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attendoit. Les magiftrats & les miniftres répondirent avec amertume à cet écrit, & lancerent un décret contre Rouffeau. Celui-ci avoit des amis & beaucoup d'admirateurs dans Geneve. Les bourgeois fe plaignirent d'une maniere auffi ferme que nrodérée, du jugement rendu contre les livres de Rouffeau, & du décret prononcé contre fa perfonne, prétendant avec la loi & la raison, que perfonne ne devoit être jugé, ni condamné, ni emprifonné d'office qu'il n'eût été auparavant mandé examiné & interrogé, & demandant qu'on affemblât un confeil général, pour concilier la loi fondamentale de l'Etat, au fujet de la préfidence des fyndics, avec la loi des récufations.

Cependant le temps de l'élection arriva. Les bourgeois affemblés en confeil général fuivant l'ufage, rejeterent tous les fujets préfentés pour le fyndicat on fit une feconde ligue d'élection, & les citoyens s'obftinerent à refuser tous les membres du confeil des vingt-cinq. Cette rejection fut le tocfin d'une nouvelle guerre civile. Le peuple fe divifa. Les deux confeils & leurs partifans propoferent d'avoir recours à la médiation de la France & des cantons de Berne & de Zurich, garans du réglement de 1738, pour terminer ce différent. Mais quel befoin avoit-on de recourir à cette médiation, puifqu'on n'avoit point enfreint ce réglement, puisqu'il n'y avoit point d'objet de jugement, ni de procès, entre le peuple & les deux confeils. Il s'agiffoit de concilier la loi de la préfidence des tribunaux par les fyndics, avec la loi des récufations; & c'étoit l'affaire, non des puiffances étrangeres, mais de la puiffance législative de l'Etat.

La France & les cantons de Berne & de Zurich, accepterent la médiation propofée par les magiftrats de Geneve. Le peuple parut alarmé du jugement qui devoit être prononcé, & difpofé à n'y point accéder. La fermentation des efprits étoit plus violente que jamais. Après plufieurs conférences les miniftres plénipotentiaires des puiffances médiatrices prononcerent » 1°. Que le droit attribué au confeil-général, dans le paragraphe II, de » l'article III, du réglement de 1738, de rejeter en tout ou en partie les fujets préfentés pour le fyndicat, ne peut s'étendre au-delà des bornes prefcrites par l'article II du même réglement, par lequel il eft ftatué » que les fyndics ne pourront être pris que dans le confeil des vingt-cinq; » que par conféquent, le confeil-général ne pourra, fous quelque prétexte » que ce foit, fe difpenfer d'élire annuellement les fyndics dans le nom

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bre des membres actuels & éligibles du petit confeil; d'où il résulte » que fi dans l'élection qui doit fe faire chaque année, il arrivoit que le » confeil-général eût rejeté tous les membres actuels & éligibles du petic > confeil, ou que fans les avoir tous rejetés, il n'en reftât plus affez à préfenter pour qu'on en pût nommer deux pour chaque place qu'il y » auroit à pourvoir, tous les membres actuels & éligibles feront pré» fentés ensemble au confeil-général, pour qu'il choififfe entre eux le » nombre néceffaire pour faire ou compléter l'élection. 2°. Que le petit

» confeil avoit le droit de rejeter les repréfentations ou de les approuver, ou de les porter aux confeils fupérieurs, felon qu'il le jugeoit » convenable. 3°. Que les repréfentations que les citoyens ou bourgeois > remettront aux fyndics, ou au procureur-général, pour les faire parve» nir au petit confeil, ne pourront être portées que par un ou plufieurs citoyens, laiffant à la république le foin d'en déterminer le nombre » d'une maniere plus précife, &c. &c. "

