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la chose qu'il exprime était nouvelle, fut alors prononcé pour la première fois) de la convocation de la nation représentée par ses mandataires : « Quoi! s'écria le comte d'Artois, vous demandez les ÉtatsGénéraux? Oui, répondit-il, et même mieux que cela. » Or quel était ce mieux? c'est ce que va nous apprendre une anecdote des mémoires du temps.

L'archevêque de Toulouse (Brienne) voulant envahir le premier ministère, employait tous les genres d'artifice pour parvenir à son but. Le marquis de La Fayette qui ne perdait jamais de vue le sien, et qui, selon un chroniqueur peu favorable, se croyait appelé à l'apostolat universel de la liberté; La Fayette qui parlait alors de la rétablir en Hollande et de la fonder en France, qui entretenait des correspondances dans le premier de ces deux pays, et tenait des comités dans le second; La Fayette avait imaginé de donner à l'assemblée des Notables une grande et singulière direction. Fût-il même impossible d'y déterminer l'assemblée entière, composée en majorité, comme nous l'avons dit, d'élémens oligarchiques, il voulait qu'au moins une portion importante allât droit au roi et lui dit : « Vous nous demandez un vote d'impôts: nous n'avons réellement aucun pouvoir pour le donner; nous ne sommes rien pour la nation qui ne nous a pas délégués; car c'est par le gouvernement lui-même, et à la dévotion de ceux qui le mènent que nous avons été choisis. Cepen-* dant nous oserons prendre sur nous de faire face

aux besoins, si, en servant le roi, nous servons aussi le peuple français. Que votre majesté nous accorde une Grande Charte que les libertés publiques et privées y soient reconnues; que des ÉtatsGénéraux périodiques les garantissent. Alors nous voterons l'impôt nécessaire jusqu'à la prochaine tenue de l'Assemblée nationale, dont l'époque sera déterminée par une prompte et mûre délibération. » La Fayette, continue le même annaliste, déjà sûr de plusieurs magistrats et de plusieurs membres de la noblesse, s'était adressé à l'archevêque de Toulouse pour avoir quelques ecclésiastiques. Le rusé prélat avait caressé la chimère du major-général américain: il lui avait promis des partisans dans le clergé, et voulait seulement qu'il lui laissât un peu de temps pour les attirer. En attendant, il l'encourageait à préluder aux discussions des États futurs, en dénonçant, au milieu des Notables, l'administration actuelle des finances. La dénonciation faite (nous transcrivons ici textuellement un narré que nous sommes loin de garantir), le marquis vint sommer l'archevêque de l'exécution de sa promesse : «< Tout va bien, répondit Brienne; revenez me voir dans deux jours. » Le surlendemain tout allait encore mieux, car l'archevêque était ministre. Il avait tiré parti de l'enthousiasme et des ouvertures de La Fayette, dans les deux sens contraires, avec une égale utilité pour lui-même. Dans l'assemblée des Notables il l'avait excité à une dénonciation solennelle de l'administrateur qu'il fallait écarter;

et dans le secret de ses communications avec le roi, il avait dit : «< Voilà qu'il s'élève une faction d'insurgens; les dangers du moment exigent un premier

ministre. >>

((

L'histoire a depuis long-temps démasqué les maladroites fourberies de Brienne, et nous ne prétendons rien apprendre de nouveau à cet égard; nous ne voulons faire remarquer ici que la candeur habituelle de La Fayette. Trop noble pour être fin,

daigne même pas soupçonner que le despotisme harcelé lui donne le change : que lui importe en effet le nom de ceux qui l'exercent? ce n'est pas eux qu'il hait, c'est lui; et pour le renverser, ce n'est ni sur tel ou tel doivent tomber les coups:

que

c'est sur les institutions mêmes. Mais un établissement n'est détruit que quand il est remplacé. A la charpente vermoulue du gothique édifice social, il faut faire succéder un monument régulier, qui ait pour base les droits imprescriptibles que la nature de l'homme lui garantit par l'association politique. Il faut que, prenant ces droits pour point de départ, le législateur en déduise l'organisation de la famille sociale organisation dans laquelle les pouvoirs publics, puisés dans les droits communs, soient institués, séparés, balancés pour conserver ces derniers; car c'est d'eux exclusivement que sortent les intérêts sociaux, c'est-à-dire la propriété sous toutes ses formes, et toutes les libertés privées compatibles avec la liberté et l'indépendance publiques. Ce résumé d'une réforme que la philoso

phie avait préparée, que les abus toujours croissans rendaient indispensable, et dont la lutte entre les parlemens et la cour précipitait l'époque, La Fayette ne le rêvait point comme une vaine théorie; la révolution du Nouveau-Monde venait de lui en montrer la facile et énergique application : pourquoi eût-elle été plus épineuse en France où une certaine raison pratique, bannissant enfin les frivolités accidentelles, semblait nous avoir mûris? Or, quel pouvait être l'instrument de cette régénération? Ce que demandait La Fayette, ce que sollicitèrent bientôt les parlemens, ce que le ministère accorda (*), les États-Généraux, transformés dès leur réunion, par l'inepte résistance des deux premiers ordres, en Assemblée nationale.

Ne quittons pas cette matière sans l'appuyer de deux anecdotes qui l'éclaircissent. Dans un embarras financier arrivé sous Louis XIII, un courtisan, ou, si vous l'aimez mieux, un novateur, témoin indigné des prétendus États de 1614, s'avise d'en proposer de véritables, de légitimes, et, comme s'il avait prévu l'invitation adressée par le conseil, le 5 juillet 1788, il s'avise aussi de discourir sur leur proportion et leur composition. Malheureusement pour sa faconde patriotique, les temps n'étaient point arrivés. Le cardinal de Richelieu régnait; et son bras de fer, digue également puissante pour soutenir l'édifice monarchique qui déjà s'écroulait,

(*) Arrêt du conseil, du 5 juillet 1788.

et pour refrêner l'irruption républicaine qui menaçait déjà, repoussait au fond du siècle à venir toute tentative de réforme. On est excusable de la dédaigner, lorsqu'on a le génie de transformer les abus en principes, et assez de caractère pour changer les obstacles en moyens. Richelieu mande l'imprudent motionnaire, l'enveloppe de ce regard qui fit pâlir l'Autriche, la noblesse oligarque et le calvinisme démocrate : Monsieur, lui dit-il, si je faisais mon devoir, vous auriez la tête aux pieds.

Cette anecdote est d'un visir; voici celle d'un roi. Dans une conversation, dont la pénurie des finances, l'appauvrissement de la marine, l'insolence de l'Angleterre, dont en un mot les misères publiques étaient le sujet, Louis xv, dont le sens exquis appréciait les maux auxquels son caractère dégradé ne cherchait point de remèdes, entendit un grand seigneur proposer celui des États-Généraux. A ce mot, l'œil du roi s'anime, s'irrite, et laisse tomber sur le réformateur un regard foudroyant. Ce fut le dernier; jamais ce prince n'adressa depuis un seul mot, un seul signe au courtisan. Ce dernier vieillit sans faveur, mais sans persécution; le despote avait pardonné, l'homme faible n'avait pu oublier.

Frédéric, tout philosophiques qu'aient été ses principes, quoique, selon moi, sa conduite en ait été loin, Frédéric n'était guère plus raisonnable, dès qu'il s'agissait de son pouvoir. C'est une remarque curieuse offerte à l'observateur, qu'un despote athée qui voulait faire respecter, comme émanée de Dieu,

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