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Il n'y a que deux fortes de bonheur; le bonheur parfait, qui ne convient qu'à Dieu, & le bonheur de l'homme, qui eft fufceptible du plus ou

du moins.

Si le fage a des ancêtres, il place leurs buftes dans fes portiques, ou indifféremment.

Il est le feul qui juge fainement de la poéfie & de la mufique.
S'il eft dans l'indigence, il tirera parti de fa fageffe.

Il félicite ceux qui reviennent à la raifon & à la vertu.

Il rendra hommage au prince quand le cas l'exigera,

Il donnera fa vie, s'il le faut, pour fon ami.

Il aura des dogmes, & ne mettra pas toutes nos connoiffances en problême.

Si vous rejettez le témoignage des fens fans exception, vous vous ôtez à vous-même les moyens de réfuter les fenfations que vous croyez fauffes; vous n'avez plus de (a) regle pour vos jugemens.

Il faut bien connoître les fins de la morale, & les avoir toujours préfentes à l'efprit, afin qu'on puiffe y ramener fes jugemens, fans quoi la vie fera toujours pleine de troubles & d'inutilités.

Telles font les maximes d'Epicure qu'on regardoit dans (b) l'antiquité comme defcendues du ciel. Nous terminerons cet article par le tableau allégorique qu'on a tracé de la volupté épicurienne. On voit dans ce tableau la volupté parée comme une reine, & entourée des quatre vertus cardinales fes confeilleres, qui lui difent à l'oreille ce qu'il faut qu'elle faffe (c).

(a) Trois conditions néceffaires pour s'affurer de la vérité de nos fenfations qui ne nous trompent jamais, lorfqu'elles en font accompagnées; favoir, la bonne difpofition de l'organe, la distance raifonnable des objets, & la perfévérance dans la même fenfation.

(b) E calo delapfas fententias... maxime ratas fententias.

(c) On voit qu'Epicure recommande principalement la prudence comme la modératrice de toutes les autres vertus, & que M. de Fontenelle nous peint ayant les jettons à la main, pour nous faire fupputer les avantages & les inconvéniens qui peuvent réfulter de chaque démarche,

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GENRE-HUMA I N.

Etat du Genre- humain, felon Erafme.

IL y a fi peu d'hommes qui fuivent les lumieres pures de la raison

qu'on peut regarder la race humaine livrée à un délire perpétuel Le premier âge de l'homme eft fans doute le plus gai & le plus agréable. Mais qu'eft-ce que cet âge? Celui d'imbécillité & de folie. Des riens l'affe&tent; & il eft d'autant plus aimable qu'il eft dépourvu de raifon car un enfant fage n'a plus cette gaieté & cette gentilleffe qui charment: fon feu & fa vivacité s'éteignent à vue d'œil. Pour les conferver, on prolonge cet âge de l'enfance autant qu'il eft poffible, & il eft peu de perfonnes qui veuillent les facrifier à la fageffe, parce que les occupations férieufes qui y conduifent, rendent les mines fombres & les vifages décharnés. Les femmes fur-tout font encore plus jaloufes de fe conferver dans cet état. Encore femblables aux enfans dans l'âge mûr par la délicateffe de leur peau & le fon de leur voix, elles s'étudient perpétuellement à paffer pour jeunes. C'eft-là l'unique but des parures, du fard, du bain, de la frilure, des effences, des fenteurs, & de tant d'autres artifices, qu'on met en œuvre pour faire valoir la beauté. Leur maintien eft toujours afforti à ces ajuftemens. Perfuadées qu'elles ne font aimables qu'autant qu'elles paroiffent jeunes; elles imitent prefque toutes les folies des enfans. Les hommes à qui elles plaifent naturellement par-là, cherchent à les imiter; & les uns & les autres vivent fans y penfer dans une enfance perpétuelle.

Ils ne font point de bons repas, fi la folie n'y préfide. Au défaut de leur propre délire, ils empruntent celui d'autrui. Un bouffon vient pour de l'argent bannir par fes bons mots & fes railleries piquantes, la fageffe & la décence. Les alimens pris avec excès fe joignent à cette invention; & on s'eft bien réjoui, lorfque la raifon n'eft point de la partie. L'amitié, qui devroit furpaffer tous les plaifirs, eft empoifonnée par la politique. On diffimule les défauts de fes amis; on s'abuse volontairement, on s'aveugle fur leur compte; on aime des vices effentiels, & on les admire comme i c'étoient des vertus. L'union même de l'homme avec la femme n'eft foutenue que par la flatterie, par une complaifance fervile, par les détours, par la diffimulation. La fin de tout cela eft de plaire à quelque prix que ce foit. De-là, l'amour-propre, l'orgueil, la vanité. Otez de tous les talens l'affaifonnement de la fottife, l'orateur languira dans ces difcours; le muficien avec fes tons & fes cadences fera pitié. On fifflera le comé

dien & fon jeu. On tournera le poëte & les mufes en ridicule. Le meilleur peintre ne s'attirera que du mépris ; & le médecin mourra de faim avec fes remedes. Voilà pourquoi chacun fe cajole, fe flatte, & fe remplit de la bonne opinion de lui-même avant que de rechercher celle des autres. On ambitionne pourtant enfin cette derniere, & on fait pour cela mille extravagances.

