parties: car, comme le dit l'art. 1134, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites; or, la règle portée tout exprès pour un cas particulier doit faire exception à la règle générale, conformément à la maxime specialia generalibus derogant. Mais, pour qu'elle tienne lieu de loi, il faut que la convention soit légalement formée. Or, elle ne l'est, aux termes de l'art. 1108, que quand l'obligation qu'on y contracte repose sur une cause licite; et la cause n'est licite, d'après l'art. 1133, que quand elle n'est ni contraire à l'ordre public, ni contraire aux bonnes mœurs, ni prohibée par la loi. II. - 95. D'après cet art. 1133, on pourrait croire que notre article est incomplet et qu'il y a non pas seulement deux, mais trois circonstances, qui s'opposent à ce qu'on déroge à une loi par convention particulière; on pourrait croire qu'il y a des lois auxquelles on ne peut pas déroger, parce que le législateur l'a défendu, sans que cependant elles touchent ni à l'ordre public, ni aux bonnes mœurs. Ce serait une erreur. C'est toujours parce qu'une disposition touche, de plus ou moins près, à la morale et au bon ordre, que le législateur défend d'y déroger; ce n'est jamais par caprice, et pour le plaisir d'entraver la liberté des conventions, qu'il défend de stipuler sur telle ou telle matière. Seulement, comme le rapport que le législateur aperçoit entre telle disposition et l'ordre public ou la morale, peut être assez éloigné et peu saillant, il prend quelquefois la peine de dire expressément que cette disposition ne pourra être changée par convention. C'est pour cela que l'art. 1133, qui ne fait que reproduire l'idée de notre article, nous présente, comme causes illicites d'obligation, et celle contraire aux bonnes mœurs ou à l'ordre public, et celle prohibée par la loi. Mais, nous le répétons, le respect de l'ordre et de la morale est toujours la cause qui fait prohiber telle ou telle stipulation. Par exemple, si, dans l'art. 1130, le législateur défend toute convention sur la succession future d'une personne encore vivante, c'est qu'il voit là un empressement peu décent et que réprouve une saine morale; si, dans l'art. 815, il déclare nulle l'obligation que prendraient des copropriétaires de biens indivis de demeurer indéfiniment dans l'indivision, c'est qu'il voit là un obstacle à la libre circulation et au bon entretien de ces biens, et dès lors préjudice à l'intérêt général. S'il s'est prononcé formellement sur la nullité de pareils contrats, c'est qu'il craignait que tous n'aperçussent pas le rapport qu'il trouvait entre ces points et l'ordre public ou la morale. Il en est de même des art. 1660, 1674, 530, et de beaucoup d'autres. Au contraire, quand le législateur porte une disposition qui touche à l'ordre public ou aux bonnes mœurs d'une manière claire et facile à saisir; quand il est évident que le point dont il s'agit ne peut pas faire l'objet d'un commerce ni être réglé par la volonté privée des personnes, alors le législateur ne prend pas toujours le soin d'en avertir et d'ajouter qu'on n'y pourra pas déroger; il se contente de la prohibition générale posée dans notre article. Ainsi, quoique la loi ne le dise pas spécialement, deux époux ne pourraient pas convenir qu'ils ne resteront mariés que pendant un temps déterminé; un père ne pourrait pas souscrire une renonciation à sa puissance paternelle; un homme ne pourrait pas se vendre à un autre homme et se faire son esclave; on ne pourrait pas s'obliger à n'embrasser jamais telle religion, etc. RÉSUMÉ DU TITRE PRÉLIMINAIRE Pour résumer ce Titre, nous avons à voir: 1o la Confection, la Promulgation et la Publication de la loi; 2o ses Effets; - 3o son Application. 1.- Confection, promulgation et publication de la loi (art. 1er). I. - La loi est décrétée par l'Assemblée nationale. Une fois adoptée, elle sort du domaine du pouvoir législatif pour tomber dans celui du pouvoir exécutif; mais elle est encore sans force, et il faut, pour étre mise à exécution, qu'elle soit promulguée et publiée (art. 1, no° I). La promulgation est l'attestation donnée au corps social, de l'existence de la loi, et le commandement adressé aux magistrats de l'observer et de la faire observer. Elle consiste, en réalité, dans l'apposition, au bas de la loi, de la formule qui ordonne d'exécuter cette loi; mais elle n'est légalement réputée accomplie que par la remise au ministère de la justice du Bulletin apporté de l'Imprimerie nationale (1). Le chef du pouvoir exécutif est tenu de promulguer les lois d'urgence dans les trois jours de leur adoption, et les autres dans le délai d'un mois (ibid. II). La publication, qui n'est rien autre chose que le moyen par lequel la promulgation est mise, ou réputée mise, à la connaissance des citoyens, consiste aujourd'hui dans le délai d'un jour écoulé depuis la promulgation accomplie, plus un jour par chaque fois 10 myriamètres de distance entre la ville