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doit avoir d'autres bornes légales que celles qui sont nécessaires pour maintenir chaque individu dans la possession et l'exercice des mêmes droits, autant que le plus grand bien de la communauté le permet ainsi. »

>> Il ne doit appartenir qu'au Législateur suprême de déterminer ces bornes : cela ne doit être permis à aucun autre individu, soit qu'il possède ou non quelque autorité subordonnée. »>

ARTICLE CINQUIÈME.

« La loi n'a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société. Tout ce qui n'est pas défendu par la loi ne peut être empêché; et nul ne peut être contraint à faire ce qu'elle n'ordonne pas.

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Observations.

1. « Ce n'est plus la loi ne peut pas, mais la loi n'a pas le droit. Plus d'ambiguité, plus de masque. Maxime d'insurrection, principe universel d'anarchie. Prenez une action quelle qu'elle soit, si la loi n'a pas le droit de la défendre, la loi qui la défend est nulle; le magistrat qui veut l'exécuter, est un oppresseur; la résistance est un devoir, et la soumission un crime envers la patrie.

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» Dire que la loi ne devroit défendre que les actions nuisibles à la société, c'étoit poser une maxime vraie et raisonnable. Une législation conforme en tout à cette maxime, seroit arrivée à sa perfection. Mais cette perfection est-elle possible ? est-elle dans la nature humaine? Nous pouvons nous en approcher de plus près, mais pouvons-nous y parvenir ? Faut-il méconnoître tous les Gouvernemens? faut-il les attaquer dans le principe vital? faut-il ôter aux lois leur autorité, parce qu'il y reste des imperfections? »

2.o Tout ce qui n'est pas défendu par la loi ne peut être empêché. Nul ne peut être contraint à faire ce que la

loi n'ordonne pas. Même équivoque déjà observée, ne peut, au lieu de ne doit. Devra est le langage du Législateur, peut est le langage du fait. Ainsi le Législateur auroit dû dire: «Tout ce qui n'est pas défendu par la loi ne devra pas être empêché, et nul ne devra être contraint, etc. Substituez le mot peut, vous dites ce qui est, et non ce qui doit être. Si je consulte un homme de loi, il me répond, on ne peut pas vous empêcher, on ne peut pas vous contraindre, c'est-à-dire, la loi ne donne aucune autorité à qui que ce soit de vous empêcher, de vous contraindre.

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» D'ailleurs cet article est trop vague. Il y manque une explication nécessaire. Pris dans son sens littéral, il anéantiroit toute autorité particulière, pouvoir domestique, pouvoir de police, pouvoir militaire. Si je dis à mon fils, ne montez pas ce cheval que vous n'avez pas la force de manier; si je dis à ma fille, ne lisez pas ce livre qui est dangereux pour vous, ils peuvent me défier de leur montrer une loi qui défende de monter un cheval fougueux, ou de lire un livre indécent. — Ce n'est pas aux lois seulement qu'il faut obéir, mais encore aux différentes autorités créées par la loi. On peut dire, il est vrai, que cela est compris virtuellement dans l'article; mais en matière d'obéissance et de devoir, on ne sauroit être trop explicite (1).

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(1) Pen de temps après que cette révélation des droits de l'homme eut été sanctionnée, les écoliers d'un des grands Collèges de France (celui de la Flèche, si je ne me trompe) furent assez bons logiciens pour y trouver tous les principes de l'indépendance. Armés de ce manifeste, et forts de cet article qu'ils avoient inscrit sur leur bannière, ils refusèrent l'obéissance à leurs Préfets, et procédèrent à une insurrection en règle, pour maintenir leurs droits imprescriptibles et inaliénables. Cette scène de collège n'étoit qu'un prélude de cet anéantissement de toutes les autorités et de cet esprit d'insubordination qui a couvert la France d'un déluge de sang et de boue.

Ajoutez à l'article : « Nul ne peut être contraint à faire » ce que la loi n'ordonne pas, bien entendu qu'il faut » rendre obéissance à toutes les autorités qui seront » créées par la loi, comme si c'étoit la loi même qui • parlât en leur nom, »il n'y a plus de danger, mais je ne sais plus quel droit vous m'avez donné, jusqu'à - ce que je sache quelles sont les autorités que la loi peut créer. Nuisible ou frivole, c'est toujours l'alternative de de cette déclaration.

ARTICLE SIXIÈM E.

