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Tandis qu'ils s'acquittent de ces devoirs, le fils aîné accompagné de fes freres, fort de derriere le rideau qui eft à côté du cercueil, fe traînant à terre avec un vifage fur lequel eft peinte la douleur, & fondant en larmes, dans un morne & profond filence; ils rendent le falut avec la même cérémonie qu'on a pratiquée devant le cercueil : le même rideau cache les femmes, qui pouffent à diverfes reprises les cris les plus lugubres. Quand on a achevé la cérémonie, on fe leve; un parent éloigné du défunt, ou un ami, étant en dueil, fait les honneurs; & comme il a été vous recevoir à la porte, il vous conduit dans un appartement où l'on vous préfente du thé, & quelquefois des fruits fecs, & femblables rafraîchiffemens après quoi il vous accompagne jufqu'à votre chaife.

Lorfqu'on a fixé le jour des obfeques, on en donne avis à tous les parens & amis du défunt, qui ne manquent pas de fe rendre au jour marqué. La marche du convoi commence par ceux qui portent différentes ftatues de carton, lefquelles repréfentent des efclaves, des tigres, des lions, des chevaux, &c. diverfes troupes fuivent & marchent deux à deux; les uns portent des étendards, des banderolles, ou des caffolettes remplies de parfums: plufieurs jouent des airs lugubres fur divers inftrumens de mufique. Il y des endroits où le tableau du défunt eft élevé au-deffus de tout le refte; on y voit écrits en gros caracteres d'or fon nom & fa dignité. Le cercueil paroît enfuite, couvert d'un dais en forme de dôme, qui est entiérement d'étoffe de foie violette, avec des houpes de foie blanche aux quatre coins, qui font brodées & très-proprement entrelacées de cordons. La machine dont nous parlons, & fur laquelle on a pofé le cercueil, eft portée par foixante-quatre perfonnes; ceux qui ne font point en état d'en faire la dépenfe, fe fervent d'une machine qui n'exige pas un fi grand nombre de porteurs. Le fils aîné à la tête des autres enfans & des petits-fils, fuit à pied, couvert d'un fac de chanvre, appuyé fur un bâton, le corps tout courbé, & comme accablé fous le poids de fa douleur.

On voit enfuite les parens & les amis tous vêtus de deuil, & un grand nombre de chaifes couvertes d'étoffe blanche, où font les filles, les femmes, & les efclaves du défunt, qui font retentir l'air de leurs cris.

Quand on eft arrivé au lieu de la fépulture, on voit à quelque diftance de la tombe des tables rangées dans des falles qu'on a fait élever exprès; & tandis que les cérémonies accoutumées fe pratiquent, les domeftiques y préparent un repas, qui fert enfuite à régaler toute la compagnie.

Quelquefois après le repas, les parens & les amis fe profternent de nouveau, en frappant la terre du front devant le tombeau. Le fils aîné & les autres enfans répondent à leurs honnêtetés par quelques fignes extérieurs, mais dans un profond filence. S'il s'agit d'un grand feigneur, il y a plufieurs appartemens à fa fépulture; & après qu'on y a porté le cercueil,

un grand nombre de parens y demeurent un & même deux mois, pour y renouveller tous les jours avec les enfans du défunt les marques de leur douleur.

Funérailles des Tonquinois.

