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l'autorité qu'il tenait de son génie et de ses conquêtes. Seulement il se dédommageait de cette croyance d'apparat dans l'intérieur de ses petits soupers. Alors, entouré de Maupertuis, Voltaire, La Mettrie et autres esprits de cette trempe, il parlait clairement, et permettait qu'on pensât tout haut. Maupertuis n'usait du privilége qu'avec réserve; Voltaire le justifiait par les grâces de son talent; La Mettrie ne savait qu'abuser. Un soir que l'Aï pétillant conseillait les réformes les plus hardies, et que ces réformes s'étendaient jusqu'au trône, Frédéric qui, durant cette expédition révolutionnaire, s'était enveloppé d'un silence soucieux, le rompt brusquement, et frappant sur la table un coup de manche de couteau Messieurs, messieurs, crie-t-il d'une voix de tonnerre, voici le roi! Les philosophes se turent, et l'on cessa de déraisonner (*). Revenons.

:

Au mot magique d'États-Généraux, toute vieille terre féodale de France, toute terre fraîchement libre, toute terre aspirant à le devenir, avait tressailli. Sans trop d'hyperboles, on peut dire que si la flamme civique courait par tous les sillons, son feu, concentré en Dauphiné et en Bretagne, y faisait éruption à la manière des volcans. Comme

(*) Louis xv, mécontent d'avoir recueilli par hasard, dans la conversation de deux courtisans, quelques propos désobligeans pour lui, montre un certain embarras chagrin à l'un d'eux, qui devine avoir été pénétré, et qui s'en inquiète : Je vous promets, lui dit le roi, peut-être avec plus d'aménité que de franchise, je vous promets que le roi n'en saura rien.

alors on n'éprouvait qu'un unique sentiment, on eût dit qu'il n'y avait qu'un seul parti. La noblesse parlait d'égalité, le clergé de sacrifices et de tolérance, le tiers pouvait impunément redemander ses antiques libertés. Mais les agens de la cour, au lieu de chercher à diriger ce mouvement, employaient la violence pour le comprimer. Stupide manœuvre, employée depuis trente ans, et toujours avec le double effet de diminuer la force de ceux qui l'emploient, d'augmenter l'opiniâtreté de leurs adversaires. Et admirez la bizarrerie de cette politique d'alors, laquelle voulait et n'osait point, permettait et défendait tout à la fois, offrait d'une main et retirait de l'autre, disait et faisait en même temps le contre et le pour, et prétendait cependant que, dans ce désordre mental, la raison publique trouvât son contentement et devinât sa direction! Comment croire que, tandis que le maréchal de Vaux à Grenoble, et le comte de Thiars à Rennes, se voyaient contraints, par les instructions ministérielles, d'exercer une tyrannie parcellaire de satrape, comment supposer que le ministère eût choisi ce moment pour promulguer, avec l'édit de convocation des États-Généraux, une instruction pour provoquer plus encore que pour éclairer l'opinion sur leur prochaine tenue; une invitation faite aux peuples de manifester leur vou sur la proportion à établir dans la composition des trois ordres; une injonction adressée aux municipalités, aux assemblées provinciales, aux juridictions, pour qu'elles eussent à

transmettre au garde des sceaux le fruit de leurs recherches et le résultat de leurs calculs; enfin une exhortation, par laquelle tous les savans, toutes les personnes instruites du royaume étaient sollicités d'envoyer leurs renseignemens et mémoires sur ce qui devait étre observé pour rendre l'assemblée des Etats-Généraux AUSSI NATIONALE qu'elle devait l'être?

