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les capitales des grands états, et surtout la rôtre, auraient conservé intact l'honneur de leur vieille indépendance. Nous ne tremblerions pas à chaque heure de voir le retour de ces jours désastreux. C'est par ce que ce retour annoncé par celui de doctrines funestes excite nos alarmes ; c'est parce que l'assemblée constituante semble en plusieurs points servir de modèle à des peuples voisins, que j'entreprends d'écrire son histoire avec la sévérité que nos dangers demandent, avec l'équité qui seule donne quelque prix au témoignage de l'historien.

Les députés aux états-généraux s'approchaient de Versailles, comme les soldats de deux armées ennemies se hâtent de rejoindre leurs corps et leurs généraux pour engager une bataille décisive. Les embarras de finance, cause unique de cette convocation, ne semblaient plus que d'un intérêt mesquin. Les âpres et tranchantes brochures de l'abbé Sièyes avaient fait oublier les longs combats de chiffres de Necker et de Calonne. Les idées s'agrandissaient ou plutôt se perdaient dans une étendue indéfinie. Les uns voulaient élever une constitution sur des ruines immenses; les autres, raffermir sur de vieux fondemens une consti

1789.

Dispositions états-géné

des députés aux

raux.

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tution dont l'existence et l'assiette étaient un problème historique. Pour les esprits même les plus calmes et les plus réfléchis, il devenait évident que nos constitutions an ciennes avaient à la fois besoin d'un correctif et d'un supplément énergique. Le temps avait changé les conditions respectives du tiers-état, du clergé, de la noblesse, du parlement et de l'autorité royale; il fallait obéir au temps, mais il fallait aussi le respecter. Malheureusement on souriait au mot de révolution; on prétendait qu'à l'aide de certaines formules philosophiques, il était facile de faire d'une révolution le plus beau le plus gai et le plus innocent des spectacles, de l'établir pour tous les siècles, de l'étendre à tous les peuples; c'était là le genre de crédulité d'un siècle incrédule. M. Necker, qui paraissait présider à ce mouvement, craignait le fracas d'une révolution. Mais, comme ses études politiques étaient alors peu vastes, peu mûries, ses plans manquaient de vigueur et de netteté. Il s'était fait d'ailleurs deux articles de foi fort dangereux pour un homme d'état l'un, l'opinion publique s'accordait toujours avec les vœux de la sagesse et de la morale; l'autre, qu'il pouvait tout commander à l'opi

:

que

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rion. Le roi, dans la pureté de son cœur, attendait les députés des trois ordres, comme un père attend des fils chéris, respectueux et dociles. Il se croyait aimé, parce qu'il méritait de l'être. Ni cette confiance, ni ce bonheur n'était partagé par la reine. L'atrocité des calomnies déjà répandues contre elle, lui révélait trop les retours aveugles et cruels d'une nation dont elle s'était vue idolâtrée. Disposée aux alarmes, elle se taisait, agissait peu, favorisait la cause des nobles de son intérêt plus que de sa protection, et se faisait un scrupule de troubler la sécurité du roi. Tous ceux des princes, qui venaient de signer une protestation contre le doublement du tiers-état, continuaient de parler à la cour un langage irrité, et voyaient les périls du trône dans les périls évidens de la noblesse et du clergé. Les nobles, pour opposer une digue tardive à l'esprit de révolution, s'efforçaient de ranimer des sentimens chevaleresques fort tombés en désuétude sous le règne languissant de Louis XV. Dans l'ardeur de leurs passions, ils s'étaient fait une loi de ne consulter jamais ni la politique ni la prudence. Les nobles de Bretagne venaient de donner un exemple de cette opiniâtreté fastueuse, irréfléchie qui

1789. dédaigne de se plier aux plus simples calculs de la prévoyance humaine. Ils avaient refusé de nommer des députés aux états-généraux, en sorte que l'ordre de la noblesse éprouvait une lacune considérable dans sa représentation *.

Les prélats s'effrayaient du grand nombre de curés qui les suivaient aux états-généraux, et qui,,nés plébéiens, exclus des hautes dignités du sacerdoce par un abus

* Le nombre des députés de la noblesse Bretonne aux états-généraux était de vingt-cinq. Quand la réunion des ordres fut opérée, les partisans de l'autorité royale eurent, dans presque toutes les occasions, lieu d'accuser de leurs défaites ces nobles Bretons qui ne s'étaient point rendus à leur poste, et qui leur auraient fourni tant de moyens de balancer et d'obtenir la majorité. Le parti royaliste se vit bientôt après diminué par ceux des nobles qui prirent le parti de l'émigration, et pour ceux à qui l'horreur des attentats du 5 octobre fit donner leur démission. Beaucoup de décrets ne furent rendus qu'à une majorité de cinquante, dix ou cinq voix. Ainsi les nobles, par leur indiscipline de parti, ne concouraient que trop aux plus funestes conséquences d'une révolution dont ils détestaient les principes. Je n'ai pas cru devoir omettre cette observation à une époque où nous voyons se renouveler souvent le même esprit d'indiscipline parmi des bons Français un peu trop accessibles à l'humeur et à la vanité.

assez récent, ouvraient une oreille facile aux 1789. promesses du tiers-état. La plupart de ces prélats avaient manifesté le plus pur esprit de tolérance à l'occasion de l'édit que Louis XVI venait de rendre en faveur des protestans. On citait parmi eux M. de Boisgelin, archevêque d'Aix ; M. de Cicé, archevêque de Bordeaux, l'un et l'autre amis de M. de Malesherbes. Mais plusieurs d'entre eux pensaient qu'il fallait élever des digues puissantes contre le torrent des doctrines irréligieuses. Des prédicateurs semaient l'alarme avec emportement. Le père Beauregard, ex-jésuite, qui avait prêché le carême à la cour, prononça, d'une voix tonnante, ces paroles dont les sacriléges violences d'Hébert et de Chaumette firent depuis une si étonnante prophétie : « Oui, vos temples, Seigneur, seront » dépouillés et détruits, vos fètes abolies > votre nom blasphémé, votre culte proscrit. >> Mais qu'entends-je, grand Dieu! que vois»je? aux saints cantiques qui faisaient reten>>tir les voûtes sacrées en votre honneur, » succèdent des chants lubriques et profanes! » Et toi, divinité infâme du paganisme, infâme Vénus! tu viens ici même prendre » audacieusement la place du Dieu vivant, » t'asseoir sur le trône du Saint des Saints,

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