Page images
PDF
EPUB

mée, de la distance de sa capitale à Constantinople, de la forme du gouvernement, etc.

Nous répondimes à tout cela d'une manière aussi com plète que nous pouvions le faire. Je ne puis pas exprimer l'étonnement qu'il montra sur quelques-unes de nos ré ponses, et il interpella les deux Indous qui nous accompagnoient, pour s'assurer que nous n'exagérions pas. Ils lui affirmèrent, que dans tout ce qui étoit à leur connoissance, nous n'avions rien exagéré. Il ne fut point convaincu, et s'écria, en branlant la tête : « Vous me parlez » d'un vaisseau qui porte cent canons et mille hommes d'équipage? C'est impossible! Comment fourniroit-on P des vivres et de l'eau à tout ce monde. Le Roi a à. peine autant de canons dans son arsenal, et les équi → pages de deux vaisseaux pareils suffiroient à envahir > notre pays!»> Nous lui réïtérames l'assurance de la vérité de tout ce que nous lui avions dit sur la marine anglaise, et nous lui donnames une idée de la bataille de Trafalgar. Il nous répondit: puisque vous m'affirmez que c'est ainsi, il faut bien que je le croie; mais si notre saint prophête l'avoit dit, les Noomrees (le peuple de Lus) en auroit exigé la preuve.»

le

Il nous demanda enfin quelles affaires nous avions dans pays. Nous répondimes que nous étions au service d'un marchand Indou de Bombay, qui nous avoit chargés de lui acheter des chevaux pour les marchés de l'Inde, et que nous espérions qu'il nous procureroit les moyens de nous rendre à Khelat. Il ordonna immédiatement à son Deewan ou ministre, de nous procurer des guides et des domestiques. « Vous feriez mieux ( ajouta-t-il ) de res> ter chez moi un mois ou six semaines, pour éviter » le froid, qui maintenant est si rigoureux à Khelat, qu'il peut vous tuer. Nous repliquames que notre pays natal étoit très-froid; que par conséquent nous ne eraignions point une telle température, et que nous desirions entrer immédiatement dans la région des montagnes,

[ocr errors]
[ocr errors]

>>

A la bonne heure, nous dit-il; mais il faut avoir quelques ménagemens pour ceux qui vous accompagnent. Cependant, puisque vos affaires sont pressées, faites vos préparatifs, et je vous donnerai des » lettres pour les chefs des pays où vous devez passer. >> J'enverrai aussi aujourd'hui un messager pour chercher » Ruhmut-Kkan, le chef de la tribu des Bezunjas, pour » qu'il vous accompagne au travers du pays qu'elle habite, » parce que c'est là que vous risquez le plus d'être » volés. » Il témoigna alors son desir de nous voir prendre congé.

Le Jam se montra dans cette audience, un homme intelligent, et desireux de s'instruire. Il est d'une belle figure, il parle assez bien le persan et la langue du Sinde. Il étoit assis sur un carreau d'étoffe blanche et sans ornement. Il étoit très-simplement vêtu, et portoit un turban considérable, mais pas néanmoins que le si gros portent les Sindees. Son épée et son bouclier étoient devant lui sur le tapis. Son fils et ses deux frères étoient assis près de lui; et tout cela avoit un aspect de pauvreté dont on ne paroissoit point se mettre en peine et qu'on n'essayoit pas de cacher. Le durbar dans lequel nous fumes reçus étoit une grande pièce ouverte, élevée de quelques pieds au-dessus du sol, et dont le toit plat, et fait avec de la terre, étoit supporté par des piliers courbes, qui n'avoient pas même été rabotés. Il n'y avoit pas la moindre apparence de pompe, ni même d'ordre dans tout cela. Il n'y avoit ni gardes, ni chobdars (porte-massues), ni Cipayes; et ceux qui étoient assis autour du Jam faisoient leurs observations, et disoient leur avis avec une parfaite liberté; mais en même temps chacun montroit pour le chef beaucoup de respect, d'attention et d'affection.

[ocr errors]

Le lendemain nous fumes confirmés dans la crainte que nous avions d'avoir été connus pour des officiers de la Compagnie, en recevant la visite du Jam Durya

Khan,

Khan, l'aîné des frères du Jam. Il passa deux heures à causer avec nous. C'est un homme de moyen âge et de bonne mine. Il est poli et doux dans ses manières ; mais il étoit vêtu d'une façon fort mesquine, chose qui nous parut peu surprenante, lorsque nous sumes que son apanage se bornoit à quinze cents roupies (cent quatre vingt livres sterling). Il est pourtant la troisième personne de l'Etat, et le général en chef de l'armée lorsqu'elle est réunie. Il a alors une petite addition de paye et l'usage de deux chevaux du Jam. Il nous rendit compté des sources des revenus du pays, et du gouvernement de son frère, en faisant contraster tout cela avec ce qu'il avoit appris de nous la veille. Dans cette conversation, il montra beaucoup de bon sens et de discernement. Nous apprimes de lui qu'il étoit ardent chasseur. Il alloit souvent faire des excursions dans les montagnes. Il lui étoit arrivé de tuer jusqu'à trente chamois dans deux jours de chasse. Ces animaux sont très-difficiles à ap* procher, et habitent au milieu des précipices les plus dangereux. Leur chair est extrêmement estimée. Le Jam et toute sa famille sont passionnés de cette chasse ; et les réglemens sont tellement stricts pour la conservation du gibier, que la famille des chefs a toujours une trèsbelle chasse dans les montagnes. Si un lion, un tigre ou quelqu'autre animal qui vaille la peine d'être chassé par les princes, est aperçu dans le pays, même à une grande distance de Bela, le Jam en est aussitôt instruit, et il part pour en faire la chasse. En nous quittant, il nous dit qu'il souhaitoit beaucoup que pendant notre séjour à Bela, il se présentât une occasion de chasse extraordi naire, parce qu'il nous donneroit des chameaux de selle pour l'y accompagner.