Ce jugement définitif parut moins femblable à une conciliation des intérêts oppofés des pouvoirs de la république de Geneve, qu'à un ordre rigoureux aux citoyens de fe foumettre aux prétentions des deux confeils qui les convertiffoit en loi par le premier article. Le peuple fe plaignit encore que par le fecond article, l'exercice de la fouveraineté reftoit au confeil des vingt-cinq. Ainfi les diffentions reprirent une nouvelle vivacité, & les efprits loin de fe calmer après ce jugement, n'en furent que plus ulcérés, & la méfintelligence plus violente. Le défordre croiffoit chaque jour, & la république étoit à deux doigts de fa perte, lorfque par les bons offices des plus fages citoyens, les petit & grand confeil présenterent le 9 Mars 1768, un projet législatif de pacification, qui pour porter le peuple à renoncer au droit illimité qu'il prétendoit avoir, & avec quelque fondement, de rejeter indéfiniment tous les fujets présentés pour le fyndicat, lui offroit en place de ce droit, deux autres privileges très-précieux & très-importans, l'un d'élire la moitié des membres du confeil des deux-cents, & l'autre, le droit de révision annuelle du petit confeil, autant qu'il le jugeroit convenable. Ce projet fut approuvé & fan&tionné à la pluralité de 1204 voix, contre 23. Par ce nouvel arrangement, la balance du pouvoir étoit remife entre les mains du corps de la bourgeoifie, ou du grand confeil: car celui-là exerce véritablement une grande partie de la fouveraineté, qui nomme ceux que la conftitution a revêtus de la puiffance exécutrice : celui-là encore exerce une trèsgrande partie de la fouveraineté, qui, par le droit de révifion, ou, comme on le nomme à Geneve, par le droit de Grabeau, a le pouvoir de deftituer tour-à-tour les premiers magiftrats de la république. Ce réglement qui fixe de la maniere la plus invariable, l'ordre qui doit être observé dans les élections, la part que chacun des confeils a, tant à la puiffance législative qu'à la puiffance exécutrice; ce réglement que l'on doit regarder comme l'explication & le développement de la conftitution de cette république, ramena le calme dans Geneve, y rétablit le bon ordre, la confiance, & affure à jamais l'harmonie entre les différens membres du gouvernement. Puiffe fon commerce qui a tant fouffert de ces divifions, revenir à la fuite de l'union & de la tranquillité publiques.

GENS.

DROIT DES GENS.

Il faut entendre par le droit des Gens, les principes & les regles que l'usage, ou un confentement tacite, ont établis parmi les nations libres, pour régler leur conduite les unes à l'égard des autres. La raifon eft encore ici la légiflatrice: mais, il n'y a que la coutume & le confentement tacite des nations, qui, en établiffant la maniere de fe conduire dans les différens cas, obligent les nations à s'y comporter d'une maniere plutôt que d'une autre; les principes & les regles du droit des Gens que la coutume établit, peuvent être très-peu conformes à la faine raison jufqu'à ce que les nations, devenues plus éclairées, en connoiffent le bien & lê mal, & les changent, pour les ramener au bon & au vrai.

C'eft par la bonté du droit des Gens, qu'on doit juger de l'intelligence & de la police des nations qui l'ont adopté. Celles qui font fages & civilifées, doivent en avoir un, dont toutes les regles foient conformes à la raison & au droit naturel.

Les nations jouiffent les unes à l'égard des autres de toute la liberté naturelle ; & comme chaque Etat eft un corps moral unique, chaque nation eft, par rapport aux autres, ce que dans l'état de nature, un homme feroit à l'égard des autres hommes. Elles font donc obligés à refpecter le droit naturel, & à fe prendre pour base de leur droit des Gens. La raison ne peut paroître comme légiflatrice, que quand le droit naturel fe tait.

Les nations ne font point liées entr'elles comme les membres d'un Etat, & elles font bien éloignées de former, par leur union, un feul corps politique.

LES

Es nations ont, entr'elles, certains rapports: elles font obligées à traiter ensemble à cause de leur commerce, ou de leur voifinage; leurs intérêts, leurs vues, leurs forces & leur foibleffe, les obligent fans ceffe à faire entr'elles de nouveaux arrangemens; mais, il faut bien fe garder de confidérer ces rapports & ces liaifons, comme des chofes qui les mettent dans une dépendance mutuelle, & qui les obligent, comme les conftitutions d'un Etat obligent fes citoyens. Cette idée a féduit même dans ces derniers temps la plupart des favans. On fe représente les peuples comme les membres d'un grand Etat, comme les citoyens de l'univers, comme les parties de l'affociation générale des hommes; expreffions brillantes, mais, qui ne font rien moins que conformes à la nature de la chofe. Elles ne donnent que

des idées fauffes, & qui ne peuvent fervir qu'à faire adopter, fur le droit des Gens, des principes faux, & contraires au bien des nations.

On ne fauroit nier que ce ne foit avoir une fauffe idée des chofes, que de confondre l'union fimple, avec celle qui réfulte de la conftitution civile, elles font très-différentes l'une de l'autre.

Les nations font tenues à l'accompliffement des devoirs de l'union fimple, lorfqu'elles s'y font foumifes par un traité, ou que, par la nature des affaires qu'elles font enfemble, & par un ufage établi, il confte qu'elles s'y font tacitement foumifes. Mais, elles ne font jamais obligées à remplir les devoirs de fociétés.

La fociété fuppofe certaines obligations mutuelles, contractées dans la vue de remplir un objet; & les nations, ne peuvent, en aucune maniere, contracter de ces fortes d'obligations mutuelles. Ainfi, lorfque l'on parle des hommes en général, on ne doit point dire qu'ils doivent vivre en fociété, mais qu'ils doivent vivre en bonne amitié.