où a eu lieu la promulgation (ordinairement Paris) et le chef-lieu de chaque département. On ne doit compter que les dizaines de myriamètre et faire abstraction des unités passant. C'est par l'effet de la publication que la loi devient obligatoire et peut être exécutée. Du reste, cette publication n'est fondée que sur une présomption de connaissance qui s'évanouirait, non pas par toute preuve contraire, mais par la constatation d'un événement de force majeure rendant impossible la communication d'un pays avec la ville où la promulgation s'est faite (ibid. III) (2). (1) Voy.suprà (no 28, note 1). (2) Voy. ibid. Pour ce qui est de l'abrogation d'une loi, il est évident qu'elle ne peut résulter aujourd'hui (soit expressément, soit tacitement et par incompatibilité) que d'une loi postérieure, sans pouvoir jamais découler soit du non-usage de la loi, soit d'un usage contraire. La législation ne pouvant être changée que par la puissance législative, il est palpable que la maxime Leges per desuetudinem abrogantur a perdu sa valeur en même temps que la maxime Consuetudo pro lege custoditur (ibid. V). II. - En outre des lois proprement dites, il est des actes qui ne portent point ce nom, mais qui sont comme le complément de la loi et en font en quelque sorte partie. nous voulons parler des actes que le chef de l'État ou les agents de l'autorité administrative ou municipale rendent sous le nom d'ordonnances, règlements, arrêtés, etc. Ces actes, tant qu'ils sont rendus en conformité de la loi et dans les limites des attributions du fonctionnaire duquel ils émanent, ne sont que des développements et des accessoires de la loi; commandés ou autorisés par la loi même, ils se confondent avec elle et participent à son autorité (ibid. IV). 2. - Effets de la loi (art. 2 et 3). III. - La loi étant une règle de conduite, par conséquent un acte de l'essence duquel il est de commander, de défendre ou de permettre, il s'ensuit qu'elle ne peut obliger que pour l'avenir, et ne saurait avoir d'effet rétroactif. Ce principe, si simple en lui-même, présente cependant d'assez grandes difficultés dans son application; il a été examiné sous cinq rapports différents. 1o Lois interprétatives. - L'acte qu'on appelle ordinairement et bien improprement loi interprétative, n'est point une loi; c'est tout simplement l'interprétation, donnée par le législateur, d'une loi faisant difficulté. Or, comme l'interprétation, donnée à un texte, de quelque source qu'elle émane, n'est rien autre chose que ce texte même interprété, il s'ensuit que la prétendue loi interprétative, c'est-à-dire l'interprétation, aura effet pour les actes antérieurs à elle, sans qu'il y ait pour cela rétroactivité, puisque ce n'est pas l'interprétation qu'on appliquera, mais bien la loi qui a reçu cette interprétation, et qui, évidemment, conserve toujours sa même date (art. 2, II). 2o Les lois réglant la capacité des personnes changent notre capacité au moment même de leur publication; mais il est clair qu'elles respectent notre capacité antérieure et maintiennent tous les effets qu'elle a produits, puisque ce sont là des faits accomplis (ibid. IV). 3o Pour les lois déterminant la portion disponible des biens, il faut distinguer entre les dispositions révocables (Testaments) et celles irrévocables (Donations et Institutions contractuelles). La loi nouvelle s'applique aux premières sans qu'il y ait rétroactivité, parce que ces dispositions n'avaient pas donné un droit certain, mais seulement une espérance, une éventualité que la loi restait maîtresse de modifier ou d'anéantir. Elle est sans effet vis-à-vis des secondes, parce que, dans celles-ci, tout a été accompli et parfait, dès le moment même de leur confection (ibid. V-VII). 4o Dans le cas de deux lois pénales, dont la seconde vient prononcer une peine différente de la première, on applique la moins sévère. Si c'est la première, son application n'est que le résultat des principes ordinaires; si c'est la seconde, on l'applique par une rétroactivité fondée sur ce qu'on doit cesser de faire une chose, dès que l'injustice en est reconnue (ibid. VII). 5o Pour la forme des actes, les clauses à y suppléer, les preuves à admettre pour leur constatation, c'est toujours la première, celle du jour de la confection de l'acte, qu'il faut appliquer; mais pour les formes à suivre dans l'exécution, c'est la dernière, celle actuellement en vigueur. En effet, quant aux trois premiers objets, la forme employée pour l'acte est une chose accomplie au moment que la nouvelle loi arrive;... les clauses à suppléer doivent s'induire de l'intention des parties: or, cette intention n'a pu se référer à une loi qui n'existait pas encore;... enfin, la faculté d'invoquer tel genre de preuves que permettait la loi du jour de la confection, est un droit sur lequel les parties ont dû compter, et réciproquement elles n'ont dû compter que sur les preuves alors permises. Au contraire, pour