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NOS VIEILLES ÉCOLES NORMANDES

par M. EMILE C. DE BEAUCAMP

Membre résidant

MONOGRAPHIE DÉPARTEMENTALE

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I. Memento. II. Ecoles Normandes du Moyen Age. III. Ecoles annexées aux Abbayes ou Monastères. IV. Ecoles comprises dans les Exemptions des Abbayes. — V. Ecoles à la nomination du Chapitre de la Cathédrale. VI. Ecoles rattachées aux Prieurés. VII. Ecoles rattachées aux Collégiales. -VIII. Ecoles paroissiales à la nomination des curés. IX. Ecoles à la nomination

des seigneurs. X. Les clercs, instituteurs du Moyen Age. XI. Les Clercs mariés, instituteurs laïques au XIV siècle. — Nomination des Clercs. L'écolâtre. - XIII. Méthodes et discipline des écoles du Moyen Age.

I. MEMENTO

«Les grandes écoles païennes, une fois fermées, le christianisme n'en rouvrit pas d'autres, et, après le IVe siècle, une nuit profonde couvrit l'humanité. Le travail des Grecs et des Romains fut comme non avenu. Le passé n'existait plus. L'humanité recommençait à nouveau.>> Au ve siècle, Sidoine Appolinaire déclare que « les jeunes gens n'étudient plus, que les professeurs n'ont plus d'élèves, que la science languit et meurt. » Plus tard, Loup de Ferrières, le favori de Louis-leDébonnaire et de Charles-le-Chauve, écrit que l'étude des lettres est. presque nulle. Dans les premières années du xr siècle, l'évêque de Laon, Adalberic, avoue que « plus d'un évêque ne savait pas compter sur ses doigts les lettres de l'alphabet. » En 1291, de tous les moines du couvent de Saint-Gall (Suisse), il n'y en avait qu'un qui sût lire et

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écrire. Les notaires publics étaient si difficiles à trouver qu'on était réduit à passer les actes verbalement. Les seigneurs tiraient vanité de leur ignorance. Même après les efforts du XIe siècle, l'instruction resta un luxe pour les laïques; elle était le privilège des ecclésiastiques qui, eux-mêmes, ne la poussaient pas bien loin. Les Bénédictins confessent qu'on n'étudiait les mathématiques que pour être en état de calculer la date du jour pascal (1).

L'Eglise du Moyen Age ne fut pourtant pas hostile à l'instruction, mais la condition sociale du peuple d'alors, le manque de sécurité et de loisir résultant des invasions et des guerres continuelles, l'absence de langue nationale, la rareté et la cherté des livres latins manuscrits, expliquent assez pourquoi la vie de l'esprit se réfugia dans quelques monastères. L'instruction fut comme l'apanage de quelques privilégiés, et le reste de la nation demeura enfoui dans une nuit obscure.

II. ÉCOLES NORMANDES DU MOYEN AGE

Les seules écoles du Moyen Age furent: 1o les écoles épiscopales et claustrales, annexées les unes aux évêchés, les autres aux abbayes ou aux monastères, comme l'école-cathédrale de Rouen, celles de Saint-Ouen, du monastère de Sainte-Catherinedu-Mont, de la Trinité de Jumièges, de Fontenelle ou SaintWandrille, de Fécamp, de Montivilliers, d'Eu, d'Aumale, de Lisieux, de Caen, du Mont Saint-Michel et celle de l'abbaye du Bec; 2° les Universités, groupements d'étudiants, centres d'études qui se multiplièrent dans les grandes villes d'Europe, aux x et xive siècles; 3° quelques écoles paroissiales, premier essai de nos écoles de villages.

Afin de ne pas sortir de notre cadre, nous ne nous occuperons que du premier degré d'enseignement, renvoyant aux ouvrages spéciaux pour les écoles épiscopales et monastiques qui donnaient un enseignement supérieur (2).

A l'origine de nos paroisses, les premières écoles primaires furent annexées aux monastères, et plus tard, elles furent attachées à chaque église et confiées aux curés.

(1) Cf. Histoire de la Pédagogie, G. Compayrė, p. 55.

(2) Léon Maitre, Ecoles épiscopales et monastiques de l'Occident, depuis Charlemagne jusqu'à Philippe-Auguste, Paris, 1866; Chéruel, Précis de l'Académie de Rouen (1847-1848); Ch. Robillard de Beaurepaire, Recherches sur l'instruction publique dans le diocèse de Rouen avant 1789.

Le concile de Vaison, en 529, recommandait instamment la propagation des écoles dans les monastères. D'après la Coutume d'Italie, est-il dit dans les actes de cette assemblée, tous les prêtres de la campagne recevront chez eux les jeunes lecteurs non mariés pour les élever ainsi que de bons pères, pour leur apprendre à lire, à écrire, et pour les instruire dans la loi de Dieu.

Le pape Léon IV, au ixe siècle (847), s'occupant du soin du pasteur, s'exprime ainsi : « Que tout prêtre ait un clerc des écoles (clerc ou scholard) (1), qui chante l'épître, fasse la lecture, réponde à la messe et chante les psaumes. >>

Du Cange cite Hincmar, évêque de Reims, demandant, à propos des obligations du curé, « qu'il ait un clerc qui puisse tenir la >> classe, qui lise l'épître et qui chante. » — L'évêque d'Orléans, Walter, en ses Canons, chap. VI, parle dans le même sens : «Que chaque prêtre ait son clerc, l'élève avec soin, et, s'il le » peut, qu'il ne néglige pas d'avoir la classe dans son église. » Nous allons voir que ces prescriptions reçurent une assez large exécution dans notre pays.

III.

