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ses représentans son droit législatif, se réserve une influence égale sur l'administra tion; s'il dirige aussi par ses officiers l'emploi de la force armée, et qu'il garde enfin, par l'élection des juges et des jurés, une part principale dans le pouvoir judiciaire ; je vois entre les mains du peuple l'exercice effectif de tous les pouvoirs publics; je n'y trouve plus d'équilibre; je crains qu'un tel peuple ne soit plus occupé de ses droits que de ses devoirs; qu'il ne s'accoutume plus facilement à commander qu'à obéir; je crains que ses passions ne soient, plus souvent que ses intérêts, la regle du gouvernement, et que la liberté publique et individuelle ne soient compromis dans un tel ordre de choses.

YOS

Et remarquez, messieurs, comment, dans vos décrets constitutifs prononcés, et dans ceux qui se préparent, plusieurs causes peuvent concourir à affoiblir la considération et l'autorité des juges. Vous les avez exclus pendant leur exercice des fonctions administratives: il est question de les rendre amovibles ou de les soumettre annuellement à un scrutin d'épreuve. Quels hommes pourroient donc se dévouer à un état aussi précaire, tandis qu'il seroit si

essentiel de ne voir assis sur les tribunaux que les hommes les plus integres et les plus éclairés ?

Si à des juges médiocres vous associez des jurés inhabiles dans l'intelligence et l'application des loix et des coutumes diverses qui régissent la France, comment obtiendront-ils la confiance des peuples dans cette multitude de questions obscures qui naissent de nos loix, sur les substitutions, les communautés, les testamens, les partages et successions, et de l'influence de nos loix fiscales sur toutes nos transactions ?

On propose de composer les jurés des gens de loi; mais cet expédient est-il praticable dans les districts ? ce n'est que dans les capitales qu'on trouveroit une assez grande quantité de légistes pour que les récusations de droit et leur service alternatif, comme jurés, pussent avoir lieu sans leur interdire toute autre fonction.

L'intervention des jurés dans les affaires civiles me paroît donc impossible jusqu'à ce que nous ayons changé, simplifié nos loix, et établi une jurisprudence uniforme dans tout le royaume, telle qu'elle existe en Angleterre et en Amérique.

Dans les affaires criminelles, j'ai déjà dit,

et je me plais à le répéter, que, dans tous les délits communs, le jugement par jurés est la sauve-garde de l'innocent accusé, et cette considération doit suffire pour le faire adopter; mais quand je considere la liberté et l'ordre public dans les atteintes qu'ils peuvent recevoir des passions, des violences, des préventions, des mouvemens impétueux du peuple, je ne vois plus, en certains cas, une garantie snffisante contre l'oppression par le jugement des jurés ; et je sens alors le besoin d'un tribunal supérieur, indépendant, responsable au corps législatif, mais plus fort que ses justiciables (1).

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(1) J'ai parlé à la fin de la séance, après six heures de discussion, ce qui m'a forcé d'abréger mon opinion et de m'interdire tous les développemens qu'elle exigeoit ; mais je me reproche de n'avoir pas fait remarquer que si la France devoit être toujours distribuée en corps armés comme elle l'est aujourd'hui, et si ces corps avoient le droit qu'ils exercent, et que l'on paroît confirmer, de se confédérer, de délibérer, de requérir, d'avoir des comités dirigeans, non-seulement le jugement par jurés seroit dangereux et oppressif, mais on ne pourroit prendre confiance dans aucune espece de tribunal. M. Pitt a dit une grande vérité dont nous devrions profiter.-Nous passons au travers de la liberté, où arriverons-nous? Note de l'auteur,

L'ORGANISATION du corps militaire de la marine doit être, comme toute autre opération du corps législatif, considérée sous le rapport de l'intérêt général; il n'est ici ni esprit ni intérêt de corps, ni aucun préjugé qui puisse vous en imposer; mais aussi, frappés des abus que nous avons à réformer, nous devons nous préserver de tout entraînement vers des idées absolument neuves, dont aucune expérience ne vous présenteroit la garantie.

Le corps militaire de la marine a été jusqu'à présent privilégié : un intervalle immense séparoit ses officiers de ceux de la marine marchande; ceux-ci n'ont longtemps servi sur les vaisseaux de l'état qu'en qualité de matelots ou d'aides-pilote. Dans la derniere guerre, en les appellant momentanément en qualité d'officiers auxiliaires, on a créé pour eux le grade de souslieutenant de vaisseaux, dans lequel ils restoient sans avancement. C'est dans l'armée de terre comme dans celle de mer et dans toutes les fonctions publiques, que cette distinction humiliante pour la classe la plus nombreuse de la nation a le plus accé

léré et motivé le redressement de tous les griefs.

Mais, assurés maintenant de l'égalité po litique, la réparation des anciennes injustices peut-elle avoir d'autre mesure que celle même de l'intérêt général; et après avoir mis sur la même ligne tous les citoyens, pouvons-nous confondre aussi tous les services, toutes les fonctions; devez-vous, comme on vous le propose, n'établir qu'une seule marine nationale, sans aucune distinction de marine militaire ou de marine du commerce ?

C'est la premiere question à décider avant d'entrer dans les détails de l'organisation, et c'est celle que je dois traiter.

La plus étonnante conception de l'esprit humain est sans doute d'avoir osé se confier aux vents et aux flots, dans l'espérance de leur commander; et le chef-d'œuvre de l'art est d'y réussir assez souvent pour qu'on puisse regarder comme un malheur d'être la victime de cette audace. Mais si les hommes avoient imaginé la navigation comme un moyen de plus de s'attaquer et de se détruire; si cet art sublime étoit nécessairement lié à celui de la guerre, il n'y

auroit

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