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1789. peu de profondeur, de clarté, de méthode. Plusieurs députés, tels que Pétion et Buzot, se montrèrent presque aussi vulgaires dans leurs observations, qu'aurait pu l'être la multitude elle-même. Dans un séņat à vie, ils s'obstinaient à ne voir que le sénat de Venise; et, tout en déclamant contre l'aristocratie et le despotisme, ils préparaient, par leur établissement d'une chambre unique et souveraine sans partage, le despotisme qui devait un jour faire tomber leur tête. Ces esprits lents et froids, mais sèchement absolus, ne cessèrent plus d'appesantir toutes les discussions par leurs discours monotones et par leurs flegmatiques exagérations. La chambre unique fut décrétée à une majorité considérable. Tout le projet de comité de constitution se trouvait renversé par sa base.

L'assemblée décrète le VETO

(20 septemb.)

La question de la sanction royale fut dis suspensif. cutée avec plus de vigueur et de talent sans amener un résultat plus heureux. Il n'était aucun des cahiers des trois ordres qui ne prescrivît aux députés de respecter la sanction du roi, ainsi que l'inviolabilité de sa personne. Ce dernier point avait été adopté sans discussion; nous verrons cependant que, depuis, la même assemblée y mit de fatales restrictions. Le serment du jeu de paume

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avait renversé l'initiative royale pour tous les 1789. projets constitutionnels. Les meilleurs esprits n'osèrent rien réclamer pour cette initiative; grand nombre de députés auraient bien voulu, malgré les termes impératifs de leur mandat, supprimer tout-à-fait la sanction royale, ou la rendre du moins complètement inutile pour les actes constitutionnels; mais ils aimèrent mieux éluder la difficulté; car leur projet était de masquer une république sous un vain simulacre de monarchie. Ils imaginèrent le système d'un vÉTO SUSPENSIF, dont l'effet devait cesser à une seconde ou à une troisième législature. Les royalistes se réveillèrent de la langueur où ils étaient plongés pour maintenir toute l'énergie de la sanction royale. L'abbé Maury défendit avec force et talent le véto absolu, et, à l'étonnement général, trouva un second dans le comte de Mirabeau. Les variations apparentes d'un homme de cette trempe doivent être examinées ; à la différence de plusieurs de ses systématiques collègues, il marchait au milieu d'une révolution en examinant toujours quel parti il en pourrait tirer pour son ambition ou pour sa fortune; il n'aimait les crimes gratuits. Les désordres présens n'éloignaient jamais sa pensée d'un ordre

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1789 qu'il serait appelé à conduire ou à ramener; il combattait la cour en la plaignant, et les regards toujours un peu tournés vers l'or qu'elle pourrait lui distribuer. Il servait le duc d'Orléans en méprisant son caractère et les plates mesures de sa demi-scélératesse. Tantôt il parlait, même en présence d'hommes vertueux, tels que Mounier, d'un changement de dynastie comme d'une hypothèse toute simple, toute familière; tantôt il se rapprochait des amis de M. Necker, et semblait leur dire ; « Pourquoi ce ministre tardet-il de sauver le trône en m'achetant? Mais M. Necker, soit rigorisme, saitressentiment, soit jalousie, n'écoutait pas de tels avis, Mirabeau se tenait également prêt pour être le ministre d'un prince usurpateur, ou pour être le ministre du roi dans les deux cas il lui importait de sauver l'autorité royale d'une trop abjecte dépendance. Dans son discours sur la sanction royale, on eût en vain cherché les traces d'un homme occupé de pensées séditieuses: il y faisait une guerre aussi franche qu'habile à tous les prestiges de la fausse liberté qu'on adorait alors. N'armons pas le roi, dit-il, contre le pou»voir législatif, en lui faisant entrevoir un instant quelconque où l'on se passerait de » sa volonté, et où, par conséquent, il n'en

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serait que l'exécuteur aveugle et force. Sa- 178g. schons voir que la nation trouverá plus de » sûreté et de tranquillité dans des lois ex»préssément consenties par son chief, que dans des révolutions où il n'aurait aucune part, et qui contrasteraient avec la puis sance dont il faudrait, en tout état de » cause, le revêtir. Sachons que, dès que nous avons placé la couronné dans une famille désignée, que nous en avons fait lë patrimoine de ses aînés, il est imprudent de les alarmer en les assujétissant à un »pouvoir législatif dont la force resté entre » leurs mains, et où cependant leur opinion » serait méprisée : ce mépris tevient enfin à » la personne, et le dépositaire de toutes les > forces de l'empire français ne peut pas être - méprisé sans les plus grands dangers. Toute la France répéta, máis avec l'accént de la surprise et de la colèré, les paroles énergiques échappées à ce tribun toujours maître de lui-même et de så pensée : « J'ai» merais mieux vivre à Constantinople qu'en »France, si l'on y pouvait faire des lois sans la sanction royale. On ne les comprit dans toute leur force et leur vérité, que lorsque l'on fut tombé sous le joug de la convention nationale. Tandis que Mirabeau compromettait sa popularité, l'abbé Sièyes

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1789.

cherchait à recouvrer la sienne; il était comme effrayé du courage qu'il avait eu pour défendre les dîmes. Résolu d'ouvrir un avis net et tranchant sur la question du véto absolu et du vétó suspensif, il commença par déclarer qu'il ne voulait ni de l'un ni de l'autre; que les mandats impératifs des cahiers, et à peu près unanimes sur ce point, devaient être considérés comme nuls; que le roi devait être étranger à l'action du pouvoir législatif; que tout au plus il pouvait, dans certaines délibérations, proposer son avis, sans jamais donner son vote, « et cela par » une raison toute simple et toute arithmétique»: c'est que le roi n'est qu'un seul individu, ne peut avoir qu'une seule volonté, et que la volonté d'un seul ne peut pas prévaloir sur celle de douze cents hommes qui représentent, d'une manière absolue et sans crime, vingt-six millions d'individus. Après une déclaration aussi franche, il ne restait plus qu'à décréter la république, ainsi que le fit, trois ans après, la convention nationale; mais l'abbé Sièyes se disait encore ami de la monarchie, et ne voulait pas ruiner tout-à-fait les espérances du duc d'Orléans, auparavant son protecteur, maintenant son protégé. Je ne le suivrai pas dans la région

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