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ANTIQUITÉS.

DE LA COMPOSITION ORIGINALE DES STATUES DE NIOBÉ ET DE SES ENFANS. Feuille gravée par C. R. COCKERELL. Par Mr. A. W. DE SCHLEGEL. Adressé par l'auteur aux Rédacteurs de ce Recueil.

DEPUIS long-temps le groupe de Niobé, ainsi que les statues de ses fils et de ses filles, sont l'objet d'une admiration méritée. Si toutes ces figures ne sont peutêtre pas exécutées par la même main, elles ont été au moins conçues par le même génie, elles sont visible ment destinées à former un ensemble. Mais placées au hasard, comme ces statues l'étoient et le sont encore elles sembloient se fuir et se repousser les unes les au tres par leurs mouvemens opposés; il falloit les contem pler une à une, et oublier pendant ce temps tout le reste; et lorsqu'on essayoit d'en rétablir en idée la composition originale, l'imagination se confondoit et se perdoit dans le vague.

Parmi les connoisseurs de l'antique, qui ont parlé avec plus ou moins de détail de ce chef-d'œuvre, Winckelmann, Fabroni, Mengs, Goëthe, ( dans ses Propylées) et l'abbé Zannoni, aucun n'a essayé de lever cette diffi culté, aucun n'y a même touché. Mr. Cockerell, jeune architecte Anglais, qui a fait un voyage fort intéressant en Grèce, vient, au moyen d'une feuille dessinée et gravée par lui-même, de communiquer au public une idée ingénieuse sur la composition des statues qui nous présentent l'histoire tragique de Niobé et de sa famille. Mr. Cockerell suppose que cet ouvrage fut composé Littér. Nouv. série. Vol. 3. No. 2. Octob, 1816,

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pour remplir le fronton d'un temple dont il donne l'é lévation et les mesures. Ecoutons d'abord son explication, gravée en italien sur la même feuille, presque avec trop de briéveté. Ensuite j'y ajouterai quelques ob servations, ayant souvent examiné dans la galerie de Florence les statues en question, par rapport à la conjecture de Mr. Cockerell, et son dessin à la main.

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<< Les célèbres statues qui représentent la fable de Niobé, n'ont jamais été expliquées de manière à don>>ner une idée satisfaisante de leur situation relative, » et du groupe qu'elles ont certainement formé autrefois.» Montfaucon (Vol. I. p. 107) donne une feuille gra»vée par Perrier, laquelle représente ces statues com » me on les voyoit alors placées à Rome dans la Villa » Médicis: elles étoient rangées en cercle autour de la » mère. Mais outre que cette disposition n'étoit qu'une simple conjecture, non appuyée par l'autorité des an» ciens, ni par aucun autre exemple, l'examen des statues » en détail et de leurs mouvemens en général, prouvera qu'elles étoient destinées pour un seul point de vue(1),

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(1) La statue N.o 1 étoit destinée seulement pour cette position, puisque vue de face, la jambe droite n'est "sible à cause du rocher qui lui sert de soutien; d'ailleurs la » poitrine est sans relief et mal exécutée. N.o 2. Du côté op"posé la jambe gauche est entièrement cachée derrière le

rocher, et le vêtement suspendu au bras n'y est qu'ébauché. » La statue N.o 3 est négligée du côté de derrière, lequel est » d'un mauvais dessin, sans relief ni exécution. Les N.os 4,5, » 6, 7 et 8, quoique complètement formés, ne sont pourtant » pas aussi finis du côté de derrière que de celui que j'ai dessiné. Quand un artiste exécute un ouvrage avec tant d'amour et une si grande beauté de dessin, il est difficile qu'il ne termine pas en quelque façon aussi les parties moins importantes. Dans les statues des temples de Minerve et du temple de Jupiter Panhellénius à Egine, on ne voit au

> tandis que l'arrangement décrit ci-dessus les mettoit » en vue de tous les côtés. »

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L'usage des Grecs d'orner les frontispices de leurs » temples de groupes de statues, est suffisamment prouvé » par les restes du temple de Minerve à Athènes, dit » le Parthénon; par la découverte de ceux du temple de Jupiter Panhellénius dans l'isle d'Egine; et par beaucoup » d'autres temples, sur lesquels on peut encore remar » quer les traces de semblables ornemens, par exemple, » celui de Thésée. Pausanias (V. c. 10 ) décrit avec exaca » titude le frontispice du temple de Jupiter à Olympie; » Diodore (XIII, §. 82) celui de Jupiter Olympien à Agrigente; on pourroit alléguer encore plusieurs au» tres exemples. »