« La loi est l'expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont le droit de concourir personnellement, ou par leurs représentans, à sa formation. Elle doit être la même pour tous; soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse. Tous les citoyens étant égaux à ses yeux, sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talens.

Observations.

« Cet article est un chaos de propositions qui n'ont point de lien commun, et qui se rapportent à des lois constitutionnelles, à des lois civiles, à des lois pénales. Examinons - les séparément.

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1.re Proposition. La loi est l'expression de la volonté générale. »

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» De quelle loi parle-t-on ? de quel pays? quel temps? Je ne connois point de loi, point de pays, point d'époque qui puisse justifier cette assertion. La définition est notoirement fausse; d'après cela, il n'y a point de pays qui aît des lois, car, même à Genève et dans les petits Cantons démocratiques, il s'en faut bien -que le droit de suffrage ne soit universel; il ne s'étend pas même à la majorité du nombre total des habitans.

Cet article est donc l'éponge de tous les Gouvernemens: mais qu'importe! puisque l'objet favori de cette effusion de bienveillance universelle étoit de déclarer tous les Gouvernemens dissous, et de le persuader à tous les peuples. »

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Cette prétendue définition n'étoit pas une invention des Législateurs français. Ils l'ont empruntée de Rousseau, qui, dans son Contrat Social, l'a présentée avec toute la solemnité possible, comme une découverte de la plus haute importance pour le genre humain. ». 2.de Proposition. « Tous les citoyens ont le droit de concourir personnellement, ou par leurs représentans, à sa formation.

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» Ici le langage change. Ce n'est plus un fait qu'on énonce. C'est un droit qu'on déclare. Il n'y a plus d'ambiguité. Il est décidé par les Législateurs de la France que, dans tous les pays du monde, toute loi est nulle, și les citoyens n'ont pas concouru à la faire personnellement ou par leurs représentans.

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3. Proposition. « La loi doit être la même pour tous soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse.

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>> Cette clause n'est pas déraisonnable sous un point de vue général; mais, énoncée d'une manière trop absolue, elle ne permet aucune exception, quoiqu'il y aît des exceptions nécessaires. »

» La loi d'Angleterre accorde à la personne du Roi et de l'héritier de la Couronne, une protection plus grande qu'aux autres individus, puisqu'elle punit plus sévèrement les attentats sur leur vie. S'ils sont plus exposés, et si le danger résultant de ces attentats est plus grand, il est convenable de fortifier leur sauve-garde. »

» On accorde de même de grands dédommagemens aux Ministres de la Justice, dans le cas d'une poursuite mal fondée, pour de prétendues injures à des individus, on leur accorde, dis-je, de plus grands dédommagemens que ceux qu'on donne à de simples particuliers pour un

grief de la même nature. C'est qu'on a considéré que les officiers du public, n'ayant pas le même intérêt à défendre les droits du public, que les hommes privés à défendre leurs propres droits, pourroient se laisser détourner de leur devoir, si on ne leur accordoit une protection plus grande contre ceux qui leur intenteroient d'injustes poursuites.

» Ces exemples, qu'il seroit aisé de multiplier, peuvent suggérer un doute raisonnable, si ce mot flatteur d'égalité n'est point incompatible, même en matière de protection, avec le principe de l'utilité générale. »

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» Par rapport aux peines, la véritable règle est de n'en appliquer jamais, s'il est possible, de plus grandes qu'il ne faut pour atteindre le but qu'on se propose. Comme entre deux individus, il peut y avoir une mesure de sensibilité très-différente, par le résultat de leurs situations respectives, une peine qui seroit nominalement la même pour tous les deux, ne seroit pas même en réalité! Cinquante coups de fouet peuvent paroître toujours égaux, dans l'estimation de la loi, cinquante coups de fouet: mais ce châtiment appliqué à un jeune et robuste laboureur, ou à un vieillard infirme, à une jeune femme délicate et sensible, ne peut paroître le même aux yeux de personne. Un bannissement, dans le style de la loi, peut paroître égal à un bannissement mais cette peine sera-t-elle la même pour un père de famille, à qui elle enlève toutes ses ressources, ou pour un aventurier, qui est presque également chez lui dans tous les pays du monde ?

Tout cela prouve que la notion vague d'égalité, toute flatteuse qu'elle est, ne peut guère servir qu'à tromper, qu'à voiler le principe de l'utilité auquel il faut toujours en revenir. >>

4.e Proposition. « Tous les citoyens étant égaux à ses yeux, sont également admissibles à toutes dignités, places

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