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« vu les dernières douleurs de mon ami entourées et << adoucies par la plus tendre sensibilité; vos vertus se<«<ront à jamais liées dans mon souvenir à ma tendresse << pour l'homme que je viens de perdre... En vous ser<< vant, lui dit-elle plus loin, je croirai rendre hom<<mage à la fois à la mémoire à jamais chérie de M. de «Buffon; et à la vertu même, que vous me représentez << sous toutes ses formes. >>

Écrivant, vers la même époque, à madame Nadault, elle rend de nouveau témoignage du dévouement et du tendre attachement de mademoiselle Blesseau pour son maître.

Elle dit d'elle, avec une certaine exagération dans l'expression, mais avec tout l'élan de son bon et noble cœur :

<< Mademoiselle Blesseau a servi M. de Buffon mieux « qu'il n'aurait pu l'être s'il eût été sur un trône dont il << était digne; car la puissance a des bornes, et l'affection << n'en admet aucune. Je pouvais bien m'attacher à cette <<< aimable fille comme à une personne au-dessus de son << état, puisqu'elle m'a paru même au-dessus de l'huma«nité. Elle a tout surmonté, jusqu'à sa douleur, quand << M. de Buffon pouvait l'apercevoir; jamais je n'oublierai << l'image touchante qu'elle m'a présentée sans cesse, lorsque, dans le silence, assise jour et nuit à la même « place, les yeux fixés sur le même objet, elle n'avait de << mouvement que celui qu'il lui imprimait, de sensibilité

Necker (Corr. de Buffon, t. II, page 517). On y trouve un style facile, avec beaucoup de chaleur et d'imagination.

« que pour ses souffrances, de pensée que pour aller au<< devant de tout ce qui pouvait être utile, et prévenir ce << qui pouvait déplaire. Ce qu'elle a supporté, souffert et « adouci, ménagé, concilié, ne pourra jamais se rendre « par la parole. Elle m'a paru un phénomène moral et << sensible, comme si tous les phénomènes devaient être << connus de M. de Buffon ou lui appartenir '. »

Après les calomnies de Hérault de Séchelles, j'aime à recueillir ce témoignage sur celle qu'il a représentée comme occupant près de Buffon une position équivoque, et jouant dans sa maison un rôle intéressé.

De semblables paroles, dans la bouche de madame Necker, ont un grand poids.

Si mademoiselle Blesseau n'eût pas été réellement vertueuse et désintéressée, la vertu sévère de madame Necker aurait pris l'alarme; elle n'eût pas traité en égale, presque en amie, une femme d'une condition inférieure, dont l'âme aurait été indigne de la sienne.

1. Ces deux lettres ont été publiées dans les notes de la Correspondance de Buffon, tome II, pages 625 et 626.

J'ai voulu revoir, avant de mourir, les lieux vers lesquels se reporte sans cesse ma pensée; j'ai désiré parcourir une fois encore ces jardins célèbres, familiers à ma première jeunesse.

Le 15 juin 1842, je me suis rendu à Montbard avec ma famille, et j'ai fait demander l'autorisation de visiter le château. Il est habité par madame Betzy Daubenton, veuve et héritière du malheureux fils de mon bienfaiteur. Madame de Buffon vient de vendre à des spéculateurs de Paris, moyennant la somme de 150,000 francs, le reste des biens que son mari lui a légués. Elle conserve son château de Montbard, ses dépendances, et environ 15,000 francs de revenus, toutes dettes acquittées 1.

1. La comtesse de Buffon voulut laisser les débris de sa fortune aux arrière-petits-enfants de la sœur du naturaliste, derniers représentants de sa famille. Le 9 novembre 1850, elle fit un testament dans lequel on lit ce qui suit:

« J'institue pour mes légataires universels en toute propriété, « M. Henri et mademoiselle Élisabeth, dite Betzy, Nadault de « Buffon, enfants mineurs de M. Benjamin Nadault de Buffon,

La comtesse de Buffon a manifesté le désir de me voir; elle m'a fait un accueil gracieux autant que bienveillant, et s'est empressée de m'accorder la permission que je sollicitais.

Nous avons parcouru ce vaste château qu'un homme illustre a rempli de son nom. Les distributions sont demeurées les mêmes; les appartements sont tenus avec une remarquable propreté. Je me suis senti envahi par une émotion profonde en pénétrant dans l'aile autrefois habitée par le grand Buffon. Devant la porte de sa « ingénieur en chef des ponts et chaussées, demeurant à Paris. « Je désire, en leur donnant cette preuve d'affection, témoi«gner par là, et l'attachement que j'ai pour eux et leur père, « et la reconnaissance que je conserverai jusqu'à mon dernier « soupir de la tendresse et des bontés dont j'ai été comblée par « mon mari; voulant ainsi que les restes de la fortune qu'il « m'avait léguée retournent à ceux de sa famille qui portent « maintenant son nom.

« Je désire être enterrée à Montbard, dans le caveau de ma « chapelle.

« Je donne et lègue aux pauvres de Montbard une somme de << douze cents francs.

« Je donne et lègue, en souvenir d'amitié à M. Léon de Mont«beillard, tous les livres qui composent ma bibliothèque.

« Je donne et lègue à madame de la Fresnaye, née Isaure de « Montbeillard, ma cousine, mes dentelles et mes bijoux, que je «la prie d'accepter en souvenir d'amitié.

« Je donne et lègue à M. de Mongis ma montre sur laquelle « est le portrait en camée de M. de Buffon, mon beau-père. Je « lui fais ce don qu'il conservera comme un souvenir de fa« mille...

chambre je me suis découvert, et j'en ai franchi le seuil avec recueillement. Alors les souvenirs se pressèrent dans mon esprit; je fermai les yeux, et je crus voir l'hôte disparu de cette opulente demeure, paraître devant moi. Il se promenait, comme il en avait coutume, la tête haute, les bras réunis derrière le dos, et absorbé dans ses méditations profondes. Sur son front, éclairé par sa puissante intelligence, se peignaient tour à tour des sentiments contraires; on y lisait cette douce satisfaction de l'esprit qui a vaincu une difficulté depuis longtemps entrevue, et les souffrances de la pensée impuissante à traduire dans toute leur force ses inspirations audacieuses. Je revoyais les meubles d'autrefois à leur place accoutumée. La table de bois noir sur laquelle j'écrivais, était près de la croisée; entre les deux fenêtres, cette riche console portant un échantillon rare de marbre de portor; puis ce vaste lit à colonnes et à baldaquin, avec ses tentures en gros de Naples à fleurs éclatantes; ces fauteuils, ces glaces, ce bureau en marqueterie, coupé en forme de pupitre. Rien ne manquait! ma mémoire avait été fidèle, et mon imagination exaltée prêta, pour un instant, à mes souvenirs le charme de la réalité.

Je m'arrachai avec peine à ces émotions, douces autant que vives, et je sortis à regret de cette chambre, actuellement occupée par la comtesse de Buffon. A la suite d'un boudoir, une porte vitrée ouvre sur les premières terrasses des jardins; la grande orangerie, où je m'ar

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