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UNIVERSELLE

DES

SCIENCES, BELLES-LETTRES, ET ARTS,

FAISANT SUITE

A LA BIBLIOTHEQUE BRITANNIQUE.

Rédigée à Genève

PAR LES AUTEURS DE CE DERNIER RECUEIL

TOME NEUVIÈME.

Troisième année.

LITTÉRATURE.

A GENÈVE.

de l'Imprim. de la BIBLIOTHEQUE UNIVERSELLE.

1818.

HISTOIRE.

DES NOMS D'HOMMES, DE PEUPLES ET DE LIEUX, considérés principalement dans leurs rapports avec la civilisation. Par Eusèbe SALVERTE.

(Suite. Voyez page 319 du vol. précéd.)

XXV. Les mêmes causes qui partout ont créé les

ES

surnoms, les avoient de bonne heure introduits à Rome. Elles sont si nombreuses que l'on peut remarquer, comme une singularité, que plusieurs romains n'aient point eu de surnoms. C'est un fait dont les Fastes consulaires of frent plusieurs exemples, avant et depuis l'admission des plébéïens à la magistrature suprême. On ne connoît, ainsi que l'observe Plutarque (1) ni le surnom de Marius, ni celui de Sertorius; et L. Mummius n'en reçut un (2) qu'après la conquête de Corinthe.

On s'étonnera moins de voir le même homme porter plusieurs surnoms, à-la-fois, ou successivement. Le trop fameux Octave, avant d'adopter le surnom de Cépias, reçut celui de Thurinus. Il lui fut donné en mémoire du service signalé que, dans le territoire de Thurium, son père Octavius avoit rendu à l'état, par la défaite et la destruction de bandes armées, restes redoutables des soldats de Spartacus et de Catilina (3).

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On ne devine pas ce qu'un tel surnom pouvoit avoir de chagrinant pour Octave; et toutefois Antoine le lui adressoit continuellement avec une affectation dont Octave eut la foiblesse de s'apercevoir. Seroit-ce parce qu'il rappeloit à Octave le souvenir de son enfance souvenir beaucoup trop récent au gré d'un ambitieux qui craignoit que son extrême jeunesse ne diminuât son importance et sa considération? On peut le penser, puisque Octave fit défendre, par un Sénatus - consulte exprès, de lui appliquer le mot de puer (enfant (1)) que l'usage employoit pour désigner des hommes plus âgés que lui.

Mais ce droit que s'arrogeoit Octave d'écarter, par l'autorité, une désignation qui lui déplaisoit, les Romains ne l'avoient jamais eu. En écrivant à Lentulus, Cicéron, comme le remarque l'abbé Prévot, ne lui donne jamais le surnom de Spinther. Dérivé d'une ressemblance frappante avec le comédien Spinther (2), ce surnom devoit en effet plaire médiocrement à Lentulus. Comment donc a-t-il passé dans les Fastes, et signale-t-il l'année mémorable où Lentulus, alors consul, fit cesser l'exil de Cicéron? Comment, en général, des surnoms désagréables, soit par leur signification propre, soit par les souvenirs qu'ils rappeloient, étoient-ils ainsi consacrés dans les actes publics?

Pour expliquer ce fait, en apparence si étranger à nos mœurs, examinons ce qui se passe communément dans les élections populaires, ce que nous mêmes avons pu observer. Plus les votans sont nombreux, plus on en

(1) Servius rapporte cette anecdote singulière dans son commentaire sur Virgile. Bucolic. I. vers. 43. «Híc illum vidi juveetc. >> Horace a également soin d'éviter, en parlant d'Octave, la désignation proscrite: « tempore quo juvenis parthis horrendus, etc.» (Satyr. II. V. vers. 62. )

nem,

(2) Valer. Maxim. IX. 15.

voit qui, pour distinguer entre quelques personnes du même nom, le candidat qu'ils favorisent, s'attachent à une circonstance souvent insignifiante, quelquefois ridicule, et en forment une désignation, un véritable surnom que le hasard peut ensuite rendre durable. Les précautions prises d'avance pour que les dénominations propres aux divers candidats soient bien connues, et que leur application ne laisse aucun doute sur l'objet de chaque vote, ne préviennent pas toujours ce bisarre procédé. Il devoit se renouveler fréquemment à Rome où l'usage des surnoms étoit général, et servoit d'expression à l'opinion publique; où d'ailleurs, le droit de voter descendoit plus bas que chez les modernes, et s'accompagnoit plus facilement d'habitudes peu réfléchies. Que faire dans ce cas? Après avoir si long-temps et au prix de tant de soins, capté des suffrages, pouvoit on y renoncer parce qu'ils consacroient un surnom déplaisant? Non il falloit donc aussi supporter que ce surnom passât dans la proclamation du relevé des votes, puis dans les actes publics qui en devenoient le résultat et l'usage rendoit moins pénible ce sacrifice. de la vanité à l'ambition.

De tous les surnoms imposés dans l'expression des suffrages, les plus communs, l'expérience nous l'apprend, sont ceux qui rappellent le lieu de la naissance ou le lieu du séjour habituel. On dut souvent à Rome les adopter, non-seulement pour en éviter de plus défavorables, mais aussi parce qu'ils offroient un avantage que l'ambitieux ne devoit point négliger. La plupart des peuplades d'Italie ayant successivement obtenu le droit de suffrage, chacune se faisoit honneur de voter en faveur des candidats qui lui appartenoient par la naissance, ou qu'un séjour prolongé et l'exercice de fonctions publiques avoient, en quelque sorte, naturalisés dans son sein. Le surnom qui rappelloit un titre de ce genre n'étoit donc jamais indifférent. Aussi pencherois-je à croire que

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