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Eh bieu! sachez qu'il en coûte douze sols pour me voir. En voilà vingt-quatre, dit l'étranger; je reviendrai encore demain. Voltaire rit, se met de bonne humeur et le comble de politesses.

Guibert, auteur d'une tactique et d'une tragédie intitulée, le Connétable de Bourbon, Guibert en partant de Fernex où il avoit séjourné huit jours, sans parvenir à voir Voltaire, lui fit remettre le quatrain suivant :

Je croyois voir ici le vrai dieu du génie,
L'entendre lui parler, l'admirer en tout point;

Il est comme Jésus dans son Eucharistie

On le mange, on le boit, et l'on ne le voit point. Voltaire fit atteler à l'instant une calèche à quatre chevaux, et la conduisant lui-même, lui courut après com me un jeune homme, et le ramena en triomphe à Fernex,

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L'abbé Pernetty, homme de lettres plutôt qu'homme du monde, arrive à Fernex pendant qu'on dîne. Avancez un fauteuil à Monsieur, dit Voltaire. Non, non, Monsieur, une chaise suffit, dit le modeste abbé. Voltaire d'insister; l'abbé de refuser. Eh, Monsieur, lui dit enfin Voltaire impatienté, pourquoi vous obstinez-vous à demander du bouilli à ceux qui n'ont que du rôti à vous offrir? (Il n'y avoit en effet point de chaise dans le sallon). Et chacun de rire et l'abbé d'être décon certé.

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Le fils du célèbre Buffon étant chez Voltaire, quelqu'un pronoit outre mesure les madrépores et autres raretés plus curieuses qu'utiles dont son cabinet regorgeoit. Voltaire prend par la main un enfant qui étoit là, et le conduisant vers une croisée du sallon qui donnoit sur son potager. Voilà, lui dit-il en riant de ce rire sardonique qui lui étoit naturel, voilà mon cabinet d'histoire naturelle. C'est dans ce même esprit qu'il disoit un jour en parlant de chimie: C'est encore un excellent chimiste

qu'un bon cuisinier. Non qu'il ne fût grand admirateur des sciences, mais parce qu'il cherchoit toujours à les ramener à l'utilité pratique. A quoi cela sert-il ? étoit la question qu'il faisoit toujours lorsqu'on lui parloit de vaines théories.

Un étranger, introduit chez Voltaire, le voyant écrire, veut se retirer par discrétion. - Non, non,' Monsieur lui dit le poëte, entrez, vous ne me dérangez point; je ne faisois que de la vile prose.

Vous ressemblez, dit-il, à un auteur qui le venoit voir à Fernex, Vous ressemblez à Orphée descendant chez les ombres; je ne suis plus qu'une ombre.

me

Il disoit à un autre étois mort, vous venez pour n ressusciter.

Un jour qu'il avoit de l'humeur contre un indiscret qui s'étoit impatronisé chez lui sans invitation Don Quichotte, dit-il, prenoit les auberges pour des châteaux : mais Monsieur *** prend mon château pour une auberge. .. On regrette encore de ne plus trouver dans la cour du château de Voltaire un théâtre, qui en faisoit l'ornement, ainsi que les plaisirs du maître. C'est là que la fameuse Clairon, quittant la scène, vint lui jouer Electre et Aménaïde. C'est là qu'il joua lui - même Narbas et Cicéron; et que s'identifiant avec ce Romain, dont il avoit la renommée, l'universalité de talens, et la passion pour la gloire, on croyoit entendre cet orateur tonner du haut de la tribune aux harangues, quand il disoit :

Romains, j'aime la gloire et ne veux point m'en taire.
Des travaux des humains c'est le digne salaire.
Sénat, en les servant i la faut acheter,

Qui n'ose la vouloir n'ose la mériter.

On ne sait pourquoi les curieux qui viennent à Fernex, ne vont presque jamais visiter auprès de l'église le tombeau qu'il se fit construire en 1765, c'est-à-dire, treize

ans avant sa mort; ce qui lui fit dire, au moins on ne m'accusera pas d'être un homme sans prévoyance. Il y a quelques années qu'une planté de bonhomme sortit du milieu des joints du tombeau. Cette plante avoit l'air d'une épigramme faite par la nature sur Voltaire. Non qu'il manquàt assurément de cette bonté, mère de la bienfaisance, et la première des vertus; mais parce qu'il n'étoit rien moins que ce qu'on appelle avec mépris dans le monde un bonhomme. Les saillies dont sa conversa→ tion étinceloit, dégénéroient même souvent en sarcasme dont il avoit habituellement l'expression sur sa bouche.

