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patriotique. Je ne vois aucun inconvénient que les sénateurs soient nommés par la diéte, et j'y vois de grands biens, trop clairs pour avoir besoin d'être détaillés. Cette nomination peut se faire tout d'un coup dans la diéte, ou premièrement dans les diétines, par la présentation d'un certain nombre de sujets pour chaque place vacante dans leurs palatinats respectifs. Entre ces élus la diéte feroit son choix, ou bien elle en éliroit un moindre nombre, parmi lesquels on pourroit laisser encore au roi le droit de choisir. Mais, pour aller tout d'un coup au plus simple, pourquoi chaque palatin ne seroit-il pas élu définitivement dans la diétine de sa province? quel inconvénient a-t-on vu naître de cette élection pour les palatins de Poloczk, de Witepsk, et pour le staroste de Samogitie? et quel mal y auroit-il que le privilège de ces trois provinces devînt un droit commun pour toutes? Ne perdons pas de vue l'importance dont il est pour la Pologne de tourner sa constitution vers la forme fédérative, pour écarter, autant qu'il est possible, les maux attachés à la grandeur ou plutôt à l'étendue de l'état.

En second lieu, si vous faites que les sénateurs ne soient plus à vie, vous affoiblirez considérablement l'intérêt de corps qui tend à l'usurpation. Mais cette opération a ses difficultés : premièrement, parcequ'il est dur à des hommes accoutumés à manier les affaires publiques de se voir réduits tout d'un coup à l'état privé sans avoir démérité; secondement, parceque les places de sénateurs sont unies à des titres de palatins et de castellans, et à l'autorité locale qui y est

attachée, et qu'il résulteroit du désordre et des mécontentements du passage perpétuel de ces titres et de cette autorité d'un individu à un autre. Enfin cette amovibilité ne peut pas s'étendre aux évêques, et ne doit peut-être pas s'étendre aux ministres, dont les places, exigeant des talents particuliers, ne sont pas toujours faciles à bien remplir. Si les évêques seuls étoient à vie, l'autorité du clergé, déjà trop grande, augmenteroit considérablement; et il est important que cette autorité soit balancée par des sénateurs qui soient à vie ainsi que les évêques, et qui ne craignent pas plus qu'eux d'être déplacés.

Voici ce que j'imaginerois pour remédier à ces divers inconvénients. Je voudrois que les places de sénateurs du premier rang continuassent d'être à vie, Cela feroit, en y comprenant, outre les évêques et les palatins, tous les castellans du premier rang, quatrevingt-neuf sénateurs inamovibles.

Quant aux castellans du second rang, je les voudrois tous à temps, soit pour deux ans, en faisant à chaque diéte une nouvelle élection, soit pour plus long-temps s'il étoit jugé à propos; mais toujours sortant de place à chaque terme, sauf à élire de nouveau ceux que la diéte voudroit continuer, ce que je permettrois un certain nombre de fois seulement, selon le projet qu'on trouvera ci-après.

L'obstacle des titres seroit foible, parceque ces titres, ne donnant presque d'autre fonction que de siéger au sénat, pourroient être supprimés sans inconvénient, et qu'au lieu du titre de castellans à bancs, ils pourroient porter simplement celui de sénateurs

députés. Comme, par la réforme, le sénat, revêtu de la puissance exécutive, seroit perpétuellement assemblé dans un certain nombre de ses membres, un nombre proportionné de sénateurs députés seroient de même tenus d'y assister toujours à tour de rôle. Mais il ne s'agit pas ici de ces sortes de détails.

