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çais; et celui-ci avait facilement trouvé dans son cœur toute la tendresse, tout le respect, toute la confiance de l'amour filial.

Dès le début de son commandement, il signale sa prudence en renonçant, faute de moyens, à l'attaque du Canada; et le congrès, dont il a ménagé les ressources, lui en témoigne sa satisfaction. Le même sénat lui en renouvelle l'expression pour avoir défendu, avec une poignée d'hommes, une vaste frontière, et pour avoir combattu, dans un grand conseil de nations sauvages, l'influence, jusqu'alors si puissante, des Anglais, et que son éloquence, appuyée de promesses et de menaces, parvint à neutraliser. (Voyez les Pièces justificatives de la première série.)

Ce fut dans le même temps (fin de 1778) qu'il reçut, dans son commandement, le serment prescrit de renonciation au roi de la Grande-Bretagne : formalité que le fait avait déjà déclarée sans doute, mais qu'il était courageux de remplir, de remplir, tant que le succès ne l'avait point encore justifiée.

Appelé par Washington à l'ouverture de la campagne (1778), La Fayette dégage, par ses manœuvres et sans perte, un corps de deux mille hommes avec leurs canons, que l'armée anglaise, commandée par les généraux Howe et Clinton, avait entourés à Barenkill. A la bataille de Montmouth, gagnée par Washington, il commande d'abord une avant-garde, et ensuite la seconde ligne de l'armée. De là, il conduit un détachement pour seconder le

comte d'Estaing, d'après le traité d'alliance que le vœu national, auquel, remarque un biographe, le départ de La Fayette n'avait pas peu contribué, détermina le conseil de France à conclure.

On se dispose à l'attaque de Rhode-Island, où il commande l'aile gauche de l'armée de Sullivan. Ce fut dans cette occurrence, qu'à l'occasion de la retraite opérée sur Boston par l'escadre française, il eut à défendre l'honneur de ses compatriotes, en apparence vivement compromis. Là, se déployèrent, dans toute leur aménité, ce caractère conciliateur et ces formes aimables auxquels il est difficile, pour la passion même, de ne pas faire des concessions. La mésintelligence s'était glissée entre les deux nations, et, bien que sourde encore,

encore, elle menaçait d'éclater : il en prévint l'explosion, et, revenu rapidement de Boston pour l'évacuation de l'île, il acheva avec bonheur et célérité le rembarquement de l'arrière-garde. Toute sa conduite, dans cette circonstance délicate, lui valut les remercîmens du congrès. Le lecteur remarquera qu'il mérite ceux de tous les hommes faits pour apprécier la prévoyance et la modération. Avec moins de sang-froid et de douce fermeté, que devenait l'alliance entre la France et l'Amérique? Cette dernière, dont la victoire n'avait pas encore fait une puis-` sance, voyait, plus que jamais, compliquer la question de son indépendance; et telle est la chaleur des réactions dans les affections des Français, qu'il n'est pas sans vraisemblance que d'alliés nous fus

sions devenus ennemis. Ce fut un jeune homme de vingt ans qui sauva l'Amérique de ce malheur et la France de cet affront.

Ce jeune homme cependant savait, au besoin, soutenir par une fermeté hostile sa douceur conciliatrice. Des commissaires anglais ayant employé, en parlant de la France, quelques expressions injurieuses, La Fayette envoya un cartel à leur président lord Carlisle, qui ne l'accepta point. Et nous remarquerons ici que, loin d'abjurer ses principes philosophiques, La Fayette témoigna qu'il les révérait; car il n'était point question de venger une de ces querelles privées, dont l'orgueil a fait un honorable préjugé, mais de punir l'insulte faite à une nation, ce qui est toujours un tort, un ridicule, et même un délit. (*)

Prêt à revenir en France, La Fayette reçoit du congrès les témoignages de la satisfaction nationale.

(*) « Cette démarche, a dit un publiciste du temps, qui, dans toute autre occasion, aurait pu passer pour une bravade de jeune homme, et être taxée de légèreté, n'était pas inutile. Les Américains ne connaissaient pas encore les Français. Ils avaient été accoutumés, par des préjugés d'éducation, à les regarder comme des hommes inférieurs aux Anglais en courage ; et il était bon de leur faire voir qu'un Français n'était nullement effrayé de se mesurer avec un habitant de la Grande-Bretagne. D'ailleurs, cela diminuait, en quelque sorte, l'importance des commissaires dans l'esprit de la multitude, et lui donnait une haute idée du courage et de l'attachement de leurs nouveaux alliés. »

Les ambassadeurs ont ordre de se concerter avec lui. Les mains du vénérable Franklin, ces mêmes mains qui avaient béni son départ, accueillent son retour par l'offre d'une épée. Le gouvernement pour lequel il venait de verser son sang, et dont ses exploits avaient assis les plus solides fondemens, n'avait pas cru devoir prodiguer, dans cette épée, la richesse des métaux, ni la magnificence des ornemens : pour la rendre sans prix, il y avait fait graver les exploits du héros. Il y était représenté blessant le léopard britannique, et recevant un laurier de l'Amérique délivrée. C'est ainsi que sur l'armure d'Achille, un ciseau divin, en gravant ses actions passées, avait prophétisé ses futurs exploits.

Ceux du jeune La Fayette ne sont que les gages des actions qu'il médite. Couronné par la faveur universelle, accueilli même à la cour, et, ce qu'il trouve plus glorieux, applaudi par Voltaire, il se hâte d'exploiter, au profit de sa seconde patrie, tant de bonnes fortunes. De concert avec le célèbre Paul-Jones, il arrange une expédition pour soumettre à des contributions patriotiques toutes les villes maritimes anglaises. Le projet de cette expédition disparaît devant celui d'une descente en Angleterre; mais du plan à l'exécution, il y a souvent un espace incommensurable; et celui qu'avait à franchir La Fayette semblait s'aggrandir chaque jour. Employé à l'état-major du maréchal de Vaux, il ne cesse de solliciter des secours directs; et quoiqu'il lui fût recommandé de ne pas demander des

troupes pour l'intérieur des États-Unis, il ose outrepasser des instructions qu'on lui reprocherait bientôt, selon lui, de n'avoir pas interprétées. Enfin, après de longues conférences avec les ministres, on envoie à Rhode-Island une escadre, et l'on confie un corps à Rochambeau, sous les ordres de Washington. Franklin de son côté et La Fayette avaient obtenu un prêt de plusieurs millions; et c'est dans ces dispositions que le dernier s'embarque pour Boston sur une frégate française.

Pendant la campagne de 1780, il commande l'infanterie légère et les dragons formant l'avantgarde de l'armée américaine. Dans l'entrevue que Washington et lui ont avec les généraux français, l'un et l'autre pensent être victimes de la trahison d'Arnold. L'hiver suivant, il marche sur Portsmouth en Virginie, afin de concerter avec les Français une attaque que l'issue du combat naval de M. Destouches fit échouer. A son retour, La Fayette reçoit un courrier de Washington, qui lui annonce que les ennemis vont porter leurs forces en Virginie, et qui lui prescrit de défendre jusqu'à la dernière extrémité cet État, au sort duquel était attaché celui de toute la partie méridionale des États-Unis. Que faire dans une situation si critique? Le faible corps qu'il commande manque de tout : il emprunte en son nom et grève d'hypothèques toutes ses propriétés d'Europe; les dames consacrent les travaux et les produits de leur aiguille aux troupes qui consentent à se passer de

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