Cherchant à payer la dette de Fernex envers son fondateur, un ancien habitant du lien, au milieu d'un' bosquet d'arbres toujours verts, a élevé un monument fort simple à Voltaire. Ce n'est qu'une pierre tumulaire', de marbre, sur laquelle on lit cette inscription: « Au chantre du père des Bourbons, au fondateur de Fernex. Sur cette pierre est une pyramide terminée par une urne, surmontée par une couronne de lauriers, par la trompette de la renommée, et par la plume de Voltaire, sous laquelle on lit ces mots :

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Ta plume qui transmit à la postérité
Mérope, Mahomet, Adélaïde, Alzire,
Le siècle de Louis, et Candide et Zaïre,
Voltaire, est consacrée à l'immortalité,!

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Sur le monument on voit le portrait de Voltaire, avec ce vers touchant échappé de l'ame sensible de cé grand poëte:

J'ai fait un peu de bien, c'est mon plus bel ouvrage,

Du tombeau même, comme de celui de Virgile, sort un laurier, dont les rameaux embrassent tout le monument, tandis que les pensées et les immortelles fleu rissent autour de la tombe.

La terre de Fernex étoit fort grande, et jouissoit

avant la révolution de grands privilèges. Voltaire joignoit à cette terre le Comté de Tournex, et le charmant domaine de l'Hermitage, qu'il offrit à Jean Jaques Rousseau malheureux et proscrit; mais celui-ci lui répondit dureJe ne veux rien de vous, parce que vous corrompez. ma patrie par vos comédies.

ment

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Si, lorsqu'il quitta la cour des Rois pour vivre dans la retraite, Voltaire, par l'universalité de ses talens, et de ses lecteurs, étoit sans contredit l'homme de lettres le plus illustre de l'Europe, sa réputation, loin de diminuer en vieillissant, s'accrut encore, et il devint, ce qui ne s'est jamais vu, et ne se verra jamais peutêtre, il devint la trompette de la renommée, la Providence du pauvre, et le patron du foible opprimé contre le puissant oppresseur.

Chaque pauvre à Fernex trouvoit une maison;
Il sembloit qu'en ces lieux l'élève d'Apollon
Déposant comme lui son sceptre littéraire

Eût de l'humanité le sacré ministère.

8

Que Cicéron arrache à l'échaffaud le Pompéïen Ligarius pris les armes à la main à Pharsale, et déjà condamné par César, son juge et son ennemi personnel, par César, le maître de Rome et du monde, c'est le triomphe de l'antique éloquence. Mais ce triomphe n'a eu lieu qu'une fois sur la terre. Mais l'éloquence étoit le talent sublime, je dirai presque le métier, de Cicéron. Mais Cicéron vivoit au milieu de Rome, qui étoit le noble théâtre de l'éloquence. Mais Cicéron avoit été revêtu des plus éminentes magistratures de la ville éternelle. Et Voltaire, au contraire, Voltaire, loin des cours et des cités, vivoit à la campagne dans la solitude, sans titres, sans magistrature, sans autre couronne que celle des arts et du génie. Voltaire même étoit proscrit, et ce proscrit étoit cependant l'homme le plus puissant, le plus accrédité de son siècle. Les plus grands poten

tats lui faisoient la cour, ils redoutoient sa plume, ils mendioient à ses pieds ces brevets d'immortalité dont il étoit le distributeur. Et lui ne se servoit de son crédit que pour réparer les erreurs des juges et des lois, que pour être le ministre et le défenseur de l'humanité, l'égide et le vengeur de l'opprimé.

Ah! combien les talens ont droit à nos autels

Lorsqu'ils sont consacrés au bonheur des mortels.

Ah, sans doute! Voltaire fut bienfaisant toute sa vie: mais Fernex fut sur-tout le théâtre de sa bienfaisance. C'est là qu'il donna retraite à Mr. Delisle de Sales, pour suivi pour la Philosophie de la nature. C'est de là qu'il défendit Marmontel inquiété pour Bélisaire; l'amiral Bing injustement condamné, et le comte de Morangiés, rançonné par d'avides usuriers. C'est de là qu'il fit réhabiliter la mémoire des Calas, des Sirven, des Martin, des Montbailly; qu'il sauva de l'échafaud la femme de ce dernier ; qu'il éleva fortement la voix pour Lally (1), pour la Barre, et pour quinze mille habitans du Jura, serfs des chanoines de St. Claude (2). C'est là qu'il adopta et maria la petite nièce du grand Corneille, disant qu'un vieux soldat du grand Corneille devoit être utile à la petite-fille de son général; qu'il la dota noblement du fruit de ses travaux, de 90,000 livres, provenant de son commentaire sur

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(1) Quand Voltaire mourant apprit qu'on avoit réformé l'arrêt de condamnation à mort du général Lally, il écrivit au fil du général : Je vois que le roi est juste, et je meurs content. Il mourut en effet bientôt après.

(2) Ces gens dans leur reconnoissance ayant dit qu'ils lui élèveroient une statue après sa mort, et qu'ils la mettroient dans sa niche à la place de celle de St. Claude. Qu'on dise à ces bonnes gens que je les remercie, dit Voltaire, mais que rien ne presse.

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