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Guérin avait fait une fondation d'un autre genre qui témoigne bien de son affection pour ses religieux. Par lettres données au Bec, le 9 mars 1495, il rappelait qu'ayant augmenté le nombre des obits et la solennité de l'office divin, il était juste que ceux des religieux qui, comme le sous-prieur, le chantre le troisième prieur, le maître des novices et le sous-chantre supportaient plus que les autres la fatigue de ces offices de jour et de nuit, vissent augmenter leur traitement dont l'exiguité suffisait à peine à un honnête entretien. C'est pourquoi il leur attribua, ainsi qu'à leurs successeurs, une somme de 20 livres tournois à prendre sur la recette de la chambrerie, et payable aux termes de saint Jean-Baptiste, de saint Michel, de Noël et de Pâques, à savoir: 8 livres au sous-prieur, 100 sols tournois au chantre, et 60 sols aux trois autres officiers, à charge par chacun d'eux de célébrer dorénavant cinq messes par an dans la chapelle de saint Nicolas, pour lui, pour ses successeurs, ses parents, ses amis et ses bienfaiteurs, le vendredi des Quatre-Temps et dans le courant de la seconde semaine de Carême 1.

L'abbé Guillaume Guérin, qui gouvernait depuis près de vingt-cinq années son abbaye, sentait la vieillesse s'appesantir sur sa tête. Pour obvier aux incertitudes de l'avenir et prévenir les compétitions auxquelles une élection pourrait donner lieu, il crut devoir résigner son abbaye en faveur de son neveu Jean Ribault, « ex sorore nepoti », licencié en droit canon. Ce choix déplut à Louis XII, qui voulait donner la commende du Bec à Jean de Dunois, archevêque de Toulouse. Mais cette opposition n'eut pas le temps de devenir redoutable, le roi étant mort le 1er janvier 15153.

Léon X ayant agréé la démission de Guillaume Guérin, Jean Ribault s'empressa de faire le serment d'obéissance à l'église de Rouen, le 19 mars 1515, et de recevoir la béné

Gallia christ., XI, col. 292; Ordo anniversariorum, fo 21 vo.

2 Par lettres datées de Soissons, au mois de juin 1498, Louis XII avait confirmé les libertés et privilèges de l'abbaye du Bec. (Bibl. nat. lat. 13905, f° 89.)

3 Chron. de François Carré, p. 240.

diction dans la cathédrale des mains de Toussaint Varin, archevêque de Thessalonique et suffragant de l'archevêque de Rouen 1.

Quinze jours après, le 4 avril, Guillaume Guérin succombait à une attaque d'apoplexie. On lui fit de magnifiques funérailles, et son corps fut enterré sous une dalle de pierre au milieu du chœur2. « Sa mort, dit François Carré dans son style ampoulé, fut comme une éclipse qui laissa l'abbaye, durant de longues années, dans une nuit profonde 3. >>

Le trépas soudain de Guillaume Guérin inspira à Pierre Constance d'Ecaquelon un poème funèbre, écrit dans le

Chron. de François Carré, p. 240. Toussaint Varin, de l'Ordre des Augustins, fut suffragant des deux cardinaux d'Amboise (1508-1517); enterré dans l'église des Augustins de Rouen; Farin rapporte ainsi l'inscription funéraire : « Jacet reverendus in Christo pater dominus Tussanus Varin, archiepiscopus Thessalonicensis, hujus domus filius. »

2 Des fragments de sa pierre tombale sont conservés dans l'église de Sainte-Croix de Bernay : voici son épitaphe, completée en italiques par le texte qu'en donne le Neustria pia (p. 475).

Rothomagi quondam claro de sanguine cretus
Guillelmus Garin conditur hac scilice,
Moribus insignis, tenera fervente juventa,
Hausit Parisii docta fluenta soli,

Officiis studens; gravibus crescentibus annis,
Traditus est sacris edibus; inde prior;
Pro meritis tandem Beccensis rector et abbas
Factus, amor fratrum, delicieque fuit.
Hec quicunque legis, superos orare memento,
Liber ut illius spiritus astra petat.
Obiit anno..... die 4a......

Guillaume Guérin est représenté sur un vitrail de l'église paroissiale de Beaumont-le-Roger, revêtu des ornements pontificaux. Ses armes (que l'on retrouve sur sa dalle tumulaire) sont: de gueules, à 2 coquilles d'or en chef, et au cœur du méme en pointe. La petite chapelle de SaintEloi (ancien prieuré de saint Lambert de Nassandres) renferme une intéressante statue de saint Lambert du xve siècle; le cul-de-lampe qui sert de support est orné d'un écusson chargé de deux coquilles et d'un cœur; c'est là évidemment un don de Guillaume Guérin, qui était prieur de Saint-Lambert en 1484.

3 Chron. de François Carré, p. 240.

* De morte immatura atque lamentabili obitu Reverendi patris domini Guillelmi Guerini, abbatis Beccensis, Petri Constantii Escaquelonii nenia sive epicedium (S. 1. n. d.) petit in-4, gothique de 6 ff. Un exemplaire de cette rarissime plaquette, appartenant à M. A. Claudin, libraire à Paris, figurait à l'Exposition typographique de Rouen en 1887; c'est sans doute le même qui est conservé à la Bibliothèque nationale sous la cote Ln 27. 46985 (Réserve).

goût du temps, et qui fut imprimé par les soins de Simon. Gruel, également originaire d'Ecaquelon, et libraire à Rouen 1. Pierre Constance était médecin. Dans une lettre dédicatoire adressée à l'abbé Jean Ribault, il raconte qu'étant en vacances à Ecaquelon, il apprit la mort de l'abbé du Bec. De retour à Paris, il a laissé la médecine pour réveiller sa muse depuis longtemps endormie. Sa lettre est datée « Ex parrhisiorum lutecia litteraria, ad quartum nonas maias, anno M.CCCCC.XV. »> Tout en célébrant les mérites de l'abbé défunt, il adresse un bon nombre de distiques élogieux à Jean Ribault, licencié en droit canon, et à ses moines, à Pierre de Bailleul, bachelier en droit canon, prieur claustral, à Pierre du Bois, « Petrum sylvium alias de Bosco », licencié en droit canon et chapelain de Jean Ribault, à Guillaume Gombaud, son secrétaire.