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» Les dimensions relatives de ces statues, la diminu »- tion graduelle de leur hauteur, leurs mouvemens, qui s'adaptent singulièrement à une telle ordonnance par » une inclinaison générale vers le point central, la clarté » et l'harmonie de la composition qui en résulte : tout

cune différence d'un côté à l'autre par rapport à l'exécution; et si on ne les eût pas trouvées dans leur situation "originale, on auroit à peine pu croire qu'elles ayent jamais » appartenu à un tel groupe. N.° 9. De ce côté le contour dut

corps qui pose sur la terre est profondément travaillé pour le détacher; les cheveux et l'oreille du côté droit sont soi»gneusement finis, de l'autre ils sont seulement ébauchés. » La statue N.° 10 n'est pas terminée de derrière, et le trone

d'un arbre cache la jambe droite. Les N.os rf ét 12 sont » aussi moins finis de l'autre côté. N.o 13. Pour cette figure n le point de vue de face est évidemment le seul possible, puisqu'elle manque de la jambe droite. Il est clair que les » Nos 6, et 9 étoient destinés pour une place au - dessus du niveau de l'oeil, leurs parties étant plus ou moins finies » en raison de l'effet qu'elles devoient produire vues d'en bas. # (Note de Mr. Cocherell).

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» semble confirmer qu'elles étoient placées dans le fron tispice d'un temple. Le passage de Pline (1), quoiqu'il » soit conçu dans les expressions d'un écrivain qui igno>> roit les termes techniques, n'est en aucune manière » contraire à ce que je viens de dire: mais il n'est pas »> nécessaire de l'alléguer comme preuve, puisque ces » statues ont pu être placées à Rome tout autrement » que dans leur première situation, d'où elles furent

>> enlevées. >>

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Le groupe de Niobé, depuis qu'on l'a découvert » en 1583, a été considéré par les savans comme un sujet fort intéressant de discussion à cause de la par>> faite conservation, outre le mérite extraordinaire de l'ouvrage sous le rapport de l'art. Mais il est singu» lier qu'on aît préféré l'autorité d'Ovide à celle des » autres auteurs, tandis qu'aucune circonstance de sa description ne coïncide avec ses statues, à l'exception » des lutteurs, qui sont reconnus pour être entièrement étrangers à notre groupe, quoique trouvés en même » temps et dans le même endroit. Il faut se rappeler » aussi, que cet ouvrage fut exécuté plusieurs siècles » avant Ovide; et alors on ne sauroit douter que Scopas » et Praxitèle n'aient préféré à toute autre autorité celle » d'Homère (H. XXIV, 602 sq. ) qui ne donne à Niobé » que douze enfans. Dans la fouille, à l'exception des » deux lutteurs, on ne trouva que les statues de douze » enfans parfaitement conservées (2). On auroit certai»nement trouvé des fragmens de la treizième et quator

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(1) Hist. Nat. XXXVI, ch. 2. Par hæsitatio est, in templo Appollinis Sosiani Nioben cum liberis morientem Scopas, an Praxiteles fuerit.

(2) C'est trop dire. Quelques pièces ont eu besoin de restaurations considérables, et on a remis ensemble les morceaux brisés de plusieurs autres.

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»zième, si elles avoient jamais existé. En conséquence, il paroît presque certain que le nombre total des statues n'a pas dépassé quatorze, en y comprenant la mère » et le pédagogue.

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» Dans le dessin ci-joint, on a fait usage seulement » des quatorze statues trouvées ensemble dans la même » fouille. Leur disposition est dictée par leurs hauteurs, » ́exactement mesurées, et par la forme du frontispice; » elle est indiquée également par la relation des statues » entr'elles, quelquefois évidente. De cet arrangement indispensable résulte une très-belle composition, dans laquelle la fable de Niobé forme un tableau non in» terrompu. La combinaison de tant d'expressions di» verses d'un même sentiment produit un effet grand et extraordinaire, fait connoître toute l'histoire au premier coup-d'œil, et imprime dans l'ame du spectateur l'idée des divinités courroucées, qui sont supposées lancer d'en haut leurs flèches fatales. Les règles de l'élégance sont bien observées dans cette composition. Six figures de chaque côté sont disposées symétriquement, et présentent en même temps une » variété de mouvemens et d'expressions, qui produit » un contraste admirable. L'âge, le sexe, l'action, »nud et les draperies se font ressortir mutuellement. » Le tympan est richement orné, et son espace est éga» lement réparti entre les figures. Le vide produit par » la chute du fils près de la mère, est peut-être une » des beautés les plus frappantes de la composition.

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Les angles du fronton ont pu être remplis par des objets qui faisoient allusion à l'histoire. Les Grecs, » dans des cas semblables, y plaçoient souvent des di» vinités de fleuves; mais ces objets sont séparés de » l'action principale, et servent seulement à remplir cet » espace, et à enrichir l'effet général.»

L'idée de Mr. Cockerell est lumineuse; elle est conforme aux vrais principes de la sculpture, et aux no

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