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tion intérieure qui est la suite d'une longue guerre. On s'apperçut bientôt que cette succession, qui avoit coûté tant de sang,

n'as

suroit pas encore le repos des deux nations. Les rois étoient parens, les peuples n'étoient pas unis, les ministres étoient rivaux ; et P'Angleterre, profitant de leurs divisions pour les affoiblir, s'emparoit impunément du sceptre des mers et du commerce du monde.

Enfin , après cette guerre funeste qui avoit coûté à la nation françoise ses yaisseaux ses richesses et ses plus belles colonies, nos malheurs fournirent au caractere espagnol une occasion glorieuse de se déployer tel que depuis lors il n'a cessé d'être. Ce peuple généreux, dont la bonne foi a passé en proverbe, nous reconnut pour ses antis quand il nous vit prêts à succomber; il vint partager nos infortunes, relever nos espérances, affoiblir nos rivaux ; et ses ministres signerent, en 1761, un traité d'alliance avec nous sur les tronçons brisés de nos armes, sur la ruine de notre crédit, sur les débris de notre marine. Quel fut le fruit de cette union? seize années de paix et de tranquillité qui n'auroient pas encore éprouvé d'interruption, si l'An

gleterre eût respecté dans ses colonies les principes sacrés qu'elle adore chez elle, et si les François, protecteurs de la liberté des autres avant d'avoir su la conquérir pour eux-mêmes, n'avoient pressé leur roi de combattre pour défendre les Américains.

Cette querelle, absolument étrangere à la cour d'Espagne pouvoit même l'inquiéter sur ses colonies, et compromettre en apparence ses intérêts les plus chers. Mais les Anglois ayant les premiers violé la paix, l'Espagnol, fidele, à ses traités courut aux armes nous livra ses flottes ses trésors, ses soldats; et c'est avec lui que nous acquîmes l'immortel honneur d'avoir restitué à la liberté une grande portion du genre humain.

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Depuis la paix mémorable qui couronna nos efforts, la guerre a paru prête à se rallumer entre la France et l'Angleterre. Dès que le roi des François eût averti son allié qu'il armoit, les ports d'Espagne se remplirent de flottes redoutables. Elles n'attendoient qu'un avis pour voler à notre secours; et l'Angleterre convint avec nous de désarmer. Mais jettons un voile sur cette époque honteuse, où l'impéritie de nos ministres nous ravit un allié que

nous avions conquis par nos bienfaits, que nous eussions suffisamment protégé en nous montrant seulement prêts à le défendre, et nous priva ainsi d'un moyen presque assuré d'être à jamais en Europe les arbitres de la paix. C'est en nous rappellant cette conduite de l'Espagne et les services qu'elle nous a rendus , que nous nous

sommes demandé si la France devoit rompre un traité généreusement conclu, fréquemment utile, religieusement observé. Nous nous sommes sur-tout demandé s'il conyiendroit d'annuller un engagement aussi solemnel, dans l'instant où l'Espagne seroit pressée par les même dangers qu'elle a trois fois repousses loin de nous.

Nous n'anrions rien à ajouter pour ceux qui craindroient qu'une des deux nations l'emportât sur l'autre en générosité; mais l'intérêt nous dicte-t-il d'autres loix que la reconnoissance ? Quelques hommes, forts de leur caractere et orgueilleux de leur patrie, croient que la France armée peut rester invincible quoiqu'isolée. Il est de ces hommes parmi nous, et ce sentiment est d'autant plus honorable qu'il confond la force publique avec l'énergie de la liberté; mais la liberté publique n'est

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la plus grande force des empires qu'aussi long-temps qu'étrangeres à toute injustice, à toute conquête, les nations s'appliquent uniquement au développement de leur richesse intérieure et de leur véritable pros périté. Mais la France compte dans ses annales des triomphes qui invitent à la vengeance elle a des colonies qui excitent l'ambition, un commerce qui irrite la cupidité; et si elle peut un jour se défendre sans alliés " ce que je crois aussi fortement que tout autre, il ne faut pas néanmoins qu'elle s'expose à combattre seule des puissances dont les forces actuelles sont supérieures aux siennes ; car il ne s'agit pas de ce que peut inspirer la nécessité, mais de ce qu'exige la prudence: il ne s'agit pas de faire une périlleuse montre de nos dernieres ressources, mais de prendre les moyens les plus propres pour assurer la paix.

Nous ne regardons aucun peuple comme notre ennemi ; il ne l'est plus', celui qu'une insidieuse politique nous avoit représenté jusqu'ici notre rival, celui dont nous avons suivi les traces, dont les grands exemples nous ont aidé à conquérir la liberté, et dont tant de nouveaux motifs nous rap

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que

prockent. Un autre genre de rivalité, l'émulation des bonnes loix, va prendre la place de celle qui se nourrissoit de politiet d'ambition. Non, ne croyez pas qu'un peuple libre et éclairé veuille profiter de nos troubles passagers pour renouveller injustement les malheurs de la guerre, pour attaquer notre liberté naissante, pour étouffer l'heureux développement des principes qu'il nous a transmis ; ce seroit pour lui un sacrilege de le tenter, ce seroit pour nous un sacrilege de le croire. La même religion politique n'unit-elle pas aujourd'hui la France et la Grande-Bretagne ? le despotisme et ses agens ne sont-ils pas nos ennemis communs ? les Anglois ne serontils pas plus certains de rester libres lorsqu'ils auront des François libres pour auxiliaires? Mais en rendant hommage à la philosophie de ce peuple, notre frere aîné en liberté, écoutons encore les conseils de la prudence.

La politique doit raisonner, même sur des suppositions auxquelles elle ne croit pas; et le bonheur des peuples vaut bien que pour l'assurer on se tienne en garde contre les plus favorables, aussi-bien que contre les plus incertaines. Supposons donc

que

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