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M. LUCAS

M. Lucas' était garde du Cabinet d'histoire naturelle, et occupait au Jardin du Roi un petit appartement qui faisait suite à celui du docteur Daubenton. C'était un fort bel homme, d'une taille élevée, d'une figure charmante et d'une tournure extrêmement distinguée. A ces qualités physiques il joignait des qualités morales non moins précieuses. Il avait un cœur excellent et une grande aménité de caractère; il était très-laborieux et très-instruit. M. Lucas avait une passion qui lui devint funeste. Il s'était plu à réunir une collection d'armes précieuses; rien ne lui coûtait pour l'enrichir, et son revenu tout entier passait en achats soit d'armes blanches, soit d'armes à feu. Il était d'une habileté rare dans leur maniement. D'un coup de pistolet il traversait un écu de six francs; avec un fusil

1. François Lucas, conservateur des galeries du Cabinet du Roi, huissier de l'Académie des sciences, naquit en 1745, et mourut dans un âge avancé.

double, il abattait une hirondelle à une grande distance, puis, se retournant, il en abattait une seconde. Le 24 août 1825, on le trouva mort d'un coup de feu1. En essayant, dit-on, une paire de pistolets de la fabrique de Versailles, le canon de l'un d'eux se serait embarrassé dans sa chevelure, qu'il portait habituellement fort longue, et le coup serait parti dans l'oreille. M. Lucas était alors âgé de quatre-vingts ans; il laissait un fils 2 et une fille. Sa femme lui survécut. C'était un intérieur heureux et une famille dans laquelle on trouvait l'exemple de toutes les vertus.

Tandis que M. Thouïn suppléait Buffon dans les affaires du Jardin du Roi, M. Lucas était chargé, à Paris, du soin de ses affaires domestiques. Il réglait les fournisseurs,

1. M. Humbert commet une erreur, et rapporte à François Lucas l'accident dont André fut la victime. François Lucas mourut de vieillesse, conservant jusqu'à sa dernière heure une inaltérable reconnaissance pour Buffon, et un dévouement sans bornes pour son malheureux fils.

2. Jean-André-Henri Lucas, né en 1778, mourut le 6 février 1825, victime de l'accident dont parle M. Humbert. S'il aimait les armes avec passion, il aimait aussi l'étude, et laissa divers ouvrages, aujourd'hui oubliés. La révolution le compta au nombre de ses plus zélés partisans. A dix-sept ans, il avait un grade dans la milice parisienne, et était adjudant dans la section de la Fidélité. Le 3 juîn 1795, se trouvant de garde au Temple, il signa, en cette qualité, le procès-verbal de la mort du dauphin, Louis XVII.

touchait les revenus, et était employé dans toutes les commissions délicates qui exigeaient une discrétion absolue et un dévouement éprouvé. C'était l'homme de confiance de Buffon.

Lorsque, dans les négociations compliquées auxquelles donnèrent si souvent lieu les travaux d'agrandissement et d'embellissement du Jardin du Roi, surgissait quelque difficulté imprévue, Buffon envoyait aussitôt M. Lucas à Versailles, avec des instructions pour les bureaux et des lettres pour les ministres.

Lorsqu'un fils tendrement aimé, et qui servait alors dans les gardes françaises, avait fait quelque folie, Buffon députait au jeune étourdi M. Lucas, porteur d'une lettre remplie de tendres reproches, de sages conseils; mais, en même temps, d'une lettre de crédit.

M. Lucas prit part aux travaux de Buffon, et mérite, à ce titre, de figurer au nombre de ses collaborateurs secondaires. Il travailla sous sa direction aux planches enluminées de l'Histoire naturelle, comme le montre une quittance donnée par lui; elle est ainsi conçue :

« J'ai reçu de M. le comte de Buffon la somme de deux << cents livres pour mon travail et mes soins aux planches « de l'Histoire naturelle des oiseaux, pendant les quatre << premiers mois de la présente année. Dont quittance à << Paris.

« LUCAS. >>

M. VERNIQUET

En 1747, M. Verniquet1 était géomètre-arpenteur à Châtillon-sur-Seine (Bourgogne). C'était un homme fort ordinaire. M. de Buffon, qui fit sa fortune, l'appelait familièrement le bonhomme Verniquet. Il vint, en 1774, se fixer à Paris, où il acheta, grâce à la protection de M. de Buffon, la charge de commissaire-voyer de la ville. Son principal commis leva, avec son autorisation, le plan de Paris sur une vaste échelle : les places publiques, les édifices, les hôtels privés y étaient indiqués avec une telle exactitude, que chacun pouvait reconnaître l'emplacement de sa maison. M. Verniquet se donna comme auteur de ce grand travail et en tira seul profit. Il l'avait cédé à la ville moyennant une somme de trente mille livres; mais la révolution empêcha que cette somme ne fût payée.

1. Edme Verniquet, né à Châtillon le 9 octobre 1727, mourut à Paris le 26 novembre 1804, à l'âge de soixante-dix-sept ans.

J'étais chargé, en 1782, concurremment avec M. Verniquet, de dresser, mois par mois, les états de toutes les dépenses faites au Jardin; elles comprenaient les gages et traitements des professeurs ou employés, les frais d'entretien, les sommes consacrées aux achats de terrains, constructions et embellissements. Les états, avec les pièces justificatives, étaient présentés à M. de Buffon, qui les vérifiait, les signait et les transmettait au ministre des finances, qui délivrait les fonds sur le crédit spécial affecté au Jardin du Roi1.

Voici, à ce propos, une anecdote qui montre jusqu'où allait l'influence du comte de Buffon, et combien sa faveur à la cour était solidement établie. Un jour que je m'étais présenté, par son ordre, à l'hôtel du contrôleur général, l'audience du ministre me fut pour la première fois refusée. Il s'agissait d'ordonnancer des états, dont il attendait avec impatience le remboursement. J'insistai près de M. Charpentier, intendant des finances, et mon introducteur habituel près de M. Joly de Fleury 2; M. Charpentier se rendit près du ministre, qui ne voulut pas m'entendre. Je revins au Jardin du Roi, où je rendis compte du peu de succès de ma démarche.

1. On peut voir la manière dont Buffon tenait sa comptabilité, à la note 1 de la page 469 du tome II de la Correspondance.

2. Joly de Fleury remplaça Necker, en 1781, au contrôle général des finances, et fut remplacé à son tour, en 1783, par d'Ormesson.

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