Au moment où disparaît le dernier abbé régulier du Bec, il n'est pas sans intérêt de faire une statistique des vocations religieuses pendant les xive et xve siècles; on pourra la rapprocher de celle que nous donnerons pour le siècle suivant, sous le régime des commendes. Citons d'abord quelques chiffres pris çà et là pendant la seconde moitié du XIVe siècle. Le 25 août 1363, treize novices font profession; le 29 mai 1364, il y a trois profès; le 10 février 1368, dixneuf profès; le 4 avril 1383, onze profès; en 1392 quatorze profès. Sous l'abbé Guillaume d'Auvillars (1399-1418), il y eut cinquante-cinq profès; toutefois, de 1414 à 1418, il n'y eut pas de professions. Sous Robert Vallée (1418-1430), quarante-neuf profès; sous Thomas Frique (1430-1446), dix-neuf profès; dans les années 1432, 33, 35, 36, 37, 40, 41, 43, 44 et 45, aucun novice ne fit profession; c'est la pire époque de l'occupation anglaise. Sous Jean de la Motte (1446-1452), une seule profession de six novices. Sous

Au bas de la page on lit : « In laudem Symonis Gruel escaquelonii, librarii Rothomagi commorantis qui hunc libellum caracteribus imprimendum dari curavit - Tetrastichon.

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Ecce gruis Simon vulgo de nomine dictus

Talia calcographo qui dedit aere premi
Egre fert equidem Guerini funera patris :

<< Publica que cunctis sumptibus ille facit. »

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Geoffroy d'Epaignes (1452-1476), la moyenne commence à se relever; cinquante-trois novices font profession. Sous Jean Boucart (1476-1484), onze profès; sous Robert d'Evreux (1484-1491) douze profès; enfin sous Guillaume Guérin (1491-1515) soixante-deux novices firent profession1. Les professions des novices avaient lieu à l'abbaye et étaient toujours reçues par l'abbé, ou, en son absence, par le prieur claustral; parfois, l'abbé commissionnait le prieur claustral pour recevoir à profession quelques novices dans les prieurés de l'ordre, par exemple à Beaumont-le-Roger 2; mais cette dérogation à l'usage était rare.

1 Bibl. du Vatican, fonds de la Reine de Suède, ms. 499, f° 14 à 16; Bibl. nat., lat. 13905, fo 58 et 58 vo. Ces chiffres donnent les moyennes suivantes sous Guillaume d'Auvillars, 3 professions par an; sous Robert Vallée, 4; sous Thomas Frique, 1, 2; sous Jean de la Motte, 1; sous Geoffroy d'Epaignes, 2, 1; sous Jean Boucart, 1, 4; sous Robert d'Evreux, 1, 7; sous Guillaume Guérin, 2, 5.

* Le 28 novembre 1501, « dominica prima adventus, fuerunt professi de mandato Domni Guillermi abbatis Becci in prioratu de Bellomonte Rogeri, in praesentia dompni Jacobi prioris claustralis ejusdem loci Becci, videlicet Guillelmus et Johannes. » (Bibl. nat., lat. 13905, fo 58.)

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CHAPITRE XII

Les Écoles du Bec jusqu'à la fin du moyen âge. L'Université de de Paris. Les quatre Facultés. Les quatre Nations. Écoles de grammaire et de philosophie dans les monastères. Bulle de Benoît XII. Ses prescriptions relatives aux religieux étudiant dans les Universités. Abbés du Bec gradués de l'Université. La Chronique du Bec. La Chronique de François Carré. Décadence de l'École du Bec.

Pendant le XIe siècle, la jeunesse studieuse s'était, on l'a vu, centralisée à Paris autour de la montagne Sainte-Geneviève et du cloître de Notre-Dame; toute cette région s'était couverte d'écoles et peuplée de maîtres et d'étudiants. Ce n'était pas encore l'Université, mais c'en était déjà les éléments tout prêts à se constituer1.

Un diplôme de Philippe-Auguste, daté de Béthisy, au mois de juillet (?) de l'an 1200, exemptait les maîtres et les écoliers parisiens de la juridiction du prévôt pour les soumettre à l'officialité 2. Ce privilège est le seul que la royauté ait accordé à l'Université de Paris avant Philippe le Bel; elle trouva une meilleure protection de la part des souverains-pontifes; il est vrai que, dans ces temps, l'enseignement relevait non de l'État mais de l'Église.

Le P. Denifle assigne pour date à l'Université de Paris la fin du XIIe siècle; il retrouve son berceau dans le cloître de Notre-Dame, et son chef, ou grand-maître, dans le chancelier de l'Église de Paris. (Chartul. Universit. parisiensis, Introd., p. x.) On sait que l'enseignement des arts se donnait principalement sur la montagne Sainte-Geneviève et celui de la théologie et du décret à Notre-Dame.

2 L. Delisle, Catal. des actes de Philippe-Auguste, p. 146, no 629.

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