LES Tonquinois ne font pas moins magnifiques dans leurs Funérailles,

que les Chinois dont ils ont imité principalement tout ce qui regarde le culte des morts. Ce qu'il y a de particulier dans leurs cérémonies funebres, c'eft que, pendant le coñvoi, le plus proche parent du défunt s'étend par terre tout de fon long, & fe laiffe fouler aux pieds de ceux qui portent le défunt. Lorsqu'il fe releve, il pouffe le cercueil des deux mains en arriere, comme s'il vouloit engager le mort à retourner au féjour des vivans. Cette cérémonie se repete, plufieurs fois, pendant la marche. On ne parle point des papiers dorés & découpés, qu'ils brûlent en l'honneur des morts, de la quantité prodigieufe de vivres de toute efpece qu'ils leur préfentent, de l'or, de l'argent, des étoffes précieufes qu'ils enferment dans leurs tombeaux. Les Tonquinois égalent pour le moins les Chinois dans toutes ces dépenfes. S'il arrive qu'une perfonne meure dans un pays éloigné, & que les parens ne puiffent recouvrer fon corps, ils tracent fon nom fur une planche, & rendent à ce morceau de bois les mêmes honneurs qu'ils auroient rendus au corps même du défunt. Quelquefois ils confultent des forciers pour favoir en quel lieu le défunt a terminé fa vie. Ces forciers frappent fur un tambour, &, par le fecours d'un miroir magique, prétendent faire comparoître l'ame du mort, afin qu'on apprenne de fa propre bouche ce que l'on veut favoir. Mais fi l'ame n'obéit pas aux ordres du magicien, les parens fabriquent une ftatue de plâtre, à laquelle ils rendent les devoirs funebres, avec toutes les cérémonies ufitées dans le pays.

C'EST

Funérailles des Indiens.

'EST un ufage célébre dans les Indes, que les femmes fe brûlent toutes vives après la mort de leurs maris. Nous allons donner une defcription exacte & détaillée de cette tragique cérémonie, qui varie dans la pratique, felon les différentes provinces. Dans le royaume de Bifnagar, les femmes ne fe brûlent que plufieurs mois après les Funérailles de leurs époux. Elles emploient ce temps à réfléchir fur une action auffi importante que celle qu'elles doivent faire. Il y a lieu de douter que la réflexion augmente leurs forces & leur courage. La mort eft une de ces chofes dont la méditation eft plus capable de groffir que de diminuer l'horreur. Quoi qu'il en foit, le jour marqué pour cette lugubre fête étant arrivé, la victime se pare de fes joyaux & de fes plus fuperbes habits; fe couronne de fleurs; monte fur un éléphant, ou dans un palanquin, & s'avance vers le bûcher, portant une fleche dans la main droite, & un miroir dans la

main gauche. Ses parens & fes amis l'accompagnent, & la conduisent comme en triomphe. Elle-même affectant une joie que le cœur peut-être dément, fait retentir les airs de chants d'alégreffe, qui témoignent le défir qu'elle a d'aller rejoindre fon cher époux. Lorfqu'elle eft arrivée au lieu où fe doit paffer cette fcene, elle s'affied à une table couverte de toutes fortes de mets; &, foutenant jufqu'au bout fon rôle, elle tâche de faire honneur à un feftin qui doit être le dernier pour elle puis elle donne elle-même fes ordres avec une tranquillité apparente, pour la conftruction du bûcher qu'on prépare ordinairement dans une foffe quarrée. Lorfque tout eft fait, & qu'on voit déjà la flamme s'élever au-deffus du bûcher, elle fe rend au bord de la riviere, accompagnée d'un de fes plus proche parens. Là elle quitte les bijoux & les ornemens dont elle eft décorée; les donne à fon parent, & entre dans l'eau pour s'y purifier. Après cette ablution, elle se couvre le corps d'une piece de toile jaune, & revient promptement avec fon parent au lieu où elle doit confommer fon facrifice. Elle monte fur une éminence de cinq ou fix pieds de haut, qui se trouve auprès du bûcher. Là, une femme lui répand fur le corps un pot d'huile; puis elle adreffe quelques paroles aux affiftans. Mais fouvent, au milieu de fon difcours, les bramines, la pouffent rudement dans la foffe. Quelquefois elle prend fon effor, & s'élance elle-même courageufement au milieu des flammes. Dans ce moment, s'élevent des cris de joie & de trifteffe que pouffent les affiftans. On remarque que, pour dérober aux femmes la vue des flammes, qui pourroit faire chanceler leur courage, il y a fouvent une natte tendue au bord de l'éminence, qu'on ne leve qu'au moment que la femme fe précipite dans le bûcher.

