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En résumé, malgré les progrès accomplis par la jurisprudence en matière de recours contre l'arrêté d'expulsion, i demeure avéré qu'actuellement encore, en l'absence de décisions explicites, catégoriques, la voie la moins aléatoire à suivre, mais aussi la pus défectueuse, est la voie correctionnelle, dont il a été question en tête de ce chapitre. Reste à savoir maintenant quelle est, en ce cas, par rapport à la condition juridique du prévenu, l'autorité de la décision du tribunal correctionnel.

Si la solution d'une question de droit civil soulevée devant la juridiction répressive par voie d'exception n'a pas, au point de vue criminel, force de chose. jugée', il n'en est pas de même dans les rapports de la juridiction civile avec la juridiction criminelle. L'autorité de la chose jugée au criminel s'impose en matière civile lorsque la question tranchée par le magistrat répressif exerce une influence essentielle sur le sort du procès 2. Tel est le système admis en jurisprudence.

Les questions d'état non préjudicielles, comme les questions de nationalité 3, rentrent-elles dans la règle

En ce sens, M. Lacoste, Chose jugée, no 1017, R. Hubert, Gaz. des Trib. du 1er janv. 1886. Cass. 27 mai 1851 (D. 1854, 1, 372). 25 février 1876 (D. 1876, 1, 459).

2 M. Lacoste, op. cit., no 1195, 1254, 1184, R. Hubert, op. cit., loc. cit Cass. 14 février 1850 (D. 1860, 1, 161); 23 déc. 1863 (D. 1865, 1, 81); 26 juillet 1865 (D. 1865. 1, 490 et 492).

3 Les questions de nationalité doivent être comprises au nombre des questions d'état non préjudicielles (Cass. 7 déc. 1883. D. 1884, 1, 209).

générale ? Nous ne le pensons pas. Suivant en cela l'opinion de M. Lacoste, nous inclinons à croire que l'individu acquitté, en qualité de Français, de la prévention d'infraction à un arrêté d'expulsion, pourrait exciper victorieusement de l'autorité de la chose jugée attachée à la sentence d'acquittement s'il venait à être poursuivi une seconde fois. Cette solution est dictée par l'équité et par des considérations d'ordre pratique absolument impérieuses, ne pas l'admettre, serait vouloir introduire les pires inconvénients dans une matière aussi délicate. Il ne nous appartient pas d'examiner à fond la question de l'autorité de la chose jugée, qui nécessiterait à elle seule une étude spéciale, mais, tout au moins, devons-nous très rapidement indiquer l'une des conclusions choquantes auxquelles aboutirait la jurisprudence si elle soumettait les questions d'état à la loi générale ci-dessus énoncée.

« Et d'abord, dit M. R. Hubert', toute infraction au mème arrêté constitue un délit distinct du précédent, ces contraventions sont de nature à se répéter dans un espace de temps très court; à l'occasion de chaque nouvelle poursuite, le prévenu pourra soulever la même exception sans qu'on puisse lui opposer, en quelque sorte, sous forme de réplique, la décision antérieurement rendue sur ce point. » Il est, en conséquence, de toute impossibilité de parvenir à solutionner un problème qui intéresse l'ordre public au premier chef. »

1 Voy. La Loi du 1er janv. 1896.

L'opinion que nous émettons peut se réclamer de quelques textes de jurisprudence, entre autres, d'un arrêt rendu le 18 avril 1839 rendu par la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation'.

Mais l'administration a toujours respecté la décision des tribunaux correctionnels et n'a jamais expulsé un individu auquel une sentence d'acquittement a reconnu la nationalité française 2. Elle reconnaît donc implicitement que l'autorité de la chose jugée s'attache d'une manière définitive au jugement rendu par le tribunal correctionnel.

Arrêt Ministère public contre Garavini (Dall. Rep. vo Chose jugée no 463. L'autorité de la chose jugée s'attache d'une manière définitive et absolue à la solution que le juge correctionnel a donnée sous forme d'exception à une question de droit; aucune juridiction ni répressive ni civile ne peut l'examiner à nouveau.

2 « Cependant, dit M. R. Hubert (loc. cit.) si la chose jugée a autorité au civil, il n'en est pas de même au point de vue du droit administratif : le juge criminel ne connait de la légalité de l'acte administratif que dans ses rapports avec la peine; son refus de sanction paralyse bien l'exercice de l'action publique, mais il laisse l'administration libre de ramener ses mesures à exécution par tous autres moyens. »

CHAPITRE IV

Effets de la mesure d'expulsion. Du délit d'infraction à l'arrêté d'expulsion.

L'arrêté d'expulsion a pour effet immédiat d'éloigner du territoire de la France celui qui en est l'objet, et de lui en interdire le séjour dans la suite '.

Au point de vue civil, l'expulsé est désormais privé de la faculté d'avoir, soit un domicile, soit une résidence en France; il ne peut, en conséquence, bénéficier des effets que la loi reconnaît au domicile et à la résidence temporaire.

Au point de vue pénal, l'étranger qui se soustrait à l'exécution de la mesure d'expulsion ou qui, après être sorti de France, y revient sans y avoir été autorisé par le gouvernement, devient passible d'une peine correctionnelle consistant en un emprisonnement de un à six mois.

Mais la pénalité ainsi édictée par l'article 8 de la loi de 1849 ne saurait atteindre que l'étranger: l'élément constitutif de l'infraction ainsi punie, c'est l'extranéité. La loi vise les étrangers et seulement les étrangers; la qualité d'étranger n'existe-t-elle pas, le délit disparaît ipso facto, car l'individu non

Pour les effet de l'expulsion à l'égard des étrangers investis d'une vocation légale à la naționalité française, voy. supra, chap. 2.

étranger qui rentre en France après en avoir été chassé par un ordre d'expulsion, ne fait qu'user de son droit de national, de citoyen. La mesure d'expulsion est inapte à attribuer un caractère délictueux au retour en France, car elle a frappé un national, or, nous l'avons vu, rationnellement et positivement, l'expulsion ne peut s'appliquer qu'à l'étranger.

L'extranéité constituant l'élément essentiel du délit d'infraction, et se confondant avec lui-même, ne pourra jamais être présumée; il appartient au ministère public de l'établir'; si l'organe du gouvernement ne peut administrer la preuve de l'extranéité et si, d'autre part, le dossier contient des éléments suffisants à établir de sérieuses présomptions en faveur de la non extranéité de l'intéressé, le tribunal ne pourra sanctionner l'infraction et devra relaxer l'individu 2.

L'infraction à l'arrêté d'expulsion constitue un délit non pas instantané, mais continu, successif, en d'autres termes, il n'est pas commis et consommé au moment où l'expulsé met le pied sur notre territoire; cela résulte des termes mêmes de l'article 8 de la loi du 3 décembre 1849. « Tout étranger, dit le texte, qui se serait soustrait à l'exécution des mesures énoncées.......... ou qui, après être sorti de

En ce sens, voy. Féraud Giraud, Réglementation de l'expulsion des étrangers. Cl. 1880, p. 426 ; C. Paris, 11 juin 1883, Cl. 1885, p. 506; C. Rouen, 22 février 1894, Cl. 1884, p. 684.

Ainsi jugė, le 15 mai 1900 par le tribunal correct, de Bayonne (Gaz. des trib., 2 juin 1900).

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