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champ de nouveaux; alors il faut s'attendre que les vices, les passions, et jusqu'aux vertus vont entrer dans une fermentation dont les effets sont incalculables. Alors des hommes rigoureusement justes voudront profiter du moment pour introduire partout la justice rigoureuse; tandis que d'autres, où incapables de connaître, ou résolus de proscrire cette justice, tantôt lui déclareront une guerre ouverte, tantôt paraîtront se ranger à sa suite, pour revêtir leurs crimes de son nom. Il y aura des enthousiastes dangereux par la pureté même de leurs intentions, et des êtres corrompus qui feront volontairement le malheur public pour la chance d'un intérêt personnel. Il y aura une jeunesse avide de nouveautés, ivre de présomption, et voyant en pitié l'expérience des siècles; des vieillards courbés sous le joug de la routine, et ne concevant rien dans ce qui n'est plus ; des hommes qui se croiront placés par la sagesse comme par la nature entre ces deux âges, qui voulant concilier le passé, le présent et l'avenir, ne persuaderont nulle part et déplairont partout. On verra des ambitieux de pouvoir, de célébrité, de richesses, saisir, les uns sans discernement, les autres sans scrupule, tous les moyens d'assouvir la passion qui les tourmentera. Dans cette mêlée, déjà si terrible, viendront encore se jeter les mécontens, les vindicatifs, les envieux, les ingrats. D'abord ils appartiendront tous aux classes supérieures par le rang, la fortune ou l'instruction. Bientôt chacun fera tous ses efforts pour émouvoir ce qu'on peut

appeler la masse brute de la société, pour en détacher quelque portion, et s'en faire un appui contre ses rivaux. Une fois mise en mouvement, cette masse engloutira tous les hommes et les projets, les résistances et les conseils, ses ennemis et ses chefs.

C'est à la tête de ceux-ci que nous allons voir paraître La Fayette : sur cette hauteur escarpée, qu'il dut à sa position autant qu'à ses principes, nous le verrons diriger la foule par une modération ferme, quelquefois en être dominé par une opinion dont il ne repoussait que les excès. Avec des affections républicaines, nous trouverons en lui une conduite monarchique, et l'élan vers la liberté tempéré par le sentiment de l'ordre. A peine la révolution, qui a commencé sans chef, l'a-t-elle désigné pour le sien, qu'il voit, dans cet ébranlement qui va devenir universel, l'expression des besoins publics, et qu'il

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saisit l'occasion de les satisfaire aux dépens des abus. S'il s'agit de restituer à la nation ses droits peu à peu envahis, il ne s'agit pas moins de conserver aux classes qui la composent celles de leurs prérogatives qui sont justement acquises. Renouveler la société dans ses sentimens, afin qu'elle apprécie elle-même le motif de ses actions, telle est la pensée qui anime La Fayette, et qui est, en quelque sorte, toute la philosophie de la révolution. Il y a loin de là aux injures, aux calomnies, aux spoliations, aux massacres, aux proscriptions. Cette pensée, partagée par les premiers auteurs de cette révolution

et par l'immense majorité de l'assemblée constituante, n'était que la justice distributive appliquée pour la première fois à un corps politique. C'était un appel de la nation opprimée dans ses intérêts, à la nation éclairée sur ses intérêts; et dans ces intérêts nationaux étaient compris ceux du trône, que la loi n'a fait des droits que parce qu'ils sont des devoirs droits, devoirs et intérêts sans lesquels périclitent les grandes bases sociales, la propriété, l'indépendance, l'égalité, la liberté. Contemplons La Fayette travaillant à les établir par ses succès, à les consolider même par ses revers dans l'une et l'autre fortune, il ne pensa qu'avec sa conscience et ne se conduisit que par son devoir.

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A la suite de cette lutte, dans laquelle l'orgueil des parlemens, simulant le patriotisme, dressa toute la morgue d'une opposition calculée contre un ministère novateur, qui, pour cacher ses maladresses, simulait lui-même la tyrannie; la France, comme on l'a trop souvent répété, ne touchait pas au terme de son existence, mais le gouvernement était arrivé au comble de son embarras. Que le patriotisme des parlemens n'eût pas été de l'aristocratie, que les essais du ministère n'eussent pas été le monopole du pouvoir, cet embarras pouvait cesser par l'accord de l'opposition avec l'autorité: on s'entend bientôt sur les moyens, lorsqu'on marche vers le même but. Mais celui des parlemens, que servaient si bien les circonstances, était de former, de constituer dans l'État un quatrième ordre qui, par les

noeuds de la propriété, dont la magistrature est l'arbitre, rattachât à lui les trois autres ordres et les mît à sa discrétion. Quant au ministère, téméraire dans ses plans, timide dans leur exécution, il épuisait en efforts les restes d'une autorité disputée, et déshonorait ces efforts infructueux par des regrets. Que faire dans cette position scandaleuse où le pouvoir commandait, où l'opposition défendait d'obéir? Au lieu de frapper un coup décisif, adopter un de ces moyens termes, que les caractères faibles ou les esprits incapables prennent pour des ressources, et qui ne sont que des armistices, durant lesquels chaque parti recense ses forces, retrempe ses armes et se prépare à de nouveaux combats.

Deux fois les Notables furent convoqués (1787, 1788): les Notables, c'est-à-dire ceux que leurs places ou la nature de leurs fonctions mettaient dans la main du gouvernement. Telle était cependant l'activité de la séve qui animait l'esprit public, qu'oubliant celui que professent les corporations et qui n'est qu'un égoïsme prêt à devenir factieux, les Notables, peu soucieux des intérêts de l'aristocratie, affectèrent de ne s'occuper que de ceux du peuple. On vit alors paraître pour la première fois, dans les débats politiques, des noms qu'ils ont rendus depuis si célèbres. Nous n'avons à nous occuper dans ce moment que du marquis de La Fayette.

Son caractère, ses principes, ses succès, qui jusqu'alors n'avaient été que des titres à la renommée, le devinrent à la confiance. Il avait celle du roi,

et voulut la justifier en méritant celle de la nation. A peine l'assemblée est-elle formée, à peine les bureaux sont-ils composés, qu'il s'y signale par les propositions les plus patriotiques. Celui que présidait le comte d'Artois, devint le plus remarquable et obtint une véritable existence historique par la généreuse hardiesse qu'y déploya La Fayette. Il y sollicita la suppression des lettres-de-cachet et des prisons d'État : des lettres-de-cachet, dont l'affaire de la bulle fit expédier quatre-vingt mille; dont le cardinal de Fleury, de pacifique mémoire, signa un nombre à peu près égal; et dont Lavrillière chérissait tant le commode usage, qu'il aurait, sans elles, refusé le dur ministère qu'il remplit si durement. Quant aux prisons d'État, Mirabeau, dont on avait pressé sous leurs verroux la poitrine énergique, venait, par des clameurs éloquentes, de frayer la voie aux réclamations positives et légales de La Fayette. Le jeune major-général américain portait au pied du trône les cris des victimes qu'on multipliait au nom du trône. Il y déposait aussi les justes demandes des protestans qui, pour prix d'un exil sans murmures et d'une proscription sans vengeance, imploraient le feu, l'eau et le sel : étroite hospitalité, qu'on n'eût pas refusée aux Juifs, aux Mahométans, et que le fanatisme de frères puissans déniait depuis deux siècles à des frères moins nombreux, qui, avec eux et comme eux, adoraient le même Dieu. Enfin, La Fayette fit la motion expresse (et ce mot nouveau, comme

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