On voit aisément que la premiere de ces expreffions eft abfolument impropre, puifque tous les hommes ne fe font point réunis pour parvenir au même objet. La fociété n'eft point une loi de la nature, ni du droit des Gens; elle a fa fource dans la connoiffance des avantages qu'on trouve à fe fecourir mutuellement; & conféquemment, elle doit fon existence à l'entendement. Ainfi, quand la raison montre à des hommes, qu'il eft de leur avantage de ne point contracter l'obligation d'un fecours mutuel avec d'autres hommes, ils font parfaitement les maîtres de ne pas la contra&er. Une nation eft donc dans le droit de vivre féparée de toutes les autres nations; & de rompre tout commerce & toute fréquentation avec elles comme il eft permis à un homme, de vivre dans une parfaite folitude. L'une & l'autre ne bleffent par-là aucun devoir.

Ainfi, les nations ont le choix de deux moyens pour fe procurer la félicité; l'un eft les liaisons & le commerce avec les autres peuples, l'autre eft une féparation totale d'avec eux. L'on a traité en détail de ces deux moyens je vais prouver que toute idée de dépendance, de devoir, & de fociété entre les peuples libres, eft totalement contraire à la nature de la chose.

L'état de liberté naturelle dans lequel vivent tous les peuples libres, eft entiérement oppofé à la nature des conftitutions civiles. La volonté de chaque nation eft libre, & indépendante; dans les Etats, au contraire, la volonté de chaque citoyen eft foumise à la volonté générale, qui s'eft formée par la réunion des volontés particulieres. Chaque nation ne fe propose que fa félicité particuliere, comme chaque homme le feroit, s'ils étoient encore dans l'état de nature; au-lieu que dans les fociétés civiles chaque homme ne peut chercher fa felicité particuliere, que par des moyens qui tendent à la félicité générale. Dans l'état de nature, les hommes vivent, fans avoir ni liaisons obligatoires, ni dépendance les uns à l'égard des au

tres ils ne connoiffent pas les liens les plus forts, qui font la réunion de leur volonté & de leurs forces.

Après avoir reconnu des différences auffi effentielles, on ne pourra plus regarder les nations libres, comme les membres d'un grand Etat, comme repréfentant les citoyens de l'univers, & fous d'autres points de vue femblables, qui font tirés de la nature des conftitutions civiles; & donner au droit des Gens de ces principes erronés & hors de fens, qui font préjudiciables à tous les peuples.

Il faut, en conféquence, éviter foigneufement de juger des actions des peuples libres, par des principes & des comparaifons tirées de la nature des conftitutions fociales. On doit encore moins confondre les loix des Etats particuliers, avec celles de ce même droit. On ne voit que trop d'exemples de cette confufion. Quand on a à traiter quelque chofe qui a rapport au droit des Gens, il faut oublier qu'il y a des loix civiles dans le monde.

Véritable état des nations les unes à l'égard des autres, d'où l'on tire le principe général du droit des Gens.

LEs nations n'ont aucune autre liaison, & aucun rapport entre elles que celui d'habiter la même terre. Elle font dans un état de parfaite égalité, auquel la différence de force & de richesse, n'ajoute, ni ne retranche rien.

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Il fuit principalement de cet état , que leur volonté eft parfaitement libre, & qu'elle ne peut recevoir des bornes que par la raison ou par la contrainte. On peut, avec raifon, réprimer leur volonté par la force, parce qu'eu égard à leur parfaite indépendance, il n'y a aucun moyen que la force , pour contraindre une nation à fe renfermer dans les bornes de l'équité. Elles font toujours dans le cas d'opprimer, ou d'être opprimées.

Leur volonté doit recevoir les loix de la raifon, parce qu'elles doivent appercevoir qu'elles ne pourront jamais parvenir à la félicité, fi elles n'obfervent pas les loix de la nature, & de l'équité dans leurs procédés, visà-vis des autres nations, & fi elles ne fe conduifent pas à leur égard, comme elles défirent que les autres fe conduifent vis-à-vis d'elles dans les mêmes circonftances.

C'eft de-là qu'on tire le principe général du droit des Gens: qui eft, que chaque peuple doit fe conduire à l'égard des autres, comme il fouhaite que les autres fe conduifent à fon égard dans de femblables cas. C'eft-là la premiere & la fuprême loi de l'équité naturelle, fur-tout par rapport à ceux qui vivent dans une égalité & dans une indépendance parfaite, & le feigneur l'a dit, dans ces paroles fi connues: Ne faites point aux autres ce que vous ne voudriez pas qu'ils vous fiffent; voilà la loi & les prophetes. Lorfque nous voulons confidérer la nature des devoirs des

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