Page images
PDF
EPUB

1789.

Chefs du tiersétat.

» et recevoir l'encens coupable de tes nou» veaux adorateurs. »

Le duc d'Orléans, charmé d'avoir ressaisi la faveur du peuple par l'audace facile de son opposition et par ses libéralités, travaillait à susciter au roi de nouveaux embarras. A toute l'activité haineuse d'un mauvais parent il joignait quelques pensées mal ordonnées d'usurpation. Possesseur d'un revenu qui surpassait celui de plusieurs souverains, s'annonçant en prince par sa taille haute, élégante, par sa démarche aisée, doué d'un esprit agréable et facile, époux de la fille vertueuse du duc de Penthièvre, père de plusieurs enfans qui s'annonçaient avec des qualités dignes de leur sang, que manquait-il pour le bonheur au descendant de Henri IV? Le libertinage, qui avait amolli son bisaïeul le Régent, fit de plus profonds ravages dans cette âme faible et commune. Quoiqu'il fût entouré de quelques amis d'un cœur loyal, il chercha de préférence la société de plusieurs hommes spirituels et dépravés. Dès、 qu'ils lui virent des sentimens de haine et de vengeance contre le roi, contre la reine, contre les princes, ils lui persuadèrent que c'était là de l'énergie, et le disposèrent au crime. Sa destinée fut d'être le banquier, la

dupe, le complice et la victime des révolu 1789.

tionnaires.

Parmi les nobles qui s'étaient déclarés pour le parti populaire, on distinguait le marquis de Lafayette, cher au peuple par quelques actes d'opposition contre la cour, et renommé pour des exploits d'une chevalerie républicaine accomplis dans le Nouveau-Monde. Sa gloire acquise, et la gloire plus grande à laquelle il aspirait, surpassaient les forces de son esprit et de son caractère. Les lois des États-Unis, de ces colonies qui, par leur régime municipal, étaient déjà presque une république avant la déclaration de leur indépendance, ces lois qu'il avait étudiées en courant et en combattant, semblaient lui tenir lieu de toute autre instruction politique. Il regardait comme le type de toute bonne constitution les institutions d'un peuple agriculteur, simple, laborieux et disséminé par tribus, par famille sur un espace immense. Républicain par sentiment, il était encore un peu royaliste par devoir; il croyait pouvoir unir des idées d'insurrection avec un reste d'habitudes monarchiques. S'il désirait un vaste pouvoir, c'était pour se ménager la gloire de l'abdiquer, à l'exemple de

1789. Washington. Ses vertus privées lui faisaient des amis. Ni ses regards, ni ses paroles n'avaient rien d'enflammé. Son courage était de tous les momens; mais il ne savait pas toujours à quoi l'appliquer. Il cherchait ses devoirs et se brouillait quelquefois dans un examen qu'un esprit peu juste et peu étendu lui rendait difficile. Son bras aurait eu besoin d'être conduit par une volonté moins irrésolue que la sienne. Excellent élève de Washington en Amérique, il devint parmi nous le copiste embarrassé d'un grand homme.

[ocr errors]

Le comte de Clermont Tonnerre et le comte de Lally-Tollendal adhéraient alors à plusieurs vœux du parti populaire. Leur éloquence vive et féconde était soutenue par des études politiques dont la direction était aussi sûre qu'étendue. L'un et l'autre cherchaient ce qu'il leur serait possible d'emprunter de la constitution anglaise. Ils se virent bientôt secondés dans leurs soins malheureusement infructueux par deux députés du tiers-état, Mounier et Malouet, hommes attentifs à observer les limites délicates qui séparent la liberté de l'anarchie. Dans le même parti figuraient, à quelques nuances près, le duc de La Rochefoucault et son

cousin le duc de Liancourt, le comte et le 1789. marquis de Crillon, le marquis de Montesquiou, le vicomte de Montmorency et plusieurs autres personnages distingués qui, dans leur passion du bien public, dans la candeur et la générosité de leurs sentimens, ne furent pas toujours à l'abri de quelques illusions politiques. Chez plusieurs autres membres de la minorité de la noblesse l'enthousiasme de la liberté paraissait stimulé par quelques dépits de cour. Il y en avait même quelques-uns qui, versés dans l'art des séductions et des intrigues auxquelles ils avaient dû des succès de galanterie et d'ambition, croyaient que les perfidies ne seraient pas inutiles à la cause de la liberté. Les hommes de lettres n'avaient obtenu aucun succès dans les élections populaires; et la révolution, à son berceau, avait déjà signalé son ingratitude envers cette philosophie dont elle était fille. On comptait dans la représentation du tiers-état deux cent douze avocats, c'est-à-dire plus du tiers de cette députation. Les grands talens de plusieurs orateurs du tiers-état ne purent d'abord suppléer à l'insuffisance de leur éducation politique. Ces orateurs aimèrent mieux créer la science du gouvernement

1789. représentatif que l'apprendre. L'histoire et l'expérience les gênaient. Ils voulurent tout construire avec des principes qu'ils disaient éternels, et leur ouvrage ne dura que quelques jours. Cette erreur du siècle emporta jusqu'à des esprits naturellement judicieux, tels que les Barnave, les Thouret, les Chapelier; un peu plus tard, ils la reconnurent, la confessèrent et voulurent courageusement la réparer. Quand leur éducation politique fut faite, la révolution trancha leurs jours. J'ai parlé de Mirabeau dans le volume précédent; mais il faut considérer de plus près l'homme qui va dominer sur les premières années de la révolution.

Honoré Riquetti, comte de Mirabeau, descendait d'une ancienne famille de Provence, originaire de Naples, et n'était point indifférent à l'avantage de la noblesse, lorsqu'il déclamait le plus contre les nobles *. Sa taille moyenne exprimait la force de ses muscles et de son tempérament. Sa tête, hérissée d'une forêt de cheveux et posée sur un col étroit, était énorme; son teint, habi

* Madame de Staël rapporte, dans son ouvrage sur la Révolution, que Mirabeau dit une fois dans un cercle : « L'amiral de Coligny, qui, par parenthèse, » était mon parent, »

« PreviousContinue »