Dans le royaume du Guzarate, & dans une partie du Mogol, on place le bûcher fous une petite cabane quarrée, conftruite avec des rofeaux trempés d'huile, & couverts d'autres matieres combuftibles. Cette cabane eft ordinairement fituée fur le bord de quelque riviere. La veuve eft affife au milieu un morceau de bois lui fert de chevet, & foutient fa tête. Derriere elle est un pillier auquel les bramines ont la précaution de l'attacher, de peur que fon courage ne s'évanouiffe à la vue des flammes, & qu'elle ne fe dérobe à la mort par la fuite. Le cadavre de fon mari eft fur fes genoux; &, pendant qu'elle le ferre entre fes bras avec tendreffe, on met le feu à la cabane. Les parens & les amis de la veuve, pour augmenter encore l'activité de la flamme, ont foin d'y répandre quelques pots d'huile. Dans la province de Bengale, la veuve après s'être lavée dans le gange avec le corps de fon époux, eft conduite en grande cérémonie, au fon de tous les inftrumens de mufique, au lieu où l'on a dreffé le bûcher. Elle s'y étend fur une efpece de lit qu'on y a préparé. On place fur elle le corps de fon mari en travers. Elle refte quelque temps dans cette fituation pour recevoir les commiffions qu'on lui donne pour l'autre monde. L'un lui apporte des lettres qu'elle eft chargée de remettre là-bas à leur adreffe.

L'autre lui confie des étoffes & des préfens de toute efpece qu'il veut envoyer par cette voie aux morts de fa connoiffance. Lorfque perfonne n'apporte plus rien, la femme avertit, par trois fois, les affiftans, que ceux qui ont quelque dépêche à lui donner pour l'autre monde, ne tardent pas à s'approcher, parce qu'elle eft fur le point de partir; puis elle met dans fon fein tous les préfens qu'on lui a confiés, dont elle fait un gros paquet. Le bûcher s'allume, & la veuve, avec toutes ses dépêches, n'eft bientôt plus qu'un monceau de cendres.

Sur la côte de Coromandel, la veuve tourne trois fois autour de la foffe dans laquelle eft préparé le bûcher. A chaque tour, elle embraffe tendrement fes amis & fes parens, leur disant le dernier adieu. Lorfqu'elle acheve fon troisieme tour, les bramines commencent par précipiter dans les flammes le corps de fon mari, & puis ils l'y jettent elle-même.

Dans quelques autres endroits des Indes, les femmes ne fe brûlent pas après la mort de leurs époux, mais fe font périr par un genre de mort encore plus cruel. On creufe une foffe profonde, mais fort étroite, où on les fait defcendre jufqu'au col. Alors quelques bramines les étranglent & leur marchent fur la tête. On jette enfuite deffus des paniers pleins de terre pour les couvrir.

APRÈS

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Funérailles des Japonois.

PRÈS la mort d'un Japonois, fi c'eft une perfonne de quelque diftinction, tous les parens & amis vont en cérémonie, & revêtus d'habits de deuil, dans l'endroit où l'on doit brûler le corps du défunt, car c'eft la coutume des Japonois de brûler leurs morts. Les femmes, malgré leur retraite auftere, affiftent ordinairement à cette cérémonie, mais couvertes d'un voile. Une trentaine de bonzes marchent à la tête de ce cortege funebre. Leur vêtement n'eft autre chofe qu'un habit brun, par deffus un manteau noir. Ils tiennent en main une torche allumée, & font fuivis de deux cents autres bonzes, qui chantent à pleine voix des hymnes en l'honneur de la divinité que le défunt avoit choifie pour fa protectrice. Après eux, marchent plufieurs hommes gagés par la famille du défunt, qui por tent des piques, au bout defquelles font attachés des paniers pleins de papiers découpés, de diverfes couleurs. Ils agitent exprès leurs piques, & font voltiger en l'air leurs papiers; ce que les Japonois regardent comme un figne que le défunt eft parvenu aux demeures fortunées des gens de bien. Viennent enfuite huit jeunes bonzes qui forment deux bandes. Ils tiennent en main de longues cannes, au bout defquelles font des banderoles où l'on a tracé le nom de quelque dieu. Dix autres bonzes les fuivent, tenant une lanterne allumée, fur laquelle on voit des caracteres fymboliques. Deux jeunes gens, revêtus d'habits bruns, accompagnent ces bonzes, & tiennent en mains des torches éteintes. Ils font fuivis de plufieurs autres perfonnes, également habillées en brun, dont la tête eßt

