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si le projet du comité doit être mis en délibération, et je le nie. Je déclare que je me croirois délié dé tout serment de fidélité envers ceux qui auroient l'infamie de nommer une commission dictatoriale. La popularité que j'ai ambitionnée, et dont j'ai eu l'honneur; la popularité dont j'ai eu l'honneur de jouir comme un autre, n'est pas un foible roseau; c'est dans la terre que je veux enfoncer ses racines sur l'imperturbable base de la raison et de la liberté. Si vous faites une loi contre les émigrans, je jure de n'y obéir jamais.

Vos comités trouvent une foule d'avantages dans l'adoption du projet de M. de la Farge: il en est un dont ils ne vous parlent point; c'est qu'un pareil établissement rappellant sans cesse à la classe indigente de la société les ressources de l'économie, lui en inspirera le goût, lui en ferà connoître les bienfaits, et en quelque sorte les miracles. J'appellerois volontiers l'économie la seconde providence du genre humain. La nature se perpétue par des reproductions; elle se détruit par ses jouissances. Faites que la subsistance même du pauvre ne se consomme pas toute entiere; obtenez de

lui,

lui, non par des loix, mais par la toutepuissance de l'exemple, qu'il dérobe une très petite portion de son travail, pour la confier à la reproduction du temps; et par cela seul, vous doublerez les ressources de l'espece humaine. Et qui doute que la mendicité, ce redoutable ennemi des nations et des loix, ne fût détruite par de simples regles de police économique? qui doute que le travail de l'homme dans sa vigueur ne pût le nourrir dans sa vieillesse? Puisque la mendicité est presque la même chez les peuples les plus riches, et parmi les nations les plus pauvres, ce n'est donc pas dans l'inégalité des fortunes qu'il faut en chercher la véritable cause; elle est touté entiere dans l'imprévoyance de l'avenir, dans la corruption des moeurs, et sur-tout dans cette consommation continuelle sans remplacement, qui changeroit toutes les terres en déserts, si la nature n'étoit pas plus sage que l'homme.

M. la Farge appelle son projet tontine viagere et d'amortissement. Je voudrois qu'il l'eût appellé caisse des épargnes, caisse des pauvres, ou caisse de bienfaisance; le titre auroit mieux fait connoître au pauvre ses besoins et au riche ses devoirs. Assez de 2 année. Tome XI. H

fortunes ont été amoncelées par l'avarice, en accumulant des intérêts, en échangeant des privations pour des richesses; il faut apprendre aussi à la classe indigente le moyen de se préparer un plus doux avenir. Une pension de 45 livres seroit un grand bienfait les habitans des campagnes ; pour

cette somme est presque le salaire du travail d'une année entiere: une pension de mille livres, de mille écus feroit la fortune de la famille la plus nombreuse. Quelle émulation ce prix décerné à l'économie ne seroit-il pas capable d'y exciter? Partout le peuple est à portée de faire quelques épargnes; mais il n'a nulle part la possibilité de les faire fructifier. Qui voudroit se charger chaque jour du denier de Ja veuve? Supposons même qu'un fils pour son pere, ou qu'un pere pour son fils, vouAussent retrancher six deniers par jour du travail que cette économie leur rendroit plus doux, dans quelles mains déposeroientils la modique somme de 9 livres à la fin de l'année? Quel seroit même l'accroissement de cette somme, si elle ne produisoit que de simples intérêts? L'esprit d'économie jusqu'aujourd'hui étoit donc presqu'impossible dans les classes indigentes ; il n'en

sera pas de même lorsqu'une caisse des épargnes aura réalisé les vœux des bons citoyens. En vous parlant des avantages de l'esprit d'économie, comment passer sous silence les bonnes mœurs qui en sont le premier bienfait ? La pauvreté se concilie avec toutes les vertus; mais à la pauvreté succede l'indigence, la mendicité; et combien cet état cruel n'est-il pas de la plus dangereuse corruption ! Tout se tient dans l'ordre moral. Le travail est le pain nourricier des grandes nations; l'économie jointe au travail, leur donne des mœurs; les fruits de cette économie les rendent heureuses et n'est-ce point là le but de toutes les loix?

Vous craindrez peut-être de diminuer la subsistance du pauvre par des sacrifices même volontaires que son état semble ne pouvoir supporter, Que vous connoîtriez mal les effets de l'esprit d'économie ? Il double le travail, parce qu'il en fait mieux sentir le prix; il augmente les forces avec le courage mais comptez-vous pour rien l'invitation que yous allez faire aux riches? Et lorsque vous autorisez une caisse des pauvres, à qui donc prescrivez-vous de la remplir? Non, j'en atteste tous ceux qui

ont vu de près les ravages de la misere, les pauvres ne seront pas les seuls à s'intéresser à cette caisse bienfaisante qui ne va receler des épargnes ou des aumônes que pour les multiplier. Une nouvelle carriere s'ouvre à la bienfaisance, comme une nouvelle chance s'ouvre à la pauvreté. En estil de plus douce? elle embrasse l'avenir; elle est accordée au malheur; elle a pour base l'espérance. Il ne nous reste qu'à donner un exemple qui, sans doute, aura des imitateurs; j'ajouterai au projet de décret proposé par vos comités, qu'il sera prélevé, par le trésor public, cinq jours de traitement de chaque dépaté pour former douze cents actions sur la tête de douze cents familles pauvres qui seront indiquées; savoir, quatorze par chaque directoire des quatrevingt-trois départemens, et trente-huit par la municipalité de Paris (1).

LA question que vous allez décider tient aux plus grands intérêts, et le premier de tous.

(1) Ce projet si sage de M. de la Farge fut rejeté, sous le prétexte d'augmenter le nombre de ces loteries qui sont une des sources les plus funestes de la misere du peuple et des mauvaises moeurs.

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