les formalités à suivre dans l'exécution, les parties n'ont jamais droit acquis à leur maintien; ce sur quoi elles peuvent compter, c'est l'exécution de leur contrat, mais non pas le mode par lequel on arrivera à cette exécution. Enfin, pour les lois réglant la prescription, c'est aussi la dernière qu'il faut appliquer à toutes les prescriptions non encore accomplies lors de sa promulgation. En effet, la prescription, empruntée au droit naturel par le législateur civil comme une des bases indispensables de toute organisation sociale, est donc, au plus haut degré, une institution d'ordre public, et ce législateur est, dès lors, le maître, à chaque instant, d'adopter pour l'avenir, et à partir de cet instant même, le système qu'il croit le plus utile à la société. Par conséquent, celui, au profit duquel court la prescription, n'a jamais qu'une espérance, et non un droit acquis, de prescrire par tel délai et sous telles conditions; en sorte que la loi peut changer ces conditions, allonger ce délai, ou même rendre la prescription impossible. Réciproquement, celui contre qui marche la prescription ne pouvant pas avoir le droit immuable, soit de conserver toujours comme imprescriptible la chose qui est telle aujourd'hui, soit de ne voir la prescription s'accomplir que par telles conditions, la loi peut déclarer prescriptible aujourd'hui ce qui ne l'était pas hier, ou fixer pour telle prescription un délai plus court et des moyens plus faciles que les précédents, pourvu, bien entendu, que ces effets ne commencent qu'à partir de la promulgation de la loi nouvelle (ibid. IX-XIII). Une remarque importante sur la rétroactivité des lois, c'est que si elle est impossible en logique, elle est, au contraire, très-possible en fait et se présente effectivement quelquefois. Sans doute alors, il y a Τ. Ι. 6 contradiction aux vrais principes du droit; mais l'organisation sociale, l'ordre politique, ne comportant pas d'autorité supérieure à celle de la loi, il y a force majeure d'accepter toujours ses dispositions, si mauvaises qu'elles puissent être sous ce rapport comme sous tout autre (ibid. XIV). IV. En outre des divisions déjà indiquées dans l'introduction, les lois (qui toutes sont personnelles, en ce sens que toutes s'adressent aux personnes et sont faites dans l'intérêt des personnes) se divisent en personnelles et réelles, selon qu'elles ont pour objet principal de régler les personnes ou les choses. Les lois personnelles se subdivisent en 1o lois de police, qui ont pour objet le bon ordre et la tranquillité publique. Elles n'obligent que les personnes qui se trouvent actuellement sur le territoire français, mais elles les obligent toutes (excepté les agents diplomatiques des puissances); 2° lois personnelles proprement dites, qui s'adressent aux Français seulement pour régler leur état et leur capacité. La nature différente et les effets, différents aussi par conséquent, des lois réelles et des lois personnelles, peuvent étonner au premier coup d'œil; ils sont cependant très-logiques. En effet, le souverain ayant puissance sur le territoire qui forme son empire, comme sur les personnes qui composent son peuple, il faut bien reconnaître des choses françaises, comme on reconnaît des personnes françaises, et dire que le souverain a le droit de porter des commandements ou des prohibitions pour les unes comme pour les autres. On peut donc exprimer les résultats de ces deux espèces de lois, en disant: Les personnes françaises, d'après telle loi à elles adressée, peuvent ou ne peuvent pas... (absolument, et en quelque lieu qu'elles soient); puis, les choses françaises, d'après telle loi portée pour elles, peuvent ou ne peuvent pas... (absolument, et quels que soient leurs propriétaires). En sorte que les lois réelles s'appliqueront à tous les biens de France, même à ceux appartenant à des étrangers, et les lois personnelles à toutes les personnes françaises, même résidant ou domiciliées en pays étranger (tant, bien entendu, qu'elles continueront d'être Françaises). Il est fort important, on le voit, mais il n'est pas toujours facile, d'arriver à distinguer les lois réelles des lois personnelles. Il faudra, pour cela, examiner, abstraction faite de la rédaction que la loi présente, quel a été le but définitif, le résultat dernier qu'a voulu atteindre le législateur, et voir si c'est le bien qu'il a eu principalement en vue, ne parlant de la personne qu'accidentellement et à propos de ce bien ; ou si c'est de la personne elle-même qu'il entendait particulièrement s'occuper. Une règle assez simple, et qui sera d'une fréquente application, c'est de voir si la prohibition portée contre une personne, par exemple, celle de transmettre ou de recevoir, ne serait pas la conséquence et l'application à un cas particulier d'une incapacité générale de cette personne. S'il en est ainsi, c'est un statut personnel; dans le cas contraire, il y a statut réel. |