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leur position

car leurs goûts, leurs mœurs, les appelloient à la démocratie.

Mais nous, messieurs, nous avons pour concitoyens une multitude immense d'hommes sans propriété, qui attendent avant toutes choses leur subsistance d'un travail assuré, d'une police exacte, d'une protection continue, qui s'irritent quelquefois, non sans de justes motifs du spectacle du luxe et de l'opulence.

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On ne croira pas, sans doute, que j'en conclus que cette classe de citoyens n'a pas un droit égal à la liberté. Une telle pensée est loin de moi. La liberté doit être comme l'astre du jour qui luit pour tout le monde. Mais je crois, messieurs, qu'il est nécessaire, dans un grand empire, que les hommes placés par le sort dans une condition dépendante voient plutôt les justes limites que l'extension de la liberté naturelle....

Remarquez, en effet, messieurs, qu'il n'est aucun des droits naturels qui ne se trouve modifié par le droit positif. Or, si vous présentez le principe et l'exception : voilà la loi. Si vous n'indiquez aucune restriction, pourquoi présenter aux hommes, dans toute leur plénitude, des droits dont

ils ne doivent user qu'avec de justes limi

tations ?

Je suposse que dans cette conception des droits nous n'ayons aucun égard à ce qui est, que toutes les formes du gouvernement soient des instrumens libres entre nos mains; aussi - tôt que nous en aurons choisi une, voilà dans l'instant même l'homme naturel et ses droits modifiés. Pourquoi donc commencer par le transporter sur une haute montagne, et lui montrer son empire sans limites, lorsqu'il doit en descendre pour trouver des bornes à chaque pas ?

Lui direz-vous qu'il a la libre disposition de sa personne, avant qu'il soit à jamais dispensé de servir malgré lui dans l'armée de terre et de mer; qu'il a la libre disposition de son bien, avant que les coutumes et les loix locales qui en disposent contre son gré ne soient abrogées? Lui direz-vous que dans l'indigence il a droit au secours de tous, tandis qu'il invoque peut-être en vain la pitié des passans, tandis qu'à la honte de nos loix et de nos mœurs aucune précaution législative n'attache à la société les infortunés que la misere en sépare ? Il est donc indispensable de confronter la

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déclaration des droits, de la rendre concordante avec l'état obligé dans lequel se trouvera l'homme pour lequel elle est faite. C'est ainsi que la constitution françoise présentera l'alliance auguste de tous les principes, de tous les droits naturels, civils et politiques; c'est ainsi que vous éviterez de comprendre parmi les droits des articles qui appartiennent à tel ou tel titre de législation.

Telle est la considération qui m'avoit fait adopter de préférence dans le projet que. j'ai présenté un premier titre des droits et principes constitutifs; car, encore une fois, tout homme pour lequel on stipule une exposition de ses droits appartenant à une société, je ne vois pas comment il seroit utile de lui parler comme s'il en étoit séparé.

L'ÉTAT périssoit par la multitude et la gravité des abus que vous allez réformer; mais il n'est peut-être pas un de ces abus qui ne soit actuellement la ressource de ceux qui y participent, et qui ne soit lié à la subsistance de diverses classes de salariés.

Un grand nombre d'emplois ou de fonc

tions publiques, de graces non méritées,
de traitemens exagérés et de moyens abu-
sifs de fortune, doit être supprimé ou ré-
duit. Un nouvel ordre et plus de simplicité
dans la régie des finances, dans l'adminis-
tration de la justice, dans la représentation
des grandes places, va influer graduelle-
ment sur tous les états; d'où résulteront
deux effets certains: l'un, dont la perspec-
tive ne peut être que consolante et salutaire,
est la diminution du luxe; l'autre, plus pro-
chain, plus pressant, est le désœuvrement
instantané et la cessation des salaires ou
profits d'un grand nombre d'individus, do-
mestiques, ouvriers et employés de toute
espece. De-là suit encore la diminution des
aumônes pour les pauvres,
celle des con-
sommations pour les riches; ce qui occa-
sionnera aussi momentanément une réduc-
tion dans les profits des marchands et en-
trepreneurs.

Un vice particulier à la France rend toutes çes réformes aussi nécessaires que leur effet pourroit être dangereux, si on ne se hâtoit d'y pourvoir. Il n'existe dans aucun autre état policé, et nous ne trouvons dans l'histoire d'aucun peuple, une aussi grande quantité d'officiers publics et d'employés

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de tous les genres à la charge de la société, qu'il y en a parmi nous.

D'un autre côté, la diminution du travail et de l'industrie dans les classes productives fait depuis quelques annés des progrès effrayans; plusieurs manufactures et grand nombre de métiers ont été abandonnés dans plusieurs provinces; des milliers d'ouvriers sont sans emploi; la mendicité s'est accrue sensiblement dans les villes et dans les campagnes. Le commerce maritime est frappé de la même inertie; les étrangers partagent nos pêcherics et notre cabotage; les armemens diminuent, quoique le frêt de nos vaisseaux soit à haut prix. Soit que cet état de langueur du commerce intérieur et extérieur dépende de celui de l'agriculture trop imposée et desséchée par les spéculations de l'agiotage; soit qu'il résulte du désavantage de nos relations politiques avec les puissances étrangeres, de cette multitude de réglemens et de droits fiscaux qui obstruent tous les canaux de l'industrie; ou, enfin, de la réduction des capitaux que les agens du commerce y consacrent " parce que le luxe, la vanité, le grand nombre de charges et d'emplois stériles éloignent malheureusement de tous les travaux produc

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