes les nations policées de l'antiquité ont accordé une pleine fureté aux ambaffadeurs de leurs ennemis; on le voit par une infinité d'exemples. Lorfque Charles XII fit arrêter l'ambaffadeur d'Augufte, roi de Pologne, dans fon quartier-général, fous prétexte qu'il étoit venu fans paffe-port, il viola donc évidemment le droit des Gens.

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