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lorsqu'on vit son accusateur subir un jugement igno minieux, et Penn sortir acquitté de quatre accusations successives.

Occupé constamment des intérêts de la religion considérée sous le point de vue de la société particulière à laquelle il s'étoit dévoué, Penn parut devant la Chambre des Communes (1) pour soutenir la pétition présentée par les quakers aux fins d'obtenir la dispense du serment en justice. Il parcourut aussi les provinces pour exercer le saint ministère dont il étoit revêtu; et profita de l'acte de tolérance pour prêcher la doctrine qu'il envisageoit comme la seule vraiment conforme à l'évangile. Il le fit en public, dans les lieux où le peuple pouvoit, aux termes de la loi, se rassembler pour l'entendre.

En 1696, il se remaria. La perte de l'aîné de ses fils, mort à l'âge de 21 ans, vint troubler cruellement le bonheur qu'il s'étoit promis en formant cette nouvelle alliance. Il chercha quelque consolation en rassemblant des souvenirs douloureux, qu'il consacra dans un écrit intitulé : « Douleur et joie dans la perte et la fin de Springett Penn. Après avoir parlé de la première enfance de ce jeune fils et de ses premières études, il se complait dans le tableau de sa piété précoce, dont il cite plusieurs traits touchans. Nous en rapporterons un seul qui peint assez naïvement les sentimens que les quakers inspirent à leurs enfans long-temps avant que la raison puisse les développer. « Un jour, dit G. Penn, que j'al· >> lois à l'assemblé, mon fils me dit.» Souvenez-vous de moi, mon père, en présence du Seigneur. « Quoi» que je ne puisse pas aller aux assemblées, j'ai plu>> sieurs bonnes assemblées au-dedans de moi. Le Seigneur » vient dans mon esprit. J'ai avec lui des assemblées cé» lestes. » Peu avant sa mort, ayant été visité par le Sei

ע

(1) 1695.

gneur pendant qu'il étoit resté seul, il me dit a mon retour: « O quel heureux jour pour moi! quel jour de » bénédiction ! quelles pures jouissances! La puissance du Seigneur a subjugué mon ame ces momens sont bien » doux. Il publia cette même année quelques autres écrits.

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A cette époque le Czar Pierre étoit en Angleterre. Il travailloit, comme un simple charpentier, dans les chantiers de Deptfort, pour pouvoir enseigner à ses sujets l'art de construire des vaisseaux; et alloit de temps en temps à Londres se délasser de ses travaux. Le prince Menzikoff l'y recevoit dans l'hôtel où la noblesse venoit le visiter. Deux quakers (1) se présentèrent et s'adressèrent à lui par un interprête. Ils lui offrirent l'Apologie de Barklay écrite en latin et quelques autres ouvrages. Le Czar leur demanda par le même interprête, si ces livres n'étoient pas faits par un jésuite. Il témoigna ensuite le désir d'être instruit sur deux points; le premier, pourquoi les quakers ne montroient pas leur respect pour les personnes d'un haut rang, en ôtant leur chapeau; le second, à quoi les quakers pouvoient être bons dans un royaume, puisqu'ils ne vouloient pas porter les armes et se battre. Cette conversation fit quelque bruit et inspira à G. Penn le désir de le voir. Mais comme on apprit que le Czar n'entendoit ni le latin ni aucune autre langue que l'alle mand et le russe, Penn prit avec lui des traductions allemandes de quelques ouvrages sur sa secte, et alla faire visite au Czar en compagnie de George Whitebread et de quelques autres amis. Le Czar reçut gracieusement les livres qui lui furent offerts; et la conversation s'établit en allemand que Penn parloit avec facilité. Elle parut être agréable au monarque; qui de retour à Deptford assista à l'assemblée des quakers et s'y com

(1) Gilbert Molleson et Thomas Story.

porta avec beaucoup de décence et de politesse. L'impression qu'il avoit reçue fut sans doute durable, puisqu'en 1712, seize ans après, étant à Frédérickstadt dans le Holstein, avec cinq mille hommes pour secourir les Danois contre la Suède, il s'informa, et ce fut sa première question, s'il y avoit des quakers dans cette ville; et sur la réponse affirmative qui lui fut faite, il déclara l'intention où il étoit d'assister à l'une de leurs assemblées. On en convoqua une en conséquence, où il se rendit accompagné du prince Menzicoff, du général Dolgoroucki, et de plusieurs autres grands seigneurs. Dès qu'il eut pris place, le service commença. Le quaker Philippe Defair se leva et prêcha. Les seigneurs moscovites observèrent un respectueux silence, quoiqu'ils ne pussent rien comprendre à ce discours. Mais le Czar le leur expliquoit sommairement; et quand il fut fini, il en fit l'éloge, en disant que celui qui vivroit conformément à une telle doctrine ne pourroit manquer d'être heureux.