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On a reçu une légere infulte, un démenti; on eft deshonoré i l'on ne fe coupe la gorge, c'est-à-dire fi , pour le mal le plus léger on ne s'expofe au plus grand des malheurs, la perte de la vie. Deux partis s'égorgent, Dieu fait pourquoi ; & tous les deux ne remportent que du mal de leur animofité. Ceux qui périffent à la guerre, on les compte pour rien. Cet honneur fi précieux, qui les met en mouvement, ils le partagent avec les parafites, les voleurs, les banqueroutiers, les meurtriers, les brigands, & généralement avec tous ceux qu'on nomme la lie du peuple. En un mot, tout ce qui fe fait chez les hommes eft plein de folie. Ce font des fous qui agiffent avec d'autres fous; & fi une feule tête entreprend d'arrêter le torrent de la multitude, honni de toutes parts, il ne lui refte plus que la reffource de Timon: c'eft de s'enfoncer dans un défert & d'y jouir tout à fon aife de la fageffe. Eh! comment pouvoir arrêter une foule fi prodigieufe de folies? Ici ce font des hommes qui courent toute la journée après un animal, lequel ne peut leur être utile, pour avoir le plaifir de l'affaffiner. Là il en eft d'autres, dont l'occupation continuelle eft de faire & de défaire, de conftruire & d'abattre, de changer le rond en quarré & le quarté en rond, jusqu'à ce qu'enfin il ne leur reste plus ni maifon ni pain. Ailleurs, des têtes chaudes, pleines de mystérieux projets, ne vifent pas moins qu'à confondre & à changer la nature par la découverte d'une quinteffence, qui n'existe que dans leur chimérique imagination. Dans ce coin de la terre, des gens furieux fe brûlent le fang pour avoir le plaifir de remuer des morceaux de carton & de bois. Dans cet autre ce font des hableurs, qui ne se plaisent qu'à dire ou à entendre des fauffetés. Des plus fous encore, avec une ame de boue, & les inclinations de la plus vile canaille, vous étourdiffent de leur nobleffe. Ils vous étalent les portraits & les figures de leurs ancêtres; ils font toujours fur leurs aïeux, fur les lignes directes & collatérales de leur arbre généalogique; ils vous citent à tous momens les noms & les furnoms de leurs peres; & avec leurs titres enfumés ou déchirés toujours pleins de leur naiffance, quoique fats, ils ne laiffent pas d'avoir une haute idée de leur perfonne, & de vivre contens.

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Près de ceux-ci, on voit ordinairement des efpeces d'automates qu'on appelle petits-maîtres, qui idolâtrent leur petit mérite, & qui adonifés comme des poupées, céderoient plutôt tout leur patrimoine, qui d'ordinaire eft fort léger, que de rabattre en faveur de qui que ce foit, de la bonne opinion qu'ils ont d'eux-mêmes. Il n'y a que les pédans qui ofent le

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leur difputer. Enorgueillis de leur érudition, ils ne fement ordinairement que des impertinences & des fottifes. Ils font tellement prévenus de leur habileté, qu'ils méprifent ceux de leur ordre qui ont le plus de réputation; & ce qu'il y a de plus plaifant, c'eft qu'ils fe rendent réciproquement louange pour louange, admiration pour admiration, gratterie pour gratterie.

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Qu'arrive-t-il de-là? C'est qu'il n'y a qu'un très petit nombre de gens de goût fûr, & que les bons écrivains n'ont que fort peu de lecteurs. Ainfi s'ils prennent beaucoup de peine pour faire un bon ouvrage, ils en font très-mal récompenfés. Il n'y a que l'efpoir de paffer à la pofterité, qui puiffe les engager dans un travail pénible, qui ruine leur fanté, les rend pâles maigres, & quelquefois aveugles, leur attire beaucoup d'envieux, fans les tirer de la pauvreté, & avance leur vieilleffe & leur mort. C'eft fans doute acheter bien cher une gloire dont on ne doit pas jouir. Auffi ceux qui connoiffent les hommes, ont recours à un moyen de s'attirer de la confidération par une voie plus aifée : elle confifte à s'approprier les-ouvrages des autres. Il eft vrai, qu'on découvre tôt ou tard leur brigandage; mais ils jouiffent toujours pendant quelque temps; & fouvent même à force d'intrigues, ils profitent toute leur vie de leur plagiat. Beaucoup d'imprudence, d'effronterie & de manege fuffifent pour cela. i