Un écrivain, dont nous ne partageons pas souvent les opinions, mais auquel on ne peut refuser une perspicacité peu commune, remarque à ce sujet, qu'il eût été difficile d'imaginer une espèce de mal dont une pareille mesure ne dût pas devenir le principe. On s'était méfié de la vague promesse des États; on se prévalut de l'invitation positive. On résolut de forcer non seulement une convocation immédiate, mais un nouveau mode des ÉtatsGénéraux. Chacun se crut appelé à rendre nationale à sa manière l'assemblée de ces États; à régler, comme il l'entendrait, la proportion et la composition des ordres. L'enthousiasme des gens de bien concourut avec la frénésie des séditieux. La fausse érudition devint aussi funeste que la présomptueuse ignorance. Quand il eût fallu calmer et contenir, toutes les passions furent irritées, et un champ sans bornes s'ouvrit pour une liberté sans frein.

En transportant dans ces Mémoires quelques uns des traits sous lesquels le même publiciste représente les États de Bretagne, et y fait figurer le marquis de La Fayette, nous rentrons plus spécialement dans notre objet. « La commission intermé

diaire des États de Bretagne, dit-il, avait déjà envoyé au roi, par ses députés, un mémoire hardi, terminé par une longue nomenclature de tous les gentilshommes bretons qui étaient venus à l'envi signer cette protestation. Le roi avait rendu luimême le mémoire aux députés, en leur disant : (( Qu'il n'avait pas voulu lire cette liste de noms, <<< pour n'avoir pas à punir ceux qui les portaient, << et en promettant cependant le maintien des pri« viléges de la province pour prix de l'obéissance

qu'il exigeait. » Ce qui, en accordant précisément ce qu'on demandait, semblait, au contraire, moins punir les nobles de leur hardiesse, que les récompenser de leur ténacité. Une nouvelle députation, reprend notre auteur, était parvenue à Versailles avec un nouveau mémoire plus fort que celui qui avait été rejeté. Elle sollicitait en vain d'être admise devant le roi. Elle observait inutilement qu'en apportant au prince des vœux et des instructions pour les États-Généraux, elle ne faisait qu'obéir à l'arrêt du conseil qui venait d'être publié. Ennuyés de ces délais et aigris par ces dédains, les députés allèrent de porte en porte dans toutes les maisons de Versailles et de Paris qui tenaient à la Bretagne par quelque lien, si faible qu'il fût. Là, ils faisaient des prosélytes et recueillaient des signatures. Le comte de Boisgelin, qui était alors président de la noblesse, crut leur devoir son appui, quoique le duc de Rohan, qui l'avait été avant lui, leur refusât le sien. Le marquis de La Fayette qui possédait une

terre en Bretagne, eût été faché de laisser passer cette occasion de soulever une province. Il voyait déjà la Pensylvanie dans la Bretagne, et son propre rôle dans celui de Washington. Non seulement il signa le mémoire, mais il le perfectionna. Il eut chez lui des comités bretons...» - Je m'arrête pour déclarer que si je diffère de l'avis de l'historien, en ce qui concerne les États, j'en diffère bien davantage en ce qui regarde La Fayette. De quel côté, je vous prie, étaient les torts, ou du gouvernement qui invitait à demander et qui punissait pour avoir demandé, ou de la noblesse bretonne qui s'indignait qu'on la rendît à ce point le jouet d'une versatilité stupide ou perverse? On ne voit pas que, pour prendre le parti de la raison contre le pouvoir passionné, M. de La Fayette ait saisi l'occasion de soulever une province. Qui donc la soulevait, si ce n'étaient ces imprévoyans ministres, dont la main vacillante déchaînait, parmi les passions généreuses, toutes les passions cupides, et, après les avoir lancées sur des proies convoitées depuis long-temps, n'avait ni la force de les retenir, ni l'adresse de les diriger? Pour réunir en un faisceau commun des volontés, des opinions, des intérêts communs, où donc voit-on l'intention de métamorphoser la Bretagne en Pensylvanie, c'est-à-dire de changer une administration provinciale en régime républicain, en détachant préalablement de la couronne un pays renommé pour son opiniâtre fidélité? Cette manie des allusions et des rapprochemens peut faire hon

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