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a été imprimé; j'ai médité plusieurs mémoires manuscrits, où il m'a été permis de puiser des lumières; et cherchant toujours à me fixer sur des idées simples, je me suis arrêté à reconnaître trois causes premières et immédiates de la révolution française : le désordre des finances, la disposition des esprits, et la guerre d'Amérique.

« Que l'ordre eût régné dans le trésor public; que l'équilibre eût été parfait entre la dépense et la recette, et toutes les idées d'indépendance, dont les esprits étaient pleins, se seraient exhalées dans les cercles, dans les séances académiques, dans quelques remontrances parlementaires; se seraient ployées à des habitudes paisibles; eussent reçu le frein d'un contrôle réciproque; fussent même entrées dans un nouvel ordre de soumission, en étant appliquées à la chose publique par les nouveaux corps administratifs qui naissaient de toutes parts et restaient tous sous la main du roi. »

Ici, j'interromps mon auteur pour lui faire observer qu'en exposant son avis, je ne puis le partager. Le désordre dans les finances peut précipiter la retraite d'un ministère et la ruine de son système ; il ne sera jamais la cause de la perte de l'État. En France il n'en a été que l'occasion. Imaginez les deux budgets parfaitement en équilibre, et vous auriez eu la révolution dix ans plus tard. Elle était dans les idées, dans les sentimens, dans la volonté; il ne s'agissait pas de chiffres, mais de conscience, ou, si vous l'aimez mieux, d'amour-propre national.

Depuis cinquante ans, on faisait, on lisait des livres sur l'indépendance, sur la liberté, sur le méca—, nisme social: on épiait l'instant de réaliser ces abstractions. Du doute à l'examen, de la discussion aux essais, telle est la marche naturelle; et l'écrivain qui, dans le paragraphe que je combats, dit qu'on eût pu la prévenir par l'économie financière, démontre, dans les lignes suivantes, qu'avec cette économie même elle était inévitable.

«Que la disposition générale des esprits, dit-il, eût été sous Louis xvi ce qu'elle était sous Louis XIV, et même jusqu'à la moitié du règne de Louis xv, le dérangement des finances n'eût amené aucune catastrophe politique. On eût rempli le vide du trésor avec plus ou moins de promptitude; on eût décrété des suppressions, établi des recherches plus ou moins sévères; on eût pu inquiéter, punir quelques administrateurs, mais personne n'eût songé à se constituer en insurrection contre le roi.

<< Enfin, que dans cette combinaison de circonstances, il y eût de moins la guerre d'Amérique ; et que dans la dette nationale, il y eût eu de moins 1,600,000,000; et la disposition des esprits n'eût pas été entraînée tout à coup des théories d'une indépendance paisible aux convulsions et aux excès d'une révolte pratique. »

Je me permets une remarque sur cet adjectif paisible, étonné de s'accorder si mal avec le substantif indépendance. Et depuis quand a-t-on vu que le calme, que la modération, que la paix, en

un mot, habitassent dans des coeurs travaillés du ferment de l'indépendance ? Désirée, on se bat pour l'obtenir; obtenue, on reste armé pour la conserver. Sont-ce là des situations paisibles? L'attitude de l'homme qui veut être libre est l'attaque; celle de l'homme qui est libre est la défense : leur vie est un combat. Les supposer paisibles, c'est supposer qu'ils n'ont plus de résistances à vaincre, c'est-à-dire que tous les intérêts privés, tous sans exceptions, ont fléchi sous l'intérêt commun; ce qui crée, pour la facilité de ce raisonnement, une nature exceptionelle, une société de convention, et des hommes comme il n'y en a point. Je continue.

« Il fallait donc, pour prévenir la révolution française, une de ces trois choses: ou arranger les finances (ce qui, selon nous, et comme nous venons de le démontrer, ne l'eût qu'ajournée), ou s'emparer du mouvement des esprits (ce qui eût été fort sage, fort prévoyant sans doute, et ce que doit toujours faire un gouvernement qui ne veut pas être gouverné; mais ce qui, au lieu de prévenir la révolution appelée par tous les vœux, justifiée par tous les besoins et faite dès long-temps dans tous les esprits, l'eût mise dans le gouvernement lui-même, au lieu de la laisser descendre dans le peuple, et eût fait du roi le chef des révolutionnaires); ou abandonner à eux-mêmes les insurgens américains (ce qui ne convenait pas plus au système politique de la France, rivale naturelle et ennemie nécessaire de l'Angleterre, qu'il n'a convenu à M. Pitt

d'abandonner à eux-mêmes les contre-révolutionnaires français). En évitant une de ces trois causes de bouleversement, on frappait d'impuissance les deux autres. (Et comment, les finances balancées, évitait-on la conflagration des esprits, portée bientôt jusqu'à l'incadescence par l'exemple des insurgés américains, et par le retour de leurs auxiliaires français? Ceux-ci refusés aux États-Unis, nos finances se trouvaient-elles dans une meilleure situation? et celle des esprits se serait-elle bonifiée par la circonstance même qui devait l'empirer?) On les a au contraire réunies toutes les trois, et dans leur plus grand degré d'activité. (Ne dirait-on pas que ce que l'auteur nomme les causes originelles de la révolution, et ce que je n'en crois que les occasions déterminatives), ont été convoquées à dessein, arrangées à la main, et réunies à point nommé? Ne dirait-on pas que la manoeuvre qui produisit leur réunion a été calculée, et que l'époque, le jour et le lieu de la détonation ont été précisés ? En examinant avec une attention plus soutenue, on découvre justement le contraire. Quoique rien ne se soit fait par hasard, car il n'y a point de hasard dans le monde, et ce mot n'est que l'excuse de l'incapacité; rien non plus n'a été fait exprès. Point d'unité de ministère ni de vues a tout produit. Ce ne sont pas les hommes à talens qui ont manqué, ce sont les hommes à direction. La science du gouvernement absolu n'est que la routine de la ligne droite il faut faire ce qu'on a fait, et surtout comme on l'a

fait. Les innovations ont tout remué, la divergence a tout perdu). Un Léopold, un Frédéric, un Gustave eussent peut-être trouvé encore moyen d'en triompher; mais Louis xvi était né pour être le père d'un peuple soumis, et non le dominateur de sujets rebelles. Le ciel, qui le destinait à un grand exemple, lui avait donné la constance des martyrs, plutôt que le courage des héros; la confiante pureté des bien plus que la anges, sagesse ombrageuse des humains; et, dans la crise où il s'est jeté, personne ne pouvait suppléer l'action, la volonté, le caractère du maître.

« Cette dernière considération est pénible à exprimer, mais impossible à dissimuler. Le caractère de l'infortuné Louis xvi, le désaccord qui s'est trouvé entre le genre de ses vertus et le besoin des circonstances, ont eu évidemment une si grande part dans le triomphe de la révolution, que je dois peut-être les présenter ici comme une quatrième cause principale, après les trois que j'ai déjà énoncées. Mais ensuite, il n'est plus, selon moi, ni circonstance, ni individu, qui ne rentrent dans la foule des causes secondaires. Les choses étaient inévitables; les noms sont presque indifférens à connaître; au défaut d'un personnage, un autre se fût présenté. Toutes les fois que, dans un grand état, les canaux du trésor public sont desséchés, et les élémens de la société en confusion; lorsque les anciens freins de la subordination graduelle sont brisés, et qu'il n'y a pas une main ferme pour en imposer sur-le

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