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1789.

gens exaltés par le souvenir de l'histoire des républiques anciennes, marchent confondus avec des brigands dont l'extérieur est effroya-, ble, dont tous les propos expriment des sentimens atroces. Sur leur passage ils répètent: A L'ABBAYE! A L'ABBAYE! et leur cortége ne cesse de se grossir. On se munit d'instrumens; on approche de la prison; un faible détachement de dragons la gardait. Soit qu'ils partagent les sentimens de cette foule, soit qu'ils s'effrayent du nombre, ils se retirent. Vers huit heures du soir la porte de la prison est enfoncée à coups de maillets et de haches. Les onze prisonniers délivrés sont conduits en triomphe au Palais-Royal. Une partie de la nuit est employée à leur donner des fêtes; ensuite on les fait coucher dans la salle du théâtre des Variétés, et des milliers d'hommes veillent sur leurs dangers. Le lendemain, plusieurs de ceux qui avaient brisé les portes de la prison, se présentèrent à l'assemblée nationale pour mettre sous son appui les prisonniers délivrés. L'assemblée, satisfaite d'avoir acquis des défenseurs dans un corps d'élite de l'armée française, était bien tentée de sacrifier ouvertement les principes de subordination militaire. Cependant, par bienséance ou par

scrupule, elle garda encore quelque ména- 1789. gement, et chargea une députation d'aller intercéder auprès du roi en faveur des coupables, ET DE LE SUPPLIER DE VOULOIR BIEN EMPLOYER, POUR LE RÉTABLISSement de l'ordre, LES MOYENS INFAILLIBLES DE LA CLÉMENCE ET DE › LA BONTÉ, QUI SONT SI NATURELLES A SON COEUR, ET DE CETTE CONFIANCE QUE SON BON PEUPLE MÉRITERA TOUJOURS. Le roi souscrivit à une transaction presque dérisoire. Les onze gardes rentrèrent en prison, et en sortirent le lendemain.

Broglie com-
mande
les troupes.

Tout avertissait le roi de pourvoir à son Le maréchal de salut. Abandonné d'une partie de sa garde, il faisait rassembler autour de lui une foule de régimens dont la fidélité n'était guère moins suspecte. On tâchait de suppléer par le nombre de troupes à leur peu de zèle pour la cause royale. Ces troupes eurent bientôt tout l'appareil d'une armée. On leur donna un général : c'était le vieux maréchal de Broglie, qui, par la victoire de Berghen et quelques autres exploits militaires, avait un peu réparé l'honneur de nos armes dans la guerre de sept ans. Le mouvement politique de la révolution naissante devait étonner un homme qui avait vieilli dans les habitudes de l'obéissance militaire, et qui savait mieux

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se retrancher devant l'ennemi que comman→ der à l'opinion. Son nom, d'ailleurs, n'était que d'une faible recommandation auprès de soldats trop jeunes pour avoir combattu sous ses ordres. Il accepta ce choix périlleux avec l'empressement d'un sujet loyal et la confiance d'un homme expérimenté dans ces sortes de troubles. Le roi fut vivement ému en le recevant à Versailles. «M. le maréchal, » lui dit-il, vous venez assister un monarque » sans finances, sans armée; car je ne me > cache pas les progrès de l'esprit de révolte »parmi mes troupes. C'est à vous à ranimer » en elles des sentimens d'honneur et de fidé» lité, Ma dernière espérance est dans votre » dévoûment et votre gloire. Vous aurez » rempli le plus cher de mes vœux, si vous » parvenez, sans violence, sans effusion de » sang, à renverser tous les projets dont mon » trône est menacé, et qui feraient bien long» temps le malheur de mon peuple. » Le maréchal répondit comme s'il était déjà maître de la Capitale; il se forma un étatmajor avec une ostentation qui faisait sourire les chefs habiles des factieux. De nombreux aides-de-camp couraient sans cesse de bataillons en bataillons. On pense bien que de jeunes officiers loyaux, mais irrités et pré

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somptueux, ne savaient pas toujours s'abs- 1789. tenir de menacés, et mesuraient peu leurs paroles devant des soldats qui se souvenaient de leur origine plébéienné. L'assemblée reeueillait toutes ces menaces indiscrètes. On voulait y voir les projets de la cour ét quélquefois ceux du roi lui-même.

Necker avait condamné ce mouvement militaire. La cour maudissait ce censeur im2 portun, et regardait ses chagrins comme Fexpression de ses craintes pour la cause populaire, pour ses amis et pour lui-même. Ou ne lui confiait plus que des mesures insignifiantes. Cependant il se faisait alors le noble scrupule de ne point approuver par sa retraite les périls du roi. Il cherchait dans les yeux de Louis un reste d'affection. et de confiance; mais Louis, gêné à son aspect, semblait toujours lui reprocher sa conduite équivoque dans la journée du 25 juin.

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pour

troupes.

L'assemblée nationale était trop distraite Adresse au rọi par ce grand bruit d'armes, pour commen- le renvoi des cer sérieusement le cours de ses délibérations. Au milieu d'une anarchie que son inaction prolongeait, elle s'occupait lentement d'une déclaration des droits de l'homme et du citoyen conçue dans des termes si ab

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solus qu'elle pouvait servir de manifeste à l'insurrection prochaine. Mirabeau interrompit le cours de cette métaphysique révolutionnaire, en proposant de demander au roi, par une adresse, le renvoi des troupes; il fut chargé de la rédiger. Cet esprit dangereusement flexible eut recours à cette hypocrisie sentimentale, dont le jargon avait été imaginé pour adoucir la sécheresse des doctrines, et sut enfermer dans des phrases tendres et respectueuses la menace et le programme de l'insurrection. On en jugera par les phrases suivantes* :

* « Où donc est le danger des troupes, affecteront de >> dire nos ennemis? Que veulent leurs plaintes, puis» qu'ils sont inaccessibles au découragement?

>> Le danger, Sire, est pressant, est universel, est » au-delà de tous les calculs de la prudence humaine. >>> Le danger est pour le peuple des provinces. Une » fois alarmé sur notre liberté, nous ne connaissons plus de frein qui puisse le retenir. La distance seule >>grossit tout, exagère tout, double les inquiétudes, » les aigrit, les envenime.

>> Le danger est pour la Capitale. De quel oil le >> peuple, au sein de la disette, et tourmenté des » angoisses les plus cruelles, se verra-t-il disputer » les restes de sa subsistance par une foule de soldats >> menaçans? La présence des troupes échauffera, » ameutera, produira une fermentation universelle;

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