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A MONSIEUR

DE LUYNES,

MEMBRE DE L'INSTITUT.

Hommage d'une estime sans bornes pour le beau talent et le noble caractère de cet illustre

Savant:

H. DUSEVEL.

AVANT-PROPOS.

La plupart des hommes vivent et meurent dans le lieu où ils ont reçu le jour. Là furent leurs parents et leurs amis; là leur enfance goûta ces innocentes joies dont la mémoire est encore un plaisir. Ce souvenir, lié au lieu de notre naissance, est peut-être la principale cause du charme qui nous y attache lorsque nous l'habitons, et qui, dans les ennuis de l'absence, nous y ramène au moins par la pensée; attrait vertueux et pur qui, développé par le temps, agrandi dans son objet, devient la source d'un sentiment plus noble encore, l'amour de la patrie.

Si ces idées sont vraies, l'histoire de notre pays natal ne peut nous être indifférente: sous la plume de l'historien, le passé renaît et se colore; ces édifices à demi détruits, dont les ruines semblent n'attester que la marche du temps, s'animent, se relèvent, pour rappeler les évènements dont ils furent le théâtre.

Dépouillez-les des traditions des temps passés; conduisez dans la plupart de nos villes l'étranger curieux de les connaître; qu'y verra-t-il? Dans l'absence des monuments qui, ailleurs, ont élevé si haut la gloire de l'architecture, il verra de chétifs bâtiments, des places, des rues sans attrait pour ses yeux, sans souvenirs pour sa pensée, sans émotions pour son cœur.

Mais que l'histoire ait éclairé son guide, ces objets inanimés vont vivre, prendre une voix pour raconter leur origine et les choses dont ils furent les témoins.

Pour prouver cette vérité, jetons un coup-d'œil rapide sur ce qui nous environne; voyons si cette ville, qui semble ne présenter qu'un seul chef-d'œuvre à notre admiration, ne trouvera point dans ses traditions un charme plus puissant peut-être que celui qu'offrent les merveilles de l'art.

Ici naquit Samarobrive; le long de ces canaux, formés des différents bras de la Somme, s'élevait, au sein de la Gaule, l'obscur amas de chétives chaumières qui, plus tard, fut Amiens, ville puissante et libre, asile des rois et boulevard de la France. On n'y peut faire un pas sans y trouver son histoire; de précieux vestiges signalent ses divers agrandissements; d'autres rappellent les édifices qu'elle renfermait et leur antique destination. On montre encore l'endroit où les Romains, nos vainqueurs, forgeaient ces armes, préparées pour la conquête du monde, la cave où saint Quentin gémit captif, l'endroit qu'une pieuse vierge consacra à l'éducation des orphelines, celui où, modèle de la première des vertus, un saint couvrit un pauvre de la moitié de son manteau, celui par où notre premier évêque entra dans nos murs sans autre cortége que ses vertus, la place où il scella de son sang la sainteté de sa mission, la rue où naquit le solitaire qui, sans autre arme que la parole, leva les peuples et les guida sur les rives du Jourdain.

Cette place, naguère couverte d'arbres, dont le feuillage promettait son ombre aux jeux de nos enfants, et où bientôt s'élèvera la statue d'un savant Amiénois, elle est l'immense tombeau où vingt générations se sont englouties.

Ce sol, creusé près de l'une de nos portes, c'est la fosse où le fanatisme alluma jadis ses bûchers; sur le terrain qui l'avoisine, la terre ouverte rend, à chaque fouille, ces tombes de pierre, mornes témoins du séjour de nos anciens vainqueurs.

Dans cette basilique majestueuse, où vit le génie de nos pères avec leur piété, où presque tous nos rois vinrent incliner la majesté royale devant la majesté divine; un mo

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