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pour appaiser les hommes timides ou raisonnables, qui seroient révoltés contre la chimère de l'égalité présen tée sans masque.

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Mais qu'entend-on par ces mots, ne peuvent pas? Veuton dire que ces distinctions ne sont point établies--ou qu'elles ne doivent pas l'être ou que si elles existent sans être fondées sur l'utilité commune, il faut les regarder comme nulles et non avenues? On peut choisir, car ces mots ont ces trois significations parfaitement dis tinctes. Si l'on veut dire que ces distinctions n'existent pas, c'est un appel aux faits et à l'observation: si l'on veut dire qu'elles ne doivent pas exister, c'est un appel au jugement des individus sur une matière de fait. Mais si l'on veut dire qu'elles ne peuvent pas exister parce qu'elles sont nulles en elles-mêmes, c'est un attentat contre la liberté d'opinion, c'est une invitation à se soulever contre les lois.

Dans le premier sens, la proposition n'est pas dange reuse, mais elle est évidemment fausse. Dans le second sens, elle est fondée en raison, mais il falloit l'exprimer clairement, et non employer un terme passionné. Dans le troisième sens, elle contient une doctrine séditieuse. Dire que la loi ne peut pas, au lieu de dire que la loi ne doit pas, c'est préparer l'insurrection et la justifier d'avance. Je ne saurois comparer ces expressions qu'à ces instrumens qui ne présentent rien d'offensif aux yeux, mais dans lesquels on cache un poignard. »

ARTICLE SECOND.

Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sureté et la résistance à l'oppression.

Observations.

« La confusion des idées est si grande dans tout cet article, qu'il est difficile d'y trouver un sens. Mais voich

je crois, les propositions qu'on peut en tirer..:

I. » Qu'il y a des droits antérieurs à l'établissement des Gouvernemens: c'est la seule chose qu'on puisse en tendre par droits naturels.»

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2. Que ces droits ne peuvent pas être abrogés par le Gouvernement: c'est l'unique sens qu'on puisse don ner au mot imprescriptible. »

3.o» Que les Gouvernemens existans dérivent leur ori gine d'une association primitive, d'une convention. » » Examinons séparément ces trois propositions. »

» La première est absolument fausse. Le fait est qu'il n'y a point de droits naturels →→ point de droits antérieurs à l'institution des Gouvernemens. L'expression droit naturel est purement figurative; et quand on veut lui donner un sens littéral, on tombe dans des erreurs qui ne sont pas simplement des erreurs spéculatives, mais des erreurs pernicieuses (1). »

i.

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Nous savons ce que c'est que vivre sans Gouverne-l ment. Nous avons des relations de plusieurs tribus sau-l vages, qui sont restées dans un état d'indépendance, qui n'ont point de chefs et point de lois. Mais nous savons aussi que là où il n'y a point de lois, il n'y a poing de droits, point de sureté, point de propriété. Le sauvage peut posséder quelque chose, mais ce n'est qu'unes possession immédiate et incertaine, qui ne dure qu'autant qu'on ne la lui dispute pas ou qu'il peut la défendre. Mais un droit suppose une garantie, une jouissance future aussi bien que présente. »

» Un droit d'une part sans une obligation exigible de l'autre, est une pure chimère: or, il n'y a point de droit dans l'état de nature, parce qu'on ne peut rien exiger; la liberté y est parfaite, si l'on veut, en tant qu'elle n'a point de frein régulier de la part d'un Gouverne➡

(1) Voyez Traités de législation. Tome I, Ch. XIII, Des fausses manières de raisonner en matière de loi,

ment; mais elle est extrêmement incertaine, en tant qu'elle est soumise à l'oppression continuelle du plus fort. A en juger par analogie, et même par quelques traces historiques, les anciens habitans de l'Europe ont été long-temps dans cet état: point de Gouvernement, par conséquent point de droits; une vie précaire, une existence du jour au jour, une possession momentanée, de longues privations et toutes les habitudes farouches de la crainte. Dans le même état que les animaux, ils étoient au-dessous d'eux en fait de bonheur, car il n'y avoit pas plus de sureté pour l'homme que pour la brute, et l'homme avoit de plus que la brute, la prévoyance du mal et le sentiment de l'insécurité. >>

» Ce malheur même étoit le germe de la civilisation. Plus on souffroit dans un état de choses où il n'y avoit point de droits, plus il y avoit de raisons pour desirer l'existence de ces droits: mais des raisons pour desirer l'établissement des droits, ne sont pas des droits. Les besoins ne sont pas les moyens. La faim n'est pas l'ali-* ment. Ceux qui parlent de droits naturels tombent donc dans la pétition de principe la plus grossière. S'il y avoit eu des lois toutes faites, qu'est-ce qui auroit pu conduire à en faire ? S'il y avoit eu des droits naturels, ils auroient agi sur les hommes comme l'instinct sur les abeilles, qui ne peuvent pas s'en écarter.>>