ÉCOLES ANNEXÉES AUX ABBAYES OU MONASTÈRES

Il ne faut pas confondre les écoles abbatiales exclusivement réservées à l'instruction supérieure des novices et surtout des profès, avec les écoles claustrales ou monacales, qui, à l'intérieur ou à l'extérieur des monastères, donnaient, à tous les degrés, une instruction gratuite ou rétribuée aux enfants destinés soit à la cléricature, soit aux carrières civiles. Parmi ces dernières, nous citerons les suivantes :

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1° Ecoles de l'abbaye d'Eu. Dans la Charte de confirmation de l'abbaye d'Eu, vers 1150, Henri, comte d'Eu, reconnaît parmi les possessions de cette abbaye les écoles d'Eu, de Blangy, de Foucarmont, de Criel, qui, sans conteste, étaient des écoles populaires et non des classes de hautes études.

2o Ecoles de l'abbaye de Fécamp. -Saint Guillaume de Dijon, qui vivait au x1° siècle, fonda une école publique et gratuite

(1) Selon Du Cange, les clercs des églises étaient le plus souvent appelés clerico scholares, clercs des écoles.

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dans l'abbaye de Fécamp, qu'il fut appelé à réformer. Cette ville étant alors la résidence favorite des ducs de Normandie, la nouvelle école fut d'un exemple fécond. (1)

L'auteur de la Vie de saint Guillaume rapporte le fait en ces termes: «Voyant que non seulement à Fécamp, mais dans toute la province de Normandie et même dans toute la Gaule, parmi les clercs des campagnes principalement, la science du chant et de la lecture était négligée, sinon même absolument inconnue, le bon père très vigilant institua, dans les monastères dont il était chargé, des écoles sacrées où, pour l'amour de Dieu, des frères instruits et propres à l'enseignement distribuaient gratuitement le bienfait de l'instruction à tous ceux qui se présentaient, sans exclusion de personne. Serfs et libres, pauvres et riches, avaient une part égale à cet enseignement charitable. Plusieurs recevaient des monastères, en même temps que l'instruction, la nourriture qu'ils n'auraient point eu le moyen de se procurer, et parmi ceux-là il s'en trouva qui prirent l'habit monastique. » (2)

A la fin du XIIe siècle, une école existait certainement dans cette ville, avec bâtiments et revenus affectés à son usage. C'est ce que nous apprennent deux Chartes rédigées du temps de Raoul d'Argences, abbé de Fécamp. (3)

De ces actes, il découle que l'école de Fécamp était placée sous la protection de l'abbaye, qu'elle en formait comme une dépendance, qu'elle était régie par plusieurs clercs et dotée, de temps immémorial, de dimes sur Senneville, commune voisine.

Un Terrier de Fécamp mentionne également une école existant, en 1412, dans la maison de Thomas Gosselin, rue du Marché, sur la paroisse Saint-Fromond (4). Vers le même temps, on voit dans un compte de l'abbaye de Fécamp une somme de 15 liv. due à Guillaume Hudebert, maître d'école des jeunes religieux, pour une année de gages (5).

(1) Cf. M. de Beaurepaire, ouv. cité, p. 14.

(2) Bollandistes, Acta Sanctorum (janvier), I. 631.

(3) Arch. S.-Inf., Charte orig. Cartul. de Fécamp à la biblioth. de Rouen.

(4) Arch. S.-Inf., F. de l'abb. de Fécamp, Terrier f 20. V.

(5) D'après M. de Beaurepaire, p. 18-19.

Ajoutons qu'au xvi siècle, il y avait, à l'usage des dix paroisses de la ville, des écoles générales et privilégiées, et qu'elles furent données par le prieur claustral à Me Robert Delaunay, prêtre, le 26 avril 1564. Elles existaient encore au XVII® siècle. Un article du concordat conclu le 1er décembre 1649, entre l'abbé de Fécamp et les religieux de la Congrégation de Saint-Maur, pour l'introduction de la réforme, obligeait ces pères à entretenir les grandes Ecoles établies à Fécamp pour l'utilité de la ville, et à continuer dans sa maîtrise le maître qui en avait la direction.

3o Ecoles de l'abbaye d'Aumale. - Une bulle du pape Alexandre III, en 1178, constate parmi les possessions de l'abbaye d'Aumale, le doyenné et les écoles avec toutes leurs dépendances.

Mais un acte de 1295 ne fait plus mention de la suprématie de l'abbaye sur les écoles (1). Le maire et les échevins de la ville avaient, à cette époque, la prétention de choisir le clerc chargé de tenir les écoles. Le recteur, ou curé de Saint-Pierre, résistait, et une sentence de l'archevêché donnait au maire et aux échevins le droit de présentation; elle réservait au curé le droit de choix, après toutefois un examen passé devant le maitre des écoles (magister scholarum), probablement le maître des hautes études.

4° Ecoles de l'abbaye de Montivilliers. C'étaient les Bénédictines de Montivilliers qui nommaient aux écoles de cette ville et à celles d'Harfleur. De plus, par l'intermédiaire de leur official, elles exerçaient une surveillance active sur toutes celles qui se trouvaient comprises dans le territoire appelé l'Exemption de Montivilliers.

En 1494, un nommé Sandrin Bourrel fut, par sentence de justice, mené à l'école d'Harfleur, dépouillé tout nu et battu de verges, en présence des enfants, parce qu'il avait pris en la bourse d'un écolier, enfermé avec lui à la prison, une somme de 10 s. t. (2).

Les écoles de Montivilliers remontent à une époque peut-être plus reculée, dit M. de Beaurepaire. Un registre des amendes

(1) Cette école, selon M. Semichon, existait dans la maison où s'établirent les Pénitents en 1642, et où se trouvait encore le Collège il y a quelques années.

(2) Arch. de la S.-Inf., F. de Montivilliers.

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