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La nation françoise, en changeant ses loix et ses mœurs, doit sans doute changer sa politique; mais elle est encore condamnable, par les erreurs qui regnent en Europe, à suivre partiellement un ancien systême qu'elle ne pourroit détruire soudainement sans péril. La sagesse exige de ne renverser aucune base de sa sûreté publique avant de l'avoir remplacée. Eh! qui ne sait qu'en politique extérieure, comme en politique intérieure, tout intervalle est un danger; que l'interregne des princes est l'épo que des troubles; que l'interregne des loix est le regne de l'anarchie; et, si j'ose m'exprimer ainsi, que l'interregne des traités pourroit devenir une crise périlleuse pour la prospérité nationale ? L'influence tôt ou tard irrésistible d'une nation forte de vingt quatre millions d'hommes parlant la même langue, ramenant l'art social aux notions simples de liberté et d'équité, qui, douées d'un charme irrésistible pour le cœur humain, trouveront dans toutes les contrées du monde des missionnaires et des prosé lytes; l'influence d'une telle nation conquerra, sans doute, l'Europe entiere à la vérité, à la modération, à la justice; mais non pas tout-à-la fois, non pas en un seul

jour, non pas même en un instant. Trop de préjugés garottent encore les mortels trop de passions les égarent, trop de tyrans les asservent. Et cependant notre position géométrique nous permet-elle de nous isoler? Nos possessions lointaines, parsemées dans les deux mondes, ne nous exposentelles. pas à des attaques que nous ne pouyons pas repousser seuls sur tous les points. du globe, puisque, faute d'instructions, tous les peuples ne croient pas avoir le même intérêt politique, celui de la paix et des services mutuels, des bienfaits réciproques? Ne faut-il pas opposer l'affection des uns à l'inquiétude des autres, et du moins retenir par une contenance imposante ceux qui seroient tentés d'abuser de nos agitations et de leurs prospérités?

Tant que nous aurons des rivaux, la prudence nous commandera de mettre hors de toute atteinte les propriétés particulieres de la fortune nationale, de surveiller l'ambi tion étrangere, puisqu'il faut encore parler d'ambition, et de régler notre force publique d'après celle qui pourroit menacer nos domaines. Tant que nos voisins n'adopteront pas entiérement nos principes, nous serons contraints, même en suivant une politique

plus franche, de ne pas renoncer aux précautions que réclame la prudence. Si nos ambassadeurs n'ont plus à plaider la cause de nos passions, ils auront à défendre celle de la raison, et ils n'en devront être que plus habiles. Il n'est que trop vrai que la nation qui veut par-tout conserver la paix entreprend un travail plus difficile celle qui enflamme l'ambition en offrant des brigandages à la cupidité, des conquêtes à la gloire.

que

Telles sont, messieurs, les réflexions les plus importantes qui ont frappé votre comité; elles l'ont d'abord conduit à deux principes qu'il a adoptés, et que je dois vous soumettre avant d'entrer dans de plus grands détails sur l'affaire particuliere d'Espagne.

Ces deux principes sont : 1°. que tous les traités précédemment conclus par le roi des François doivent être observés par la na-' tion françoise, jusqu'à ce qu'elle les ait annullés, changés ou modifiés, d'après le travail qui sera fait à cet égard au sein de cette assemblée et de ses comités, et d'après les instructions que le roi sera prié de donner à ses agens auprès des différentes cours de l'Europe; 2°. que dès ce moment le roi doit

être prié de faire connoître à toutes les puissances avec lesquelles nous avons des relations, que le desir inaltérable de la paix et la renonciation à toute conquête étant la base de notre conduite, la nation françoise ne regarde comme existantes et comme obligatoires, dans tous les traités, que les stipulations purement défensives. Ces deux principes nous ont paru parfaitement conformes à l'esprit de notre constitution; et ils nous semblent d'autant plus importans.

à décrétèr que, d'une part, ils suffiroient

de

au besoin pour rassurer nos aliés; que, l'autre, ils ne laisseroient aucun doute sur

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notre amour pour la paix, notre desir de voir s'éteindre à jamais les torches de la guerre, notre intention de ne prendre les armes que pour réprimer les injustes oppresseurs. Ce n'est point assez que l'ambition; qui cherche sans cesse à s'agrandir, que la politique, qui veut tout bouleverser, nous soient toujours étrangeres ; il faut en core apprendre à toutes les nations que si, pour étouffer à jamais le germe des com bats, il falloit renoncer à toute force extérieure, détruire nos forteresses, dissoudre notre armée et brûler nos flottes, nous en donnerions les premiers l'exemple. Les deux

principes que je viens de rappeller indiquent déjà la réponse qu'il semble que le roi doive faire à la cour d'Espagne : mais votre comité entrera dans quelques détails; nous avons examiné notre alliance avec l'Espagne sous ces rapports: l'époque de cet ar rangement, son utilité, sa forme, nos moyens, la position actuelle des Espagnols et les vues apparentes des Anglois.

Voici les résultats de nos recherches. Les Espagnols ont été long-temps nos ennemis; après plus d'un siecle, le combat de la paix des Pyrénées vint enfin désarmer les moins redoutables de deux peuples également fiers et belliqueux, qui se ruinoient et se déchiroient pour l'orgueil de quelques hommes et pour le malheur des deux na tions. Le repos de l'Europe fut court; les passions des princes ne connoissent qu'un léger sommeil. Louis XIV réunit dans sa famille les sceptres de France et d'Espagne ; cette réunion, et les vues ambitieuses qu'elle receloit peut-être, souleverent contre nous toutes les puissances; et si le sort ne remplit qu'à moitié leurs projets de vengeance, si nous ne succombâmes pas sous tant de coups portés à la fois, nous ne pûmes échapper à cet épuisement, à cette destruc

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