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Quand l'opinion publique eft pervertie par des exemples nombreux & impofans, par des ufages déraisonnables, par une éducation dangereuse, par la contagion du luxe, par le mépris des loix, le vice & le crime perdent leur difformité. La raifon, la vertu, la morale font obligées de fe taire devant l'opinion, ou bien elles ne parlent qu'à des hommes qui les trouvent impertinentes & ridicules. Ainfi dans une nation vicieufe, à l'exception d'un petit nombre de gens de bien qui font comme perdus dans la foule, tous fuivent le torrent de la corruption. La vertu & l'honneur deviennent des termes vagues; on les traite de pures chimeres. Cependant tout homme veut être honoré; le mépris eft pour lui le fupplice le plus cruel, il le dégrade à fes propres yeux; rien ne l'offenfe plus que l'idée de paroître inutile ou abject aux yeux de fes femblables. L'honneur, comme la vertu, ne peut être folidement fondé que fur l'utilité. Et pourtant les hommes, livrés à de vains preftiges ne lui donnent fouvent pour appui que des préjugés injuftes & barbares, des conventions folles, des caprices paffagers, ou bien les fantaifies de la mode. La vertu, l'utilité réelle & permanente du genre humain devroient nous donner feules des titres à l'eftime publique : l'homme d'honneur ne.devroit pas être diftingué de l'homme utile, de l'homme qui procure du bonheur à fes concitoyens ; mais telle eft la folie du monde entier, que par-tout on voit le nom d'honneur donné à des actions directement oppofées au bien de l'humanité. Je n'en citerai qu'un exemple. Dans tous les fiecles & chez toutes les nations on a honoré les conquéraps, & les conquérans ont fait confifter leur hon

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neur & leur gloire dans les exploits d'une valeur meurtriere; c'est-àdire à troubler la tranquillité du genre-humain, à être le fléau des nations. Où trouver une plus grande marque d'extravagance? Les conquérans ont communiqué leurs préjugés injuftes à ceux de leurs fujets qu'ils ont jugés propres à feconder leur ambition, & la profeffion des armes eft devenue la plus honorable. Quelle déteftable folie que celle du faux point d'honneur, qui oblige un particulier à être inhumain vindicatif, implacable toutes les fois qu'il croit fa vanité bleffée ! Le preftige eft fi grand, qu'on ne voit pas qu'il y a de l'atrocité à punir par la mort une légere injure que la vraie grandeur d'ame pardonneroit. Les hommes font bien fous quand ils ne fentent pas qu'il eft plus honorable de conferver un citoyen que de l'immoler à la fureur paffagere de la vanité bleffée.

Lorfqu'on réfléchit attentivement fur les devoirs d'un bon monarque, loin de chercher à fe procurer un fardeau fi pefant, on trembleroit à la vue d'une couronne. Tels font en effet les engagemens d'un homme qui commande à toute une nation. « Travailler jour & nuit pour le bien com& ne jouir jamais de foi-même; ne s'écarter en rien des loix; » connoître ou par foi-même, ou par des yeux bien fûrs, l'intégrité des » officiers & des magiftrats; fe fouvenir qu'on eft en fpectacle au dedans » & au dehors; & que, comme un aftre falutaire comme un aftre falutaire, on peut, par des » mœurs bien réglées, influer utilement fur celles des hommes, & faire » le bonheur des peuples; ou, comme une comete funefte, caufer les » plus grands maux au monde, n'oublier jamais que les vices & les cri» mes des fujets, font infiniment moins contagieux que ceux du maître : » fe redire chaque jour, que le prince eft dans une élévation où, s'il donne » mauvais exemple, fa conduite eft un mal qui fe communique; faire ré» flexion, que la fortune d'un monarque l'expofe continuellement aux oc» cafions de quitter le fentier des vertus; qu'il a les délices, l'impunité, » la flatterie, le luxe à combattre; & qu'il ne fauroit trop veiller ni trop »fe roidir contre tout ce qui peut le féduire : enfin fe rappeller fouvent » qu'outre les pieges, les haines, les craintes, les dangers, auxquels le » prince eft à tout moment expofé de la part de fes fujets, il doit tôt » ou tard comparoître devant le roi des rois, qui lui demandera un compte » exact de toute fa conduite, & avec une rigueur proportionnée à l'éten» due de fa domination »...

Auffi les rois tâchent-ils de s'étourdir fur tout cela. Ils font admirablement fecondés par ceux qui les environnent, nommés courtisans, lefquels font très - attentifs à leur déguifer la vérité, & à leur faire oublier leur devoir. Bas & rampans auprès de leur maître, ou devant lui, ils font plus infolens à l'égard des autres mortels. Eh! comment vivent-ils ? A peine Monfeigneur eft-il éveillé, que fon chapelain, qui épioit ce moment, lui dit en pofte une meffe bien dépêchée. On déjeûne enfuite; on étale sa fuffifance & fon orgueil, & le dîner fuit. Au fortir de table viennent les Tome XX. LI

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