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qui, sans lui imposer de conditions hautaines, de sacrifices humilians, répondaient à toute la franchise de son amour, et de se voir plus honoré au jour de ses épreuves, qu'il ne l'avait été aux jours de sa puissance absolue. La vue de la reine parlait encore plus puissamment aux cœurs. C'était donc là cette brillante princesse, cette aimable dauphine que tous les Français avaient saluée comme l'étoile du matin; cette reine adorée, cette fille des Césars qui s'était montrée toute française par ses goûts, sa légèreté, ses grâces et sa bienfaisance, aujourd'hui si cruellement et si injustement accusée, outragée, diffamée. La fierté avec laquelle elle soutenait le malheur avait ajouté à ses traits plus de beauté que le temps n'en avait effacé. Ce n'était plus la fille de Marie-Thérèse, c'était Marie-Thérèse elle-même. Mais quel douloureux rapprochement! Marie-Thérèse n'avait été en butte qu'aux coups du sort, qu'aux perfides et ambitieuses combinaisons de puissances conjurées contre l'héritage d'une orpheline. Du moins, tandis qu'elle fuyait à travers ses provinces, le cœur de ses sujets lui était demeuré fidèle; dans toutes les cabanes on déplorait ses malheurs; mais il était de la destinée de sa fille de se voir, jusqu'au seuil

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de son palais, abreuvée d'opprobre, étourdie de malédictions, entourée de poignards. Ces pensées étaient déchirantes; mais on se sentait soulagé, en voyant partagés, par une assemblée nombreuse, des sentimens d'amour, de pitié, de reconnaissance, que l'on avait long-temps gardés dans le secret de son âme. Et quand les regards se portaient sur madame Elisabeth, sœur du roi, dont l'angélique beauté était un fidèle miroir de ses vertus, sur madame Royale, qui ne sortait de la première enfance que pour comprendre les grands malheurs dont elle était environnée; enfin sur ce dauphin, faible héritier du trône, et auquel le crime, peut-être, s'apprêtait à ravir son héritage, on éprouvait cette pitié profonde qui s'attache aux grandes infortunes, et qui devient un sentiment sublime quand il s'y mêle la résolution d'en arrêter le cours. Il ne fut peut-être jamais mieux donné à la musique de traduire et de redoubler les émotions de l'âme que dans le moment où les musiciens des gardes-du-corps firent entendre cet air si pathétique et si passionné que Grétry sut prêter au troubadour Blondel: ô RICHARD, Ô MON ROI, L'UNIVERS T'ABANDONNE, etc.... Qui l'eût dit qu'on aurait un jour à faire au roi,

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à toute sa famille, une si douloureuse appli- 1789.
cation? il n'était encore que prisonnier dans
son palais; ne pouvait-il pas l'être bientôt
dans un sombre donjon? Voilà le malheur
qu'il s'agissait de prévenir. Un jour de dé-
voûment pouvait sauver cet opprobre à la
France. L'enthousiasme devint tel, que plu-
sieurs officiers escaladèrent la loge où se te-
nait la famille royale. L'affection fit franchir
à des Français les sévères convenances d'un
respect héréditaire. Les gardes-du-corps ve-
naient s'écrier, la main sur le cœur: «Je
suis prêt à mourir pour mon roi, pour sa
famille», et l'événement montra combien
ce serment était prononcé du fond du cœur.

Dès le soir même, ce repas fut représenté comme une orgie de conspirateurs en délire. Le Palais-Royal, tous les faubourgs, tous les marchés de Paris, retentirent le lendemain de détails indignement imaginés, et dans lesquels les bourreaux prêtaient, à leurs prochaines victimes, les sentimens féroces dont ils étaient remplis. « On avait, disaientils, foulé aux pieds la cocarde tricolore; on » avait aiguisé les sabres et voué à l'extermi»> nation l'assemblée nationale et le peuple » de Paris. » Ce n'était pas tout: afin d'offrir un aliment moins usé aux terreurs, on ré

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1789. pandait le bruit que le roi, protégé par les conjurés du banquet, allait sortir de Versailles, se rendre à Metz, y rallier ses troupes, y attendre des troupes étrangères, et

archer avec leurs forces réunies contre sa Capitale. Tandis que la faction d'Orléans répandait ce bruit à Paris, elle faisait tout à Versailles pour présenter au roi la nécessité de se retirer dans une place forte, car elle espérait que ce départ amenerait une insurrection plus terrible que la première, et ferait déclarer la vacance du trône. Les avis les plus menaçans étaient transmis à la cour par des voies diverses. Tantôt le crime se trahissait à dessein, tantôt il se décelait par des accidens fortuits, par le trouble et les remords de quelques coupables moins aguerris que leurs chefs et leurs complices. A Versailles, un dragon fut entendu par un officier, proférant des paroles entrecoupées qui exprimaient le repentir et le désespoir. Ce malheureux se frappait, se blessait de son sabre en maudissant le duc d'Orléans. Quelques-uns de ses camarades accoururent, chassèrent, par d'indignes violences, l'officier témoin de cette scène, et qui recueillait les paroles du soldat égaré ; et l'on croit qu'ils donnèrent la mort à ce dragon. Un domes

tique engagé dans le même complot avait décelé le même trouble devant son maître, et donné des explications plus détaillées qui avaient été transmises à la cour.

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Projet de translation

à Tours.

On s'occupait alors avec activité et quelque apparence de succès, à former une ma- de l'assemblée jorité royaliste dans le sein de l'assemblée. Toutes les nominations qui se formaient au scrutin en semblaient un heureux présage. MM. Mounier et Malouet s'étaient flattés d'avoir ramené à leurs sentimens plusieurs députés patriotes qui s'indignaient d'obéir à une multitude sanguinaire. Cette majorité devait elle-même demander, après quelques essais de ses forces, la translation de l'assemblée nationale à Tours, où le gouvernement l'aurait suivie. On ne doutait pas que les troupes qui, au milieu de leur licence, respectaient du moins les décrets de l'assemblée constituante, et que la plupart des pròvinces ne donnassent leur assentiment à la seule mesure qui pût rendre la liberté à l'assemblée nationale. Tout ce projet, quoiqu'assez raisonnablement concerté, n'offrait encore qu'une espérance vague; mais le roi ne pensait point à fuir vers Metz, à se séparer de l'assemblée, à se mettre en opposition avec elle. La pénurie du trésor était

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