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Comment des législateurs avoient-ils pu méconnoître qu'en ceci le langage de la vérité étoit le plus propre à faire aimer aux hommes le Gouvernement et les lois, à, mettre sous les yeux des peuples l'immense bienfait de la législation, à leur faire haïr le désordre et l'anarchie qui les ramènent vers cet état de nature où tous sont ennemis de tous? Il falloit leur montrer, au contraire, que ces droits, ces nobles droits qui s'éten dent sur toute la vie, qui unissent les générations, qui protègent les foibles contre les forts, sont uniquement l'œuvre des lois, l'oeuvre de la société, le prix de l'o

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béissance

béissance générale au Gouvernement, la récompense de la subordination, récompense infiniment supérieure au sacrifice qu'elle exige.

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2. Si la notion des droits naturels est fausse, celle des droits imprescriptibles tombe nécessairement. Il n'y en a point de tels, il ne doit point y en avoir. Plus les lois approcheront de la perfection, moins elles seront su jettes à des changemens: mais il ne doit point y avoir de lois irrévocables, tant que les choses humaines sont soumises à des circonstances qui varient. »

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Quel est le langage de la raison sur ce sujet? La raison dit que le bonheur public étant l'unique principe à consulter dans l'établissement des droits, il n'en est aucun qui ne doive être maintenu, tant qu'il est avantageux à la société, aucun qui ne doive être aboli, dès qu'il lui devient nuisible.

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>> Il faut considérer chaque droit à part, son avantage et son désavantage spécifique. Entasser tous les droits. ensemble, c'est se mettre hors d'état d'assigner leur va leur séparée, et de faire entr'eux les distinctions couvenables. >>

» Droits imprescriptibles! Si ce langage décèle l'ignorance, il décèle encore plus de présomption; car déclarer des droits imprescriptibles, c'est annoncer qu'on veut enchaî ner ses successeurs, et imprimer à ses lois le caractère de la perpétuité. « En nous réside la perfection de la probité et de la sagesse: notre volonté doit régner sans contrôle et même après que nous ne serons plus. Les générations qui doivent nous suivre seront moins capables que nous de juger de ce qui leur convient. C'est à nous à leur prescrire les droits éternels. Il suffit que notre volonté les déclare. Celui qui proposera de les altérer, rebelle à l'assemblée nationale, sera coupable d'un attentat contre la nature: il faut le dévouer à la haine du genre humain comme l'ennemi de ses semblables. »

Littér. Nouv. série. Vol. 3. No. 1. Sept. 1816.

B

>>Tel est le fanatisme renfermé dans ces fausses notions de droits naturels et de droits imprescriptibles. C'est le despotisme de l'opinion contre le raisonnement. C'est précisément le langage de Mahomet: « Pense comme moi,

ou meurs. »

la

3. » Attribuer l'origine des Gouvernemens à une association volontaire, c'est une supposition qui, peut-être, a pu se réaliser dans certaines circonstances, et que l'on conçoit du moins comme possible, par exemple, dans le cas d'une colonie naissante. Mais, dans le fait, nous ne connoissons point de pareille origine. Tous les Gouver nemens dont nous avons l'histoire ont commencé par force et se sont établis graduellement par l'habitude, excepté quelques Etats qui se sont émancipés d'euxmêmes et qui se sont donné des lois. Au reste, la fiction d'un contrat n'est bonne à rien; elle ne sert qu'à faire naître des questions qui égarent les esprits et les éloignent du vrai sujet à examiner. >>

>> En effet, qu'importe comment les Gouvernemens se sont formés. Je ne connois pas de dispute plus oiseuse. Qu'ils aient commencé par une bande de voleurs ou par une aggrégation de bergers, par une conquête violente ou par une réunion volontaire, le bonheur de la société ne doit-il pas être également l'unique objet de ceux qui gouvernent? L'intérêt des hommes n'est-il pas le même dans les monarchies et dans les républiques? Le Gouvernement n'a-t-il pas les mêmes devoirs moraux à Pékin qu'à Philadelphie. >>

» Passons à la seconde partie de l'article. »

» Ces droits naturels et imprescriptibles) sont la li berté, la propriété, la sureté, et la résistance à l'oppres

sion. »

» Observez l'étendue de ces prétendus droits, appartenant tous à chaque individu, sans aucune limite. Faitesvous une idée, si vous le pouvez, de ce que c'est qu'un droit illimité, à la liberté, à la propriété, à la sureté,

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