Dans le cours de l'année suivante (1697) G. Penn contribua, par un écrit, à faire écarter un bill parlementaire, par lequel, sous le nom de blasphême, on déclaroit criminelles certaines opinions sur lesquelles les chrétiens de différentes sectes se partagent. Nous jugeons inutile de mentionner ici plusieurs autres écrits qu'il publia successivement, et qui étoient presque tous destinés à défendre sa secte et les principes qu'elle professoit.

En 1699, il partit de l'isle de Wight, et après une ennuyeuse traversée, de près de trois mois, il entra dans la Delaware le dernier jour du mois de novembre. C'étoit précisément le moment où la fièvre jaune venoit de cesser, après avoir exercé, d'abord dans les isles, puis à Philadelphie, de grands ravages. Thomas Story qui étoit allé en Pensylvanie l'année précédente dit, dans son journal, « que, pendant son séjour à Philadel

phie, il y eut, plusieurs semaines de suite, jusqu'à six, sept et huit personnes enlevées par cette maladie ; » et décrivant ensuite l'effet qu'elle avoit sur les ames de ceux qui en étoient témoins, il ajoute : « La main du Seigneur s'appesantit ; une grande crainte s'empara de tous les cœurs. Je ne vis plus de figure qui annonçât des pensées hautaines ou légères; je n'entendis plus de vaines plaisanteries, plus de réparties piquantes, destinées à provoquer le rire et la gaîté; on n'entendit plus parler de ces festins somptueux où triomphe l'intempérance. La pâleur étoit sur tous les visages, les cœurs étoient humbles; on étoit abattu; chacun s'attendoit à toute heure à être sommé de comparoître, à devenir la proie de la mort. » (1)

Penn fut reçu à bras ouverts à Philadelphie. Son pre mier soin fut d'y convoquer l'Assemblée. En attendant qu'elle pût se former, il visita diverses parties de sa province. Dès que l'Assemblée put ouvrir ses séances, il obtint d'elle deux bills, l'un contre la piraterie, l'autre contre la contrebande. Après quoi elle se sépara, parce qu'il n'y avoit pas d'affaires urgentes et que le froid étoit devenu si rigoureux qu'il rendoit les séances pénibles.

Deux objets l'occupèrent ensuite dans sa retraite de Pennsbury; l'un la civilisation des indigènes, l'autre le sort des esclaves africains. Dès l'année 1682, on avoit commencé à faire usage de ceux-ci dans la colonie et le nombre s'en étoit insensiblement accru. Ce commerce étoit envisagé comme fort avantageux aux Américains 2 qui manquoient de bras, et comme utile aux Africains eux-mêmes qu'elle délivroit de leurs superstitions et de leur idolâtrie. Quelques quakers cependant élevoient des doutes sur la légitimité d'un tel trafic; et dans leur

(1) L'auteur emploie ce fait à réfuter l'opinion de ceux qui croient la fièvre jaune originaire d'Afrique. (R) ..

assemblée annuelle de 1688, il fut arrêté, à la demande de quelques émigrés qui avoient adopté les principes de G. Penn, que l'acte d'acheter, de vendre et de garder des esclaves étoit incompatible avec les maximes de la religion chrétienne. En 1696, il fut pris un arrêté semblable dans l'assemblée annuelle de cette même société religieuse pour la même province. En conséquence de ces arrêtés, les quakers commencèrent à traiter leurs esclaves comme des enfans d'un commun père, et dès l'année 1698, quelques-uns d'eux furent admis à leurs assemblées religieuses.

G. Penn en fut fort satisfait. Dès la première introduction des esclaves d'Afrique dans sa province, il s'étoit occupé avec sollicitude de leurs intérêts temporels et éternels. Je craignois qu'avec le temps ces étrangers sans appui ne fussent en butte à l'oppression. Deux moyens s'offroient à lui pour prévenir ce malheur ; l'un de faire recevoir des règles relatives au traitement des esclaves, comme faisant partie de la discipline de sa société religieuse; l'autre, de donner à ces règles la forme d'un acte législatif, afin qu'il devînt obligatoire pour les hommes de toutes les sectes. L'un et l'autre lui parurent nécessaire. Mais il résolut de commencer par le premier, auquel l'acheminoient les arrêtés, pris par les quakers en 1688 et 1696, dont nous venons de faire mention. Dès leur première assemblée du mois, il mit ce sujet sur le tapis. Le résultat des réflexions qu'il y présenta fut de fixer un jour par mois pour une assemblée plus particulièrement consacrée aux nègres. Il fit passer aussi une résolution relative à quelques moyens de favoriser les relations entre les Amis et les Indigè nes, et se chargea de procurer les interprêtes néces saires pour cela.

Philadelphie qui, à son départ de cette ville, n'avoit que cent maisons en avoit alors sept cents. Il s'occupa des mesures de police convenables pour y main

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