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tain nombre de familles dans un canton, l'on pourroit affranchir des villages entiers, y former peu-à-peu des communes, leur assigner quelques biens-fonds, quelques terres communales comme en Suisse, y établir des officiers communaux; et lorsqu'on auroit amené par degrés les choses jusqu'à pouvoir sans révolution sensible, achever l'opération en grand, leur rendre enfin le droit que leur donna la nature de participer à l'administration de leur pays en envoyant des députés aux diétines.

Tout cela fait, on armeroit tous ces paysans devenus hommes libres et citoyens, on les enrégimenteroit, on les exerceroit, et l'on finiroit par avoir une milice vraiment excellente, plus que suffisante pour la défense de l'état.

On pourroit suivre une méthode semblable pour l'anoblissement d'un certain nombre de bourgeois, et même, sans les anoblir, leur destiner certains postes brillants qu'ils rempliroient seuls à l'exclusion des nobles, et cela à l'imitation des Vénitiens si jaloux de leur noblesse, qui néanmoins, outre d'autres emplois subalternes, donnent toujours à un citadin la seconde place de l'état, savoir celle de grand-chancelier, sans qu'aucun patricien puisse jamais y prétendre. De cette manière, ouvrant à la bourgeoisie la porte de la noblesse et des honneurs, on l'attacheroit d'affection à la patrie et au maintien de la constitution. On pourroit encore, sans anoblir les individus, anoblir collectivement certaines villes, en préférant celles où fleuriroient davantage le commerce, l'industrie et les arts, et où par conséquent l'administration munici

pale seroit la meilleure. Ces villes anoblies pourroient, à l'instar des villes impériales, envoyer des nonces à la diéte; et leur exemple ne manqueroit pas d'exciter dans toutes les autres un vif desir d'obtenir le même honneur.

Les comités censoriaux chargés de ce département de bienfaisance, qui jamais, à la honte des rois et des peuples, n'a encore existé nulle part, seroient, quoique sans élection, composés de la manière la plus propre à remplir leurs fonctions avec zèle et intégrité, attendu que leurs membres, aspirant aux places sénatoriales où mènent leurs grades respectifs, porteroient une grande attention à mériter par l'approbation publique les suffrages de la diéte; et ce seroit une occupation suffisante pour tenir ces aspirants en haleine et sous les yeux du public dans les intervalles qui pourroient séparer leurs élections successives. Remarquez que cela se feroit cependant sans les tirer, pour ces intervalles, de l'état de simples citoyens gradués, puisque cette espèce de tribunal, si utile et si respectable, n'ayant jamais que du bien à faire, ne seroit revêtu d'aucune puissance coactive: ainsi je ne multiplie point ici les magistratures, mais je me sers, chemin faisant, du passage de l'une à l'autre pour tirer parti de ceux qui les doivent remplir.

Sur ce plan gradué dans son exécution par une marche successive, qu'on pourroit précipiter, ralentir, ou même arrêter, selon son bon ou mauvais succès, on n'avanceroit qu'à volonté, guidé par l'expérience; on allumeroit dans tous les états inférieurs un zéle ardent pour contribuer au bien public; on

parviendroit enfin à vivifier toutes les parties de la Pologne, et à les lier de manière à ne faire plus qu'un même corps, dont la vigueur et les forces. seroient au moins décuplées de ce qu'elles peuvent être aujourd'hui, et cela avec l'avantage inestimable d'avoir évité tout changement vif et brusque, et le danger des révolutions.

Vous avez une belle occasion de commencer cette opération d'une manière éclatante et noble, qui doit faire le plus grand effet. Il n'est pas possible que, dans les malheurs que vient d'essuyer la Pologne, les confédérés n'aient reçu des assistances et des marques d'attachement de quelques bourgeois, et même de quelques paysans. Imitez la magnanimité des Romains, si soigneux, après les grandes calamités de leur république, de combler des témoignages de leur gratitude les étrangers, les sujets, les esclaves, et même jusqu'aux animaux, qui durant leurs disgraces leur avoient rendu quelques services signalés. O le beau début, à mon gré, que de donner solennellement la noblesse à ces bourgeois et la franchise à ces paysans, et cela avec toute la pompe et tout l'appareil qui peuvent rendre cette cérémonie auguste, touchanté, et mémorable! Et ne vous en tenez pas à ce début. Ces hommes ainsi distingués doivent demeurer toujours les enfants de choix de la patrie. Il faut veiller sur eux, les protéger, les aider, les soutenir, fussent-ils même de mauvais sujets. Il faut à tout prix les faire prospérer toute leur vie, afin que, par cet exemple mis sous les yeux du public, la Pologne montre à l'Europe entière ce que doit attendre d'elle

dans ses succès quiconque osa l'assister dans sa dé

tresse.

Voilà quelque idée grossière et seulement par forme d'exemple de la manière dont on peut procéder, pour que chacun voie devant lui la route libre pour arriver à tout, que tout tende graduellement, en bien servant la patrie, aux rangs les plus honorables, et que la vertu puisse ouvrir toutes les portes que la fortune se plaît à fermer.

Mais tout n'est pas fait encore, et la partie de ce projet qui me reste à exposer est sans contredit la plus embarrassante et la plus difficile; elle offre à surmonter des obstacles contre lesquels la prudence et l'expérience des politiques les plus consommés ont toujours échoué. Cependant il me semble qu'en supposant mon projet adopté, avec le moyen très simple que j'ai à proposer, toutes les difficultés sont levées, tous les abus sont prévenus, et ce qui sembloit faire un nouvel obstacle se tourne en avantage dans l'exécution.

CHAPITRE XIV.

Election des rois.

Toutes ces difficultés se réduisent à celle de donner à l'état un chef dont le choix ne cause pas des troubles, et qui n'attente pas à la liberté. Ce qui augmente la même difficulté est que ce chef doit être doué des grandes qualités nécessaires à quiconque ose gouverner des hommes libres. L'hérédité de la couronne

prévient les troubles, mais elle amène la servitude; l'élection maintient la liberté, mais à chaque régne elle ébranle l'état. Cette alternative est fâcheuse; mais avant de parler des moyens de l'éviter, qu'on me permette un moment de réflexion sur la manière dont les Polonois disposent ordinairement de leur cou

ronne.

D'abord, je le demande, pourquoi faut-il qu'ils se donnent des rois étrangers? Par quel singulier aveuglement ont-ils pris ainsi le moyen le plus sûr d'asservir leur nation, d'abolir leurs usages, de se rendre le jouet des autres cours, et d'augmenter à plaisir l'orage des interrėgnes? Quelle injustice envers euxmêmes! quel affront fait à leur patrie! comme si, désespérant de trouver dans son sein un homme digne de les commander, ils étoient forcés de l'aller chercher au loin ! Comment n'ont-ils pas senti, comment n'ontils pas vu que c'étoit tout le contraire? Ouvrez les annales de votre nation, vous ne la verrez jamais illustre et triomphante que sous des rois polonois; vous la verrez presque toujours opprimée et avilie sous les étrangers. Que l'expérience vienne enfin à l'appui de la raison; voyez quels maux vous vous faites et quels biens vous vous ôtez.

Car, je le demande encore, comment la nation polonoise, ayant tant fait que de rendre sa couronne élective, n'a-t-elle point songé à tirer parti de cette loi pour jeter parmi les membres de l'administration une émulation de zéle et de gloire, qui seule eût plus fait pour le bien de la patrie que toutes les autres lois ensemble? Quel ressort puissant sur des ames grandes

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