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berté

pour vous et pour nous, pourquoi refuseriez-vous de la conserver? Vos freres de la Pensylvanie, s'ils avoient été moins éloignés des sauvages, auroient-ils laissé égorger leurs femmes, leurs enfans et leurs vieillards, plutôt que de repousser la violence? Et les stupides tyrans, les conquérans féroces, ne sont-ils pas aussi des sauvages!

L'assemblée discutera toutes vos demandes dans sa sagesse; et si jamais je rencontre un quaker, je lui dirai: mon frere, si tu as le droit d'être libre, tu as le droit d'empêcher qu'on ne te fasse esclave. Puisque tu aimes ton semblable, ne le laisse pas égorger par la tyrannie; ce seroit le tuer toi-même. Tu veux la paix; eh bien! c'est la foiblesse qui appelle la guerre ; une résistance générale seroit la paix universelle.

ON doit être heureux dans vos états, sire (1); donnez la liberté de s'expatrier à

(1) Cette lettre, que Mirabeau avoit écrite au roi de Prusse actuel, le jour de son avènement au trône, fut lue à la tribune de l'assemblée par l'auteur lui-même, à l'occasion d'un projet de loi du comité de constitu tion sur les émigrans.

quiconque n'est pas retenu d'une maniere légale par des obligations particulieres ; donnez par un édit formel cette liberté. C'est encore là une de ces loix d'éternelle équité que la force des choses appelle, et qui vous fera un honneur infini, et ne vous coûtera pas la privation la plus légere; car votre peuple ne pourroit aller chercher ailleurs un meilleur sort que celui qu'il dépend de vous de lui donner; et s'il pouvoit être mieux ailleurs, vos prohibitions de sortie ne l'arrêteroient pas. Laissez ces loix à ces puissances qui ont voulu faire de leurs états une prison, comme si ce n'étoit pas le moyen d'en rendre le séjour odieux. Les loix les plus tyranniques sur les émigrations n'ont jamais eu d'autre effet que de pousser le peuple à émigrer contre le vœu de la nature, le plus impérieux de tous peut-être qui l'attache à son pays. Le Lapon chérit le climat sauvage où il est né: comment l'habitant des provinces qu'éclaire un ciel plus doux penseroit-il à les quitter, si une administration tyrannique ne lui rendoit pas inutiles ou odieux les bienfaits de la nature ? Une loi d'affranchissement, loin de disperser les hommes, les retiendra dans ce qu'ils appelleront alors leur bonne pa

trie, et qu'ils préféreront aux pays les plus fertiles; car l'homme endure tout de la part de la providence: il n'endure rien d'injuste de son semblable; et s'il se soumet, ce n'est qu'avec un cœur révolté.

L'homme ne tient pas par des racines à la terre; ainsi il n'appartient pas au sol. L'homme n'est pas un champ, un pré, un bétail; ainsi il ne sauroit être une propriété. L'homme a le sentiment intérieur de ces vérités saintes ; ainsi l'on ne sauroit lui persuader que ses chefs aient le droit de l'enchaîner à la glèbe. Tous les pouvoirs se réuniroient en vain pour lui inculquer cette infame doctrine. Le temps n'est plus où les maîtres de la terre pouvoient parler au nom de Dieu, si même ce temps a jamais existé. Le langage de la justice et de la raison est le seul qui puisse avoir un succès durable aujourd'hui, et les princes ne sauroient trop penser que l'Amérique angloise ordonne à tous les gouvernemens d'être justes et sages, s'ils n'ont pas résolu de ne dominer bientôt sur des déserts, ou de voir des révolutions.......

La formation de la loi, ou sa proposition, ne peut se concilier avec les excès du zele, de quelque espece qu'ils soient; ce n'est

pas l'indignation, c'est la réflexion qui doit faire les loix, c'est sur-tout elle qui doit les porter. L'assemblée nationale n'a point fait au comité de constitution le même honneur

que les Athéniens firent à Aristide, qu'ils laisserent juge de la moralité de son projet.

Mais le frémissement qui s'est fait entendre, à la lecture du projet du comité, a montré que vous étiez aussi bons juges de cette moralité qu'Aristide, et que vous aviez bien fait de vous en réserver la jurisdiction. Je ne ferai pas au comité l'injure de démontrer que sa loi est digne d'être placée dans le code de Dracon, mais qu'elle ne pourra jamais entrer parmi les décrets de l'assemblée nationale de France. Ce que j'entreprendrai de démontrer, c'est que la barbarie de la loi qu'on vous propose est la plus haute preuve de l'impraticabilité d'une loi sur l'émigration.

s'il est

Je demande qu'on m'entende des circonstances où des mesures de police soient indispensablement nécessaires, même contre les principes, même contre les loix reçues, c'est le délit de la nécessité; et comme la societé peut pour sa conservation tout ce qu'elle veut, que c'est la toutepuissance de la nature, cette mesure de

police peut être prise par le corps législatif; et lorsqu'elle a reçu la sanction du contrôleur de la loi, du chef suprême de la police sociale, elle est aussi obligatoire que toute autre. Mais entre une mesure de police et une loi la distance est immense. La loi sur les émigrations est, je vous le répete, une chose hors de votre puissance, parce qu'elle est impraticable, et qu'il est hors de votre sagesse de faire une loi qu'il est impossible de faire exécuter, même en anarchisant toutes les parties de l'empire. Il est prouvé par l'expérience de tous les temps qu'avec l'exécution la plus despotique, la plus concentrée dans les mains des Basiris, une pareille loi n'a jamais été exécutée, parce qu'elle est inexécutable. Une mesure de police est sans doute en votre puissance reste à savoir s'il est de votre devoir de la prononcer, c'est-à-dire, si elle est utile, si vous voulez retenir les citoyens dans l'empire autrement que par le bénéfice des loix, que par le bienfait de la liberté ; car de ce que vous pouvez prendre cette mesure, il n'est pas dit que vous deviez le faire. Mais je n'entreprendrai pas de le prouver; je m'écarterois alors de la question: elle consiste à savoir

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