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CONCLUSION

Notre ambition, au cours de cette étude, n'a pas été d'examiner dans toute son étendue la question si vaste et si importante de l'expulsion. Laissant à d'autres plus expérimentés que nous le soin de résoudre tous les problèmes délicats que cette prérogative de l'Etat fait naître, nos efforts ont tendu uniquement à étudier les principes dont se réclame cette institution et rechercher ensuite l'application qui en est faite par le gouvernement français. A cette fin, nous avons tâché de nous procurer le plus grand nombre de faits possible: les exemples ont montré que si le droit d'expulsion est pour l'Etat un moyen efficace de contribuer au maintien du bon ordre et de la tranquillité de l'association politique, il est, en revanche, parfois pour l'étranger la source de gravés inconvénients. Que faut-il faire pour parer aux conséquences fàcheuses du fonctionnement de cette institution?

Il ne peut évidemment pas être question d'enlever à l'Etat le pouvoir de chasser hors de ses frontières les étrangers dangereux, ce pouvoir est légitime, il

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constitue un des attributs de la souveraineté, n'y plus recourir, ce serait créer du même coup sur le territoire national des foyers d'agitation, de désordres et de troubles. Nous ne pouvons d'ailleurs songer à abdiquer le droit d'expulser les étrangers quand les nations de l'Europe entière conservent le droit de renvoyer nos nationaux sur notre sol. Mais la souveraineté de l'Etat n'est pas absolue, elle est limitée par la légalité - nous l'avons observé lorsque nous avons étudié le fondement de l'expulsion d'après les données de la science contemporaine le droit d'expulsion, lui-même, ne saurait non plus être absolu, arbitraire il n'est légitime qu'autant qu'il est nécessaire, indispensable pour le maintien de l'ordre sócial. La nécessité est le criterium de la légalité de l'expulsion la seconde partie de notre étude a démontré que l'une des principales causes d'inconvénients provient de l'oubli de cette règle, règle cependant écrite en termes explicites dans l'exposé des motifs de la loi du 3 décembre 1849. Une double réforme garantirait suffisamment à ce point de vue les droits de l'individu contre les empiétements du pouvoir central.

Tout d'abord, il faut restreindre l'exercice du droit du gouvernement. Et puisqu'il faut renoncer à voir un jour le projet qui consiste à déterminer d'une façon précise les cas qui comportent l'expulsion, prendre corps et vivre, nous voudrions non pas limiter, mais indirectement diminuer les hypothèses dans lesquelles le droit d'expulsion sera exercé. Le

moyen d'y parvenir n'est ni au-dessus ni en dehors du domaine des droits de l'Etat, il consiste en la réglementation sage et raisonnée de l'admission des étrangers sur le territoire national. Nous estimons, d'accord en cela avec l'Institut de Droit International, dont nous avons à maintes reprises invoqué les lumières, qu'il est possible d'interdire par une loi l'entrée du territoire aux individus étrangers « en état de vagabondage ou de mendicité, ou atteints d'une maladie de nature à compromettre la santé publique, ainsi qu'aux étrangers condamnés à raison desdites infractions ». La formule proposée par l'Institut de droit International comprend non pas l'intégralité des «gens dangereux» que l'expulsion a précisément pour but d'éloigner du territoire de l'Etat, mais une notable partie d'entre eux; leur nombre étant diminué, l'Etat sera amené a n'exercer son droit d'expulsion que dans de rares circonstances. Mieux vaut ne pas recevoir les malfaiteurs avérés que de les chasser après les avoir accueillis. La liberté de l'étranger n'est pas violée: on lui refuse l'accès du territoire à raison de ses mauvais antécédents, mais on ne le moleste pas. Bien au contraire, la non admission lui évite un séjour en prison et les ennuis de l'expulsion qu'il encourrait un jour ou l'autre s'il était admis en France. L'adoption d'une telle mesure, non seulement par une puissance isolée mais par tous les Etats civilisés, serait un véritable bienfait pour l'humanité; les malfaiteurs convaincus de l'impossibilité d'échapper aux coups de la justice,

persuadés de ne pouvoir trouver asile sur la terre étrangère, mettraient peut-être moins fréquemment à exécution leurs projets criminels. Et d'ailleurs, si cette perspective ne se transformait pas à leurs yeux en une crainte salutaire, leur non admission aurait encore l'avantage sérieux d'aider à l'accomplissement de l'œuvre de ia justice; de les contraindre à subir les peines qu'ils ont encourues dans leur patrie.

Ce régime soulèverait-il des difficultés dans la pratique? Nous ne le pensons pas; nos frontières sont actuellement suffisamment surveillées par les agents du ministère de l'intérieur, les commissaires des postes frontières ne laisseraient pénétrer dans le pays que les gens dont ils auraient vérifié la situation. Et si cependant, les individus visés par la loi de non admission, réussissaient à s'introduire sur notre territoire, ils seraient mis en état d'arrestation et reconduits immédiatement à la frontière.

Mais là ne devrait pas se borner la réforme. Sans diminuer davantage les pouvoirs du gouvernement, il faut accorder des garanties à l'étranger qui réside parmi nous. A ce point de vue, le projet de modification à la loi du 3 décembre 1849, déposé sur le bureau de la Chambre des Députés, le 4 mars 1882, par MM. Goblet et Humbert, nous parait réaliser un progrès notable, une innovation avantageuse.

Le ministre de l'intérieur conserve la faculté d'expulser les étrangers condamnés pour crimes et délits de droit commun, mais n'est plus compétent pour

apprécier l'opportunité de l'expulsion des individus non condamnés. Le sort de ces derniers est désormais confié au chef de l'Etat statuant en Conseil des ministres. Quant à l'étranger qui, en dehors de toute autorisation gouvernementale, réside sur le territoire de la République depuis plus de trois ans, il est admis a jouir du traitement de faveur réservé par la loi de 1849 aux seuls autorisés à domicile. Comme conséquence logique de ce projet, il faudrait admettre que l'individu jugé par les tribunaux repressifs digne de bénéficier de la mesure de clémence instituée par la loi Béranger verra son pardon conditionnel ratifié par l'Administration. De plus, l'étranger chassé de France par décret rendu en Conseil des ministres devrait être informé des motifs sur lesquels l'ordre d'expulsion qui le frappe est fondé.

La réforme ainsi conçue restreindrait dans des proportions considérables le rôle laissé jusqu'à présent à l'arbitraire dans le fonctionnement de l'institution qui fait l'objet de notre étude. L'opportunité de l'ordre d'expulsion dépend actuellement du bon vouloir du ministre ou, ce qui est plus vrai,d'un chef de service du ministère de l'intérieur, elle serait désormais discutée et décidée par tous les ministres ; leur responsabilité étant engagée, l'expulsion ne serait décrétée qu'autant qu'elle serait absolument nécessaire. Au surplus, la légalité de la mesure, elle aussi, serait l'objet d'un examen minutieux, alors qu'à cette heure, elle est rarement contrôlée. Les recueils de jurisprudence démontrent que trop souvent, malheu

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