Par ce changement à peine sensible, ces castellans ou sénateurs députés deviendroient réellement autant de représentants de la diéte, qui feroient contre-poids au corps du sénat, et renforceroient l'ordre équestre dans les assemblées de la nation; en sorte que les sénateurs à vie, quoique devenus plus puissants, tant par l'abolition du veto que par la diminution de la puissance royale et de celle des ministres fondue en partie dans leur corps, n'y pourroient pourtant faire dominer l'esprit de ce corps; et le sénat, ainsi miparti de membres à temps et de membres à vie, seroit aussi bien constitué qu'il est possible pour faire un pouvoir intermédiaire entre la chambre des nonces et le roi, ayant à-la-fois assez de consistance pour régler l'administration, et assez de dépendance pour être soumis aux lois. Cette opération me paroît bonne, parcequ'elle est simple, et cependant d'un grand effet.

On propose, pour modérer les abus du veto, de ne plus compter les voix par tête de nonce, mais de les compter par palatinats. On ne sauroit trop réfléchir sur ce changement avant que de l'adopter, quoiqu'il ait ses avantages et qu'il soit favorable à la forme fédérative. Les voix prises par masse et collectivement vont toujours moins directement à l'intérêt commun que prises ségrégativement par individu. Il arrivera

très souvent que parmi les nonces d'un palatinat un 'd'entre eux, dans leurs délibérations particulières, prendra l'ascendant sur les autres, et déterminera pour son avis la pluralité, qu'il n'auroit pas si chaque voix demeuroit indépendante. Ainsi les corrupteurs auront moins à faire et sauront mieux à qui s'adresser. De plus, il vaut mieux que chaque nonce ait à répondre pour lui seul à sa diétine, afin que nul ne s'excuse sur les autres, que l'innocent et le coupable ne soient pas confondus, et que la justice distributive soit mieux observée. Il se présente bien des raisons contre cette forme, qui relacheroit beaucoup le lien commun, et pourroit, à chaque diéte, exposer l'état à se diviser. En rendant les nonces plus dépendants 'de leurs instructions et de leurs constituants, on gagne à peu près le même avantage sans aucun inconvénient. Ceci suppose, il est vrai, que les suffrages ne se donnent point par scrutin, mais à haute voix, afin que la conduite et l'opinion de chaque nonce à la diéte soient connues, et qu'il en réponde en son propre et privé nom. Mais cette matière des suffrages étant une de celles que j'ai discutées avec le plus de soin dans le Contrat social*, il est superflu de me répéter ici.

Quant aux élections, on trouvera peut-être d'abord quelque embarras à nommer à-la-fois dans chaque diete tant de sénateurs députés, et en général aux élections d'un grand nombre sur un plus grand nombre qui reviendront quelquefois dans le projet que j'ai à proposer; mais, en recourant pour cet article au scrutin, l'on ôteroit aisément cet embarras au moyen * Livre Iv, chap. 2 et 4.

de cartons imprimés et numérotés qu'on distribueroit aux électeurs la veille de l'élection, et qui contiendroient les noms de tous les candidats entre lesquels cette élection doit être faite. Le lendemain les électeurs viendroient à la file rapporter dans une corbeille tous leurs cartons, après avoir marqué, chacun dans le sien, ceux qu'il élit ou ceux qu'il exclut, selon l'avis qui seroit en tête des cartons. Le déchiffrement de ces mêmes cartons se feroit tout de suite, en présence de l'assemblée, par le secrétaire de la diéte, assisté de deux autres secrétaires ad actum, nommés sur-le-champ par le maréchal dans le nombre des nonces présents. Par cette méthode, l'opération deviendroit si courte et si simple, que, sans dispute et sans bruit, tout le sénat se rempliroit aisément dans une séance. Il est vrai qu'il faudroit encore une régle pour déterminer la liste des candidats; mais cet article aura sa place et ne sera pas oublié.

Reste à parler du roi, qui préside à la diéte, et qui doit être, par sa place, le suprême administrateur des lois.

CHAPITRE VIII.

Du roi.

C'est un grand mal que le chef d'une nation soit l'ennemi né de la liberté, dont il devroit être le défenseur. Ce mal, à mon avis, n'est pas tellement inhérent à cette place qu'on ne pùt l'en détacher, ou du moins l'amoindrir considérablement. Il n'y a point

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