couverte de bonnets de cuir noir verniffés. On lit fur ces bonnets le nom de l'idole à laquelle le défunt s'étoit particuliérement confacré. Enfin arrive le défunt. Quatre hommes le portent affis dans fon cercueil. Il a les mains jointes, & penche un peu la tête en devant. Son habillement eft blanc; & par-deffus il eft encore revêtu d'une robe de papier, faite avec les feuilles du livre qui contient l'hiftoire de la divinité que le défunt avoit coutume d'invoquer le plus fouvent. Le cercueil eft entouré des enfans. dont le plus jeune tient en main une torche de pin allumée, destinée à mettre le feu au bûcher. Une foule de peuple, avec des bonnets de cuir fur la tête, termine la marche. Lorfqu'on eft arrivé au lieu du bûcher, qui eft communément environné de quatre murailles couvertes de draps blancs, où l'on a pratiqué quatre portes tournées vers les quatre vents; on creuse, au milieu, une grande foffe qu'on remplit de bois, & l'on » dreffe aux deux côtés de la foffe deux tables couvertes de viandes. Sur l'une de ces tables il y a un petit réchaut, en forme d'encenfoir, plein » de charbons allumés, & du bois de fenteur. Lorfque le corps eft près » de la foffe, on attache une longue corde au cercueil, qui eft en forme » de petit lit, où le mort repofe; puis on porte trois fois ce petit lit au» tour de la foffe ; & enfin on le met fur le bûcher, pendant que les » bonzes & les parens invoquent fans ceffe le nom du dieu tutélaire de » ce mort. Après cela, le premier bonze, c'est-à-dire, celui qui étoit à la » tête de la proceffion funebre, fait trois tours autour du corps avec sa » torche allumée, & la paffe trois fois fur fa tête, en prononçant certaines » paroles que les affiftans n'entendent point. « Nieuhof, de qui eft ce récit, prétend que le bonze jette la torche, laquelle eft enfuite ramaffée par les plus proches parens du défunt, qui la jettent dans la foffe, après l'avoir fait paffer trois fois fur le corps. Suivant le P. Craffet, dans l'Hiftoire de l'église du Japon, le plus jeune des enfans du défunt reçoit la torche des mains du bonze, & la jette dans la foffe, laquelle eft remplie de parfums, d'huiles & de drogues aromatiques. » Pendant que le corps fe consume » dit le jéfuite, les enfans, ou les plus proches parens du défunt, s'approchent de l'encenfoir qui eft fur la table, & y mettent des parfums. Cette » cérémonie achevée, les parens & les amis du mort se retirent. Il n'y a » que le peuple & les pauvres gens qui demeurent là pour manger ou » pour emporter les viandes. Le lendemain, les enfans, les parens & les >> amis retournent au même lieu, pour recueillir les os & les cendres du » défunt, qu'ils mettent dans une urne de vermeil couverte d'un voile » précieux. Les bonzes s'y rendent auffi pour continuer leurs prieres qui > durent fept jours : le huitieme, on porte l'urne en un lieu où on l'en» terre fous une plaque de cuivre ou fous une pierre fur laquelle on grave » le nom du défunt, & le dieu qu'il a fervi. « Quelquefois on éleve dans le même endroit des colonnes, ou des pilliers de marbre, fur lesquels on grave les exploits du mort, les dignités dont il a été honoré, le jour de

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