Un parti de Brahooes arriva le soir même à Bela, avec soixante chameaux chargés de blé qu'ils appor toient de six journées de distance. Nous allames au Littér. Nouv. série. Vol. 3. No. 1. Sept. 1816.

F

marché pour parler à l'un d'entr'eux. Il nous dit que si nous n'avions pas une caravane d'objets précieux nous n'avions pas beaucou à redouter des Bezunjas, qui nous laisseroient passer en payant un léger droit........ Nous achetames quatre chameaux à bon prix, et nous fimes nos préparatifs pour le départ. Un message du Dewan nous apprit que le chef Bezunja étoit attendu de moment en moment, et qu'aussitôt après son arrivée nous pourrions partir. A quatre heures après midi le Jam passa à cheval devant notre demeure, et nous fit demander de sortir, pour savoir comment nous nous portions. Son cheval étoit superbe et bien harnaché. Il étoit accompagné d'une trentaine d'hommes armés, dont les uns étoient à cheval, les autres sur des chameaux. Son fils étoit monté sur un de ces derniers, qu'il guidoit avec beaucoup d'adresse et d'aisance, au moyen de deux cordons de soie passés dans des trous faits aux cartilages extérieurs des naseaux. Les chameaux marchoient deux à deux, et les cavaliers étoient sur les flancs. Tous étoieut armés d'épées, de boucliers, et de mousquets à mêche.

Voyant que le chef des Bezunjas, nommé RuhmutKhan n'arrivoit point, nous quittames Bela, et fimes quatre milles et demi dans la soirée pour nous arrêter à un jardin du Jam sous un tamarin d'une grosseur remarquable. Nous étions six, tous montés sur des chameaux; mais le capitaine Christie et moi nous trouvant un peu gauches dans la conduite de ces animaux, nous primes un homme pour nous aider à les mener. Tout ce pays-là est très-bien cultivé et est arrosé de beaucoup de ruisseaux. Il y a à deux milles de Bela une grande manufacture de sucre brut. Le moulin qui est employé à extraire le jus des cannes est extrêmement simple. Ce jus est soumis à l'ébullition dans des bassins évasés; et lorsqu'il est épaissi au degré convenable, on l'enferme dans des feuilles de palmier pour

l'envoyer à la côte où il est exporté. On en fait aussi manger aux chameau et on l'employe beaucoup dans la cuisine. Le sédiment des chaudières forme un engrais très-actif.

>> Pendant que nous chargions les chameaux le 29 janvier au matin`, Rahmut-Khan arriva avec une vingtaine de personnes qui formoient sa suite. Il refusa absolument de nous laisser pénétrer dans le pays autrement que sous sa garde, et de nous accompagner avant d'avoir parlé au Jam. Nous fumes donc forcés de décharger nos chameaux et de retourner avec lui à Bela. Che min faisant, nous fimes la conversation avec lui, et nous pumes nous apercevoir qu'il réunissoit la férocité d'un brigand à la plus franche hospitalité : c'est là le vrai caractère des Belooches. Il jura plusieurs fois par sa barbe que si nous avions essayé de pénétrer dans son pays sans sa permission, il auroit anéanti notre petite caravane. Peu après ils nous pria avec ins tances de passer au moins huit jours dans son village, ce que nous aurions accepté volontiers si notre destination l'eût permis. Nous lui répondimes que notre intention avoit été de passer rapidement, et sans être aperçus au travers de son pays. Il se mit à rire aux éclats, de notre prétendue ignorance. « Comment pouviez-vous, » nous dit-il, « croire la chose praticable

[ocr errors]

Croyez-vous que vous serez toujours parmi les Nomrees » de Lus? Il faut que vous passiez pour des Belooches » et sous ma protection à moi. Un lièvre ne pourroit » pas traverser mon pays s'il me plaisoit de l'empêcher; >> mais si je vous ai une fois donné parole pour votre » sûreté, vous n'avez plus à craindre aucun être mortel. » Le reste est à Dieu et à son prophète.

La protection offerte aux voyageurs par ce chef de brigands n'étoit pas gratuite: il exigea du Jam qu'on lui donneroit soixante roupies pour la traversée de son pays. La première halte se fit dans le lit de la rivière

« PreviousContinue »