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moigner leur ressentiment à M. Necker dont la cruelle absence avait fait calomnier les intentions royales. Les environs du château retentissaient de ces cris : « Vive M. Necker! » vive cet ami du peuple! Ne nous aurait-on »point enlevé notre défenseur? nous voulons » le voir. » Il était en ce moment avec le roi et la reine qui le conjuraient avec instance de ne point les abandonner, et de retirer sa démission qu'il avait offerte la veille ; il venait de céder à leurs vœux. Les acclamations dont il était l'objet chatouillaient son oreille; il lui était doux de s'offrir aux regards du peuple et d'intercéder pour le roi. Il descendit du château pour se rendre à pied à son hôtel. A peine l'a-t-on aperçu, que les cris redoublent. On le bénit, on tombe à ses genoux. « O notre père, lui disait-on, ne nous abandonnez pas ! »

Rassurez-vous, mes enfans, disait-il, je »reste auprès du roi, je reste au milieu de »vous; conduisez-vous avec douceur, avec » modération. » Le peuple le reconduit jusqu'à son hôtel, et ces cris se prolongent sous ses fenêtres et jusques dans la nuit. Quoiqu'un tel bruit dût bercer agréablement un homme trop porté à croire le peuple infai!lible, dès qu'il l'applaudissait, je crois pour

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1789. tant qu'ami de la vertu, il dut se faire dans la nuit de sevères reproches. Ce prétendu code de tyrannie, qui avait excité l'indignation de l'assemblée nationale et du peuple, n'était-il pas son propre ouvrage ? La révision imprudente à laquelle son projet avait été soumis, et qui avait autant choqué son orgueil qu'alarmé sa prudence, en avait pourtant respecté toutes les bases. N'eût-il pas dû déclarer à tout ce peuple assemblé qu'il n'était point étranger à une déclaration si indignement méconnue; que le roi s'était réservé d'ajouter encore quelques bienfaits à ceux qu'il venait de répandre, mais qu'il fallait les mériter par une conduite respectueuse; qu'on ne pouvait trop aimer un roi si pénétré d'amour pour son peuple ; et que les habitans de Versailles, témoins de ses vertus, objets de ses bontés, avaient des raisons particulières de le chérir? Pourquoi M. Necker n'avait-il pas été généreux dès la veille de cette journée ? Pourquoi n'avait-il pas sacrifié ses dépits à la considération des dangers de l'autorité royale, si terriblement accrus par le serment du jeu de paume? Pense-t-on que le roi, touché d'une noble démarche, lui eût refusé toute satisfaction sur les griefs qui lui étaient sensibles, et

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n'eût point laissé rétablir dans la déclaration 1789. les paroles, les articles auxquels il attachait une importance légitime peut-être ? Combien le sentiment du devoir courageusement rempli n'eût-il pas ajouté d'effet et de persuasion à ses paroles dans la séance royale ? Les voix factieuses auraient été réduites au silence. Tant d'hommes qui cherchaient à si peu de frais les honneurs du courage, auraient été forcés d'admirer celui d'un ministre qui sacrifiait à son devoir une faveur populaire dont l'histoire offrait peu d'exemples. Une émulation de vertu eût pu se manifester parmi les hommes qui n'avaient encore à se reprocher que l'imprudence d'un engagement précipité. M. Necker est sans doute un des hommes de bien qui ont été le plus poursuivis par la haine et la calomnie; mais l'histoire prouve, par son exemple et par mille autres, que la plus grande cause du malheur des gens de bien, est qu'il y a des lacunes, des faiblesses dans leurs vertus.

léans conduit à

députés de la

noblesse.

Le lendemain de la séance royale, les partis Le duc d'Or semblèrent s'accorder pour n'en faire aucune l'assemblée 46 mention. Le roi ne cessait plus de presser minorité de la par ses instances la réunion des deux ordres à l'assemblée nationale. Quarante-six députés, qui faisaient partie de la minorité de la

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noblesse. s'y rendirent, conduits par le dùc d'Orléans. On juge avec quels applaudissemens ils furent reçus. Le duc d'Orléans montrait un trouble extrême. Comme il allait quitter la salle de la noblesse pour passer à celle du tiers-état, il tomba en défaillance. On ouvrit ses vêtemens pour le faire respirer plus à son aise. Quelles furent la confusion de ses partisans et la joie de ses ennemis, lorsqu'on découvrit qu'il était plastronné. Un usurpateur qui prend de telles précautions contre le danger, est à peu près sûr de manquer le trône.

L'assemblée s'empressa d'élever ce prince à la présidence. Il refusa ce poste, et convint avec humilité qu'il se sentait incapable de le remplir. Ce n'était point de sa part une fausse modestie. Quoiqu'il eut un esprit agréable et facile, il n'était nullement susceptible d'une attention continue et n'avait point hérité des talens qui permirent à son bisaïeul de faire casser le testament de Louis XIV. On choisit pour le remplacer M. Le Franc de Pompignan, archevêque de Vienne, lequel avait marché à la tête de la partie du clergé qui s'était réunie au tiers-état, dans l'église de Saint-Louis. Le tiers-état avait fait une conquête inespérée dans l'archevêque de

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Vienne. C'était lui qui, secondant et animant de son zèle son frère, Le Franc de Pompignan, dans une lutte courageuse, mais inégale, contre Voltaire, avait tant de fois foudroyé la philosophie moderne et prédit la subversion générale qui allait bientôt s'opérer. Sans doute il avait voulu la prévenir par cet esprit de conciliation. Dès que le clergé fut opprimé, ce vieillard revint aux sentimens et aux opinions de son ordre *.

* Nous croyons devoir donner ici la liste des députés qui présidèrent l'assemblée constituante :

MESSIEURS,

Bailly, nommé à la place de M. d'Ailly.
L'archevêque de Vienne, nommé à la place du

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L'abbé de Montesquiou pour ladeuxième fois.

Rabaut-de-Saint